Philippe Dallier et Roger Karoutchi se sont intéressés à l'équilibre financier des transports publics : je dois dire que cela m'a interpellée moi aussi. Nous sommes dans une situation assez différente d'une ville française. Premièrement, la part des ménages équipés en voiture est beaucoup plus faible, aussi la clientèle dite « captive » est-elle plus importante. Comme à l'époque des premiers tramways, cela permet de capter l'essentiel des besoins de transport, alors qu'en région parisienne le besoin n'est jamais qu'à 40 %. Deuxièmement, les salaires sont très bas : dans les sociétés de transport françaises, les charges de personnel représentent les deux tiers des coûts, et l'on se préoccupe constamment de diminuer le nombre de conducteurs. Ce n'est pas du tout la situation au Maroc : j'ai été frappée et intéressée - humainement aussi - par le cas des employés présents sur les quais. Ils font qu'il n'y a pas de triche et que le tramway est très sécurisé, même le soir et dans les quartiers difficiles ; ils donnent aux gens qui ne sont pas toujours très à l'aise, avec les plans par exemple, les explications dont ils ont besoin. Troisièmement, les rames sont particulièrement longues : leur tramway est presque un intermédiaire entre le train et nos tramways, en termes de capacité de voyageurs.
Enfin, le prix a été calé juste en-dessous de celui des bus collectifs, c'est-à-dire du covoiturage informel. Voici un ordre de grandeur : l'abonnement mensuel est de 230 dirhams, pour un revenu mensuel médian par ménage de 3 500 dirhams. Par comparaison, à Strasbourg, l'abonnement est de 49 euros pour un revenu médian d'environ 2 000 euros. La part dans le budget des ménages est donc bien plus élevée au Maroc. Mais vous avez, d'un côté, des bus lents, inconfortables et poussiéreux, et de l'autre, un tramway impeccable, aux standards les plus modernes et climatisé.
Ce modèle mériterait donc d'être étudié, car on voit qu'il y a du potentiel dans les pays intermédiaires pour un transport public qui ne soit pas un gouffre financier - alors qu'en France les deux tiers du coût total sont financés en déficit d'exploitation. Grâce aux nombreux dons qui sont faits, le modèle marocain supporte par ailleurs très peu de coûts d'investissement en propre.
André Ferrand s'est demandé à juste titre en quoi les financements proposés par la France pouvaient aider nos entreprises nationales. Le système a été bien clarifié, notamment sous l'influence de l'OCDE. Le principe est que les aides de l'AFD sont non liées, c'est-à-dire qu'elles financent des projets et non des entreprises - mais cela n'exclut pas que les Français soient bénéficiaires de l'appel d'offre compte tenu de notre expertise dans les domaines de l'eau, des transports ou de l'urbanisme. L'aide du Trésor, par contre, est par définition une aide liée.
Michèle André a évoqué les exigences de qualité accrues de la Banque mondiale : je n'en ai pas particulièrement connaissance, mais je n'en suis pas surprise pour autant. S'il y a une valeur de l'ingénierie française reconnue par nos interlocuteurs, c'est bien la solidité, la résistance et la maintenance dans la durée. Je n'ai pas croisé d'investissements chinois au Maroc ni en Tunisie. C'est vraiment un phénomène qui concerne l'Afrique subsaharienne.
François Fortassin a évoqué l'idée des énergies domestiques. Pour l'instant, on ne voit pas beaucoup de panneaux photovoltaïques ni de chauffe-eau, lesquelles pourraient pourtant constituer un circuit court très adapté. C'est en fait vers cette solution domestique que l'AFD voudrait pousser l'État marocain. En revanche le photovoltaïque n'est pas du tout une perspective envisagée : il demeure coûteux puisqu'il passe par l'électricité, contrairement au chauffe-eau. J'ai par ailleurs été très frappée par la gestion du soleil dans les constructions, qui sont faites de telle sorte que l'intérieur soit naturellement climatisé : utilisation des carreaux, qui restituent la fraîcheur, gestion traditionnelle des auvents, balcons fermés, occultation etc. La rénovation urbaine permet aussi de très nombreux petits emplois de proximité, qui n'existent plus en France. Ces artisans et ces services forment un maillage très important pour la qualité urbaine, et apportent à la fois activité et mixité.