Les transplantations d'organes ont été, sont encore, et seront pour longtemps une merveilleuse aventure humaine. Celle-ci a impliqué des performances médico-scientifiques remarquables pendant le XXème siècle. Au cours de la première moitié du XXème siècle, la recherche a rendu possibles d'éventuelles transplantations, puis lors de la seconde moitié du siècle, des transplantations réussies de reins, puis de coeurs, de foies et d'autres organes ont été effectivement réalisées chez l'homme.
Au-delà de ces performances médico-scientifiques, il s'agit là d'une extraordinaire oeuvre de solidarité entre les humains, entre celui qui donne et celui qui reçoit. Déjà, le don du sang, au début du siècle dernier, représentait un bel effort de solidarité, mais le don d'un organe est encore plus symbolique de la solidarité dans la chaîne des humains, que ce soit un organe donné entre vivants (par exemple, d'un frère pour sa soeur), ou que ce soit au-delà de la mort. On peut ainsi redonner la vie à un patient qui, sinon, serait mort du fait de l'insuffisance de l'un de ses organes. La communauté scientifique et, plus largement, la communauté humaine en général et les familles concernées ont salué ce progrès immense, qui a fait reculer les désespoirs de tous ceux qui, dans les décennies passées, se résignaient à une mort inéluctable parce que leurs organes étaient devenus incapables de fonctionner correctement.
Aujourd'hui, après avoir vaincu toutes les difficultés, c'est-à-dire avoir fait comprendre l'intérêt de la solidarité et les impératifs techniques, avoir fait oeuvre de pédagogie auprès de la communauté médicale, avoir vaincu les principales causes d'échec - les échecs chirurgicaux sont devenus exceptionnels, les échecs immunologiques extrêmement rares et les autres complications, infectieuses, tumorales, etc. ont toutes été maîtrisées -, l'absence de greffe reste néanmoins une cause importante d'échecs. Actuellement, on compte plus de patients qui décèdent en listes d'attente que de patients greffés décédant d'une complication liée à l'opération.
Notre premier devoir est donc de lutter contre la pénurie gravissime de greffons, devenue la première cause de décès des personnes qui espèrent en la greffe mais ne peuvent pas en bénéficier.
Vous avez cité, Monsieur le Président, le chiffre de 100 000 personnes en attente aux États-Unis, en France le chiffre atteint 12 300 pour les greffons rénaux car, chaque année, on compte davantage de nouveaux insuffisants rénaux qui s'inscrivent sur les listes que de personnes greffées. Le succès des transplantations conduit un nombre croissant de patients à solliciter une greffe car on vit bien mieux avec une greffe qu'en hémodialyse, on connaît moins de complications, moins de mortalité, moins de morbidité et, surtout, une qualité de vie bien meilleure. De ce fait, on sollicite une greffe quel que soit son âge ou son problème médical. En outre, c'est aussi une manière de coûter bien moins cher à la société. Au cours de la première année de greffe, le coût total des traitements est inférieur ou égal à celui des dialyses. Mais les années suivantes, ce coût est infiniment plus faible et, en l'absence de pénurie, les économies effectuées grâce à la transplantation rénale permettraient de construire un très grand hôpital, de plus de 600 lits, chaque année en France. Ce n'est pas l'objectif, mais cette information illustre l'importance de l'économie potentiellement réalisable. Actuellement, plus d'un tiers des malades sont toujours en liste d'attente après cinq ans. Il est pourtant difficile, pour une personne jeune de continuer à vivre en étant en hémodialyse à raison de trois séances hebdomadaires. C'est un traitement lourd et affaiblissant pour le patient et qui crée un handicap. Cette situation génère un coût humain et financier considérable pour notre pays.
Face à cette pénurie, plusieurs solutions sont envisageables. D'abord, faire respecter la loi française, qui ne l'est pas intégralement. Fondée sur le principe du consentement présumé, elle dispose que toute personne qui n'a pas exprimé de son vivant une opposition au prélèvement d'organe peut être donneur potentiel. Cependant, elle prévoit aussi d'interroger la famille sur l'avis de la personne qui vient de décéder. Or, comme généralement, les personnes n'ont pas exprimé d'avis, la famille décide bien souvent à leur place et émet l'opinion de l'un de ses membres. Bien souvent, un membre de la famille qui a un état d'âme s'oppose au prélèvement. L'esprit de la loi n'est pas respecté car le corps n'appartient ni à la famille ni à l'État mais à la personne elle-même. Ceci explique en partie la grave pénurie d'organes que nous subissons. Paradoxalement, en France, il n'existe aucune objection au prélèvement de tous les organes en cas d'autopsies médico-légales. Cela est demandé par la justice et personne n'a le droit de s'y opposer. Dès lors, tous les organes sont prélevés pour qu'on sache si ce qui a provoqué la mort relève de la responsabilité d'un tiers et si une assurance doit couvrir le préjudice. L'intérêt mercantile autorise ainsi le prélèvement sans restriction.
L'Agence de la biomédecine (ABM) est parfaitement consciente de cette difficulté et s'efforce de lutter contre les refus de prélèvements. Officiellement, il y aurait un tiers de refus mais leur nombre réel serait probablement proche de la moitié car, par autocensure, les équipes médicales ne proposent même pas à certaines familles, un peu véhémentes et opposantes, de prélever des organes. On perd donc à peu près la moitié des organes exploitables, alors que sans cette perte, il n'y aurait plus de pénurie d'organes. Il nous faut lutter contre cela et rendre hommage au travail de l'ABM pour faire mieux respecter la loi.
Il faut également augmenter les prélèvements. Le nombre de personnes sur lesquelles peuvent être prélevés des organes décroît car la mortalité prématurée diminue en France, ce dont il faut se réjouir. Les accidents de la route sont devenus plus rares, de même que les accidents vasculaires cérébraux d'évolution fatale et de nombreuses autres maladies.
Il s'est avéré nécessaire d'étendre les indications de prélèvement : on prélève des organes sur des sujets beaucoup plus âgés qui, hier, auraient été récusés. Sachant que l'âge du donneur doit rester comparable à celui du receveur, eu égard à la durée de vie restante de l'organe, on a étendu le cercle des donneurs vivants, d'autant que le taux de succès des greffes est encore plus élevé, avec une durée de vie des organes plus prolongée, lorsqu'il y a appariement familial pour des raisons non seulement génétiques, mais aussi psychologiques, comme cela s'observe notamment pour les dons entre époux. Ceci montre que la présence du donneur vivant rappelle au receveur qu'il faut tout faire pour que la greffe soit un succès.
Malgré ces possibilités d'extension des prélèvements, la pénurie reste très présente, c'est la raison pour laquelle la France, à l'instar de quelques autres pays européens, souhaite étendre le prélèvement d'organes à des donneurs en état d'arrêt cardiaque dit « contrôlé ». La plupart des greffes d'organes, pour l'instant, sont effectuées sur des patients en état de mort cérébrale : leur cerveau est complètement et définitivement détruit, comme l'attestent l'absence de circulation cérébrale, l'électro-encéphalogramme plat de façon définitive et l'absence de toute activité du cerveau. Dans ces conditions, on constate la mort et la sanction systématique est d'arrêter les mesures de réanimation, de respiration artificielle et d'assistance à la circulation cardiaque.
Quand un prélèvement d'organe est possible, on prolonge quelque peu ces mesures de réanimation afin de réunir les conditions de transplantation. Au moment opportun, on prélève les organes et on arrête les mesures de prolongement artificiel de la vie. On a déjà observé des cas de prélèvements d'organes sur donneur avec un coeur arrêté, car le donneur étant en réanimation, on avait la possibilité, au moment de l'arrêt cardiaque irréversible, de prélever, très vite, les organes. Cela a permis quelques greffes avec des résultats assez satisfaisants, même s'ils sont un peu moins bons que les greffes avec des organes prélevés sur un sujet à coeur battant.
Cependant, dans d'autres pays, il s'est avéré possible de prélever des organes sur des sujets en état de mort par arrêt cardiaque « contrôlé », c'est-à-dire décidé par l'équipe médicale. Cette possibilité permettrait, en France, d'effectuer des prélèvements sur environ 800 personnes, ce qui représente 2 400 organes, dont presque 1 600 reins. Ceci serait de nature à diminuer le niveau de la pénurie. Mais ce type de prélèvement exige des précautions sur le plan technique comme sur le plan psychologique et pose des problèmes qu'il faut affronter avec beaucoup de doigté.
La définition des arrêts cardiaques chez les donneurs est issue d'une réunion des chirurgiens de l'Hôpital de Maastricht en 1995. Ils ont défini quatre catégories d'arrêt cardiaque, devenues classification internationale, dite de Maastricht. Trois de ces catégories - I, II et IV - se rapportent à des arrêts cardiaques non contrôlés survenant de façon inopinée chez quelqu'un déjà soumis à des soins et pour lequel l'arrêt cardiaque aboutit à la fin de la vie et, en ce cas, permet, si tout est prêt, de prélever quelques organes dans des conditions de grande rapidité.
La catégorie III de la classification internationale de Maastricht concerne des personnes arrivées au terme d'une maladie gravissime qui, étant en fin de vie, sont déjà entrées dans la phase d'agonie pour laquelle la législation actuelle préconise d'éviter l'acharnement thérapeutique, ainsi que le prévoit la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie, dite loi Leonetti ; il faut, à un moment donné, se résigner à ne plus faire de gestes actifs qui perdent tout leur sens puisque la personne n'a plus aucun espoir de vie. La fin de vie intervient plus vite mais on limite les souffrances physiques ou psychiques des personnes concernées comme des familles et des proches. Au moment de décider l'arrêt des mesures actives, intensives, artificielles de soutien d'une vie qui, si elle n'est pas devenue végétative, est très faible et artificielle, faut-il autoriser des prélèvements d'organes après le débranchement de la personne et l'arrêt cardiaque ? Cela implique un encadrement parfait.
Nos collègues espagnols, anglais, néerlandais et américains ont fait part de leur expérience de prélèvement d'organes de catégorie III au cours de l'audition publique organisée par l'OPECST. Un grand nombre d'organes pouvait être recueilli dans ces pays en utilisant cette méthode, qui se heurte d'ailleurs beaucoup moins aux refus des familles car, devant un arrêt cardiaque, celles-ci autorisent plus aisément un prélèvement.
En revanche, les conditions techniques de réanimation supposent une multiplicité de moyens permettant d'effectuer des pronostics et des diagnostics exacts. Ces collègues ont rapportés des cas de pronostic négatif à court terme, où après l'arrêt de la respiration artificielle, des personnes ont pu vivre encore plusieurs semaines, voire quelques mois. L'arrêt cardiaque n'est pas survenu et donc le prélèvement n'a pas eu lieu. Il faut donc former les personnels, notamment aux pratiques de réanimation et à l'utilisation des produits autorisés. Il est vraiment indispensable que les sédations fassent l'objet d'une évaluation très particulière, et que les techniques permettant aux organes de demeurer acceptables pour la transplantation n'interfèrent pas avec la survie de la personne. Le prélèvement ne peut être effectué que par des équipes indépendantes de celles qui assurent l'accompagnement de la personne en train de mourir. Il faut éviter toute confusion entre le rôle des uns et des autres.
Nous formulons à cet égard une série de recommandations. Il convient d'utiliser toutes les innovations technologiques, au premier rang desquelles l'IRM, avant l'arrêt des traitements, afin d'obtenir un pronostic très rapide. Il s'agit aussi d'utiliser la circulation régionale normo-thermique, des machines d'évaluation des organes, des machines à perfusion pour le prélèvement d'organes sur donneur décédé après arrêt cardiaque, des techniques de perfusion hypothermique ou normo-thermique.
En outre, il faudrait encourager les recherches portant sur les marqueurs permettant d'évaluer les organes susceptibles d'être transplantés et de proposer une conduite à tenir sur la sédation du donneur. Les techniques actuelles exigent un certain délai : disposer de marqueurs fiables et d'une réponse rapide serait extrêmement précieux car il suffirait d'un prélèvement sur l'organe pour déterminer sa qualité. Actuellement, pour évaluer un organe, on peut certes le brancher sur une machine, mais cela allonge la période d'ischémie, période où il ne reçoit pas le sang oxygéné qui lui est bénéfique. La recherche, à cet égard, a déjà commencé, bien sûr, mais il importe de l'encourager.
Pour organiser et informer les équipes, il faut harmoniser les pratiques. Les personnels médicaux doivent pouvoir différencier l'arrêt des thérapeutiques devenues vaines, ayant pour seul effet de prolonger l'agonie, de la mise en place d'actions thérapeutiques nouvelles. Il faut donc définir, pour l'ensemble de l'équipe médicale, le rôle de chacune des thérapeutiques : ce qui est fait pour soulager le patient, ce qui est fait pour prélever des organes sans gêner les conditions de survie du patient, quel est le point de non-retour chez un donneur potentiel. Cela suppose de s'inspirer des expériences étrangères, de recueillir ces données et de former les personnes concernées.
Il ne sera pas possible, du jour au lendemain, de former des équipes dans toutes les villes de France où se trouvent des centres de prélèvements, il faudra privilégier un nombre restreint de grands centres urbains où s'effectuent les transplantations elles-mêmes avec des équipes multidisciplinaires qui développent cette expertise. Quand cette expertise aura ainsi été développée dans un certain nombre de grands centres, on pourra l'étendre aux autres territoires de notre pays. On peut imaginer qu'une commission pourvue d'une mission de contrôle puisse être chargée de cette évolution. Pour former et informer les personnels, il faut enseigner systématiquement la classification internationale de Maastricht, ces quatre catégories d'arrêt cardiaque.
Il faut organiser une conférence de consensus destinée à tous les professionnels de santé impliqués dans le prélèvement d'organes et veiller à l'existence d'un consensus, au sein des équipes médicales, créer des centres mettant en place des prélèvements d'organes de catégorie « Maastricht III » et sensibiliser tous les intervenants dès le début de la mise en place du programme. En outre, il convient d'améliorer les conditions de travail des équipes médicales en veillant à leurs conditions d'astreinte et de déplacement.
Il faut par ailleurs veiller à appliquer strictement les conditions dans lesquelles sont encadrées les décisions d'arrêt de traitements mises en place par la loi Léonetti du 22 avril 2005. Rien ne serait pire que de modifier, à des fins de transplantation, les conditions établies par la loi car on serait suspecté de vouloir encourager la transplantation au détriment de la survie de certains patients, ce qui n'est pas imaginable et doit être absolument interdit d'une façon nette, vigoureuse et enseigné à tous les personnels médicaux et paramédicaux.
S'agissant de l'accord de la famille et des proches du donneur, moins il y aura de refus des familles, plus la pénurie d'organes se réduira. Cependant, il convient de respecter les quelques personnes qui refusent le prélèvement d'organes pour des raisons variées, même si toutes les grandes religions monothéistes occidentales ont émis des avis favorables à la transplantation d'organes. Il reste que, chez certains bouddhistes ou dans certaines variétés de philosophies, des réticences à la transplantation existent. C'est le cas de très peu de courants philosophiques, mais il faut respecter cette possibilité. Il n'est pas question de contraindre quiconque.
Les familles s'opposent moins souvent à un prélèvement après arrêt cardiaque qu'à un prélèvement effectué avec un coeur encore battant avec une mort cérébrale. Il y a peu à craindre de refus pour la catégorie III ; pour autant, il faut que le dialogue avec la famille du défunt soit de bonne qualité. La difficulté ne porte pas sur le recueil du non-refus, mais sur l'explication de ce qu'il adviendra. Il faut expliquer aux proches que les mesures de réanimation artificielle seront arrêtées et que l'on ignore dans combien de temps l'arrêt cardiaque surviendra car telle est la réalité. On essaiera de mettre en oeuvre toutes les mesures permettant d'obtenir le pronostic le plus fiable possible mais aucun moyen ne peut apporter une estimation temporelle exacte. Il faut que la famille soit prévenue, car c'est une situation particulière que de devoir attendre quelques jours en sachant que la personne n'a plus d'espoir et ne bénéficie plus de thérapeutique à visée curative. Cela exige de la part des personnels du tact, de faire oeuvre de pédagogie, d'humanité, d'empathie. Ceci implique une formation des personnels amenés à rencontrer les familles de façon répétée, car tout échec dans ce dialogue induirait un nombre de refus secondaires important et serait exploité par certains pour remettre en cause toute la pratique des transplantations, comme cela a pu être observé dans le passé à quelques occasions.
Depuis que l'Agence de la biomédecine a été créée, ceci ne s'est plus reproduit grâce à un contrôle très rigoureux allant de la qualité du dialogue postérieur à la mort, à la restitution du corps effectuée d'une façon parfaite afin que le proche décédé soit présenté d'une manière digne. Pour éviter les refus illégitimes, il convient donc de favoriser l'accompagnement, l'écoute et le dialogue avec la famille et les proches du donneur dans le cadre d'un prélèvement d'organe de type « Maastricht III ».
Il convient d'informer le public qui, dans notre civilisation contemporaine, rechigne à penser à l'après mort. À la différence des hommes de l'antiquité qui se disaient « mortels », rappelant ainsi à chacun sa condition inéluctable, les contemporains ont plutôt tendance à se croire immortels et ne prennent pas le temps de formuler leurs volontés sur ce qu'il adviendra de leur corps, de leurs possessions, leurs obsèques, etc. Cela n'est pas préparé dans la plupart des cas et encore moins, évidemment, à propos de l'usage de leurs organes. Si, en majorité, on se dit être favorable, et même heureux, de pouvoir faire don de ses organes après sa mort, on ne l'indique pas clairement.
Or la question sera posée à la famille qui aura des doutes, car on est plus réticent pour le don des organes d'un proche que pour les siens. Ceci est particulièrement vrai pour le décès d'un enfant, quel que soit son âge, et on le comprend. Chacun d'entre nous a une certaine difficulté à intégrer l'idée suivante : « mon enfant est décédé et j'accepte qu'on lui prenne des organes ». Cette réticence est compréhensible car c'est un traumatisme majeur que de perdre un enfant et on a l'impression qu'un geste chirurgical est un deuxième traumatisme, alors même qu'en ayant posé la question au jeune décédé, il aurait répondu, dans 99,5 % des cas, de manière positive.
Il est difficile d'évoquer avec efficacité ces questions auprès de la population, on ne trouve ni écoute, ni réceptivité. Des expériences scientifiques ont démontré que les gens restent passifs devant leur télévision et qu'ils n'en parlent pas entre eux, après des émissions télévisées évoquant ces sujets. Il est traumatisant de débattre des prélèvements ; l'on se dit que le silence conjurera le mauvais sort. On se doit d'informer un public qui n'a pas très envie de l'être.
Sous l'empire de la loi du 22 décembre 1976 relative aux prélèvements d'organes, dite loi Caillavet, il n'y avait pas de registre de refus, personne ne pouvait exprimer son refus et, donc, tout le monde était prélevé. Cela a pu heurter car le consentement sans information était toujours présumé alors que le consentement n'est pas valable en l'absence d'information préalable. C'est pourquoi les lois successives plus récentes, même si elles ont introduit des difficultés pour les transplanteurs et ont aggravé la pénurie d'organes, sont nécessaires car on ne peut opérer sans s'assurer que la personne a été informée.
Nous devrons informer sur la possibilité de prélever des organes de la classe III de Maastricht. On pourrait s'inspirer de l'Espagne, où le taux de prélèvement est important et où les réticences sont moindres. Le grand metteur en scène espagnol Pedro Almodóvar, dans le film Tout sur ma mère (1999), décrit les conditions dans lesquelles l'héroïne perd son jeune fils dans un accident, elle-même étant infirmière, et donne son accord pour un prélèvement dans une réaction naturelle. Il ne semble y avoir aucun obstacle, ni psychologique, ni d'aucune nature. Les Espagnols qui, il y quelques dizaines d'années, effectuaient peu de transplantations, en font aujourd'hui bien plus car ils ont mis en place un système très efficient, objet d'une grande acceptation sociale.
Ceci montre l'intérêt de l'adhésion populaire à ce type de prélèvement, adhésion qui passe d'ailleurs par l'information complète de la totalité des professionnels de santé. Pour y parvenir, il faudrait organiser en France une conférence nationale et médiatisée, avec la participation des professionnels de santé, comme l'a fait l'Espagne, afin de relayer ces informations au sein de la population. Cette conférence serait d'autant plus utile qu'il faut absolument éviter toute confusion entre ce débat et celui concernant la fin de vie. En effet, il serait très néfaste que l'on associe les décisions concernant la fin de vie et le prélèvement d'organes puisque, par définition, on veut, au contraire, que ce soit complétement dissocié. On n'impose pas des conditions de fin de vie dans le but de prélever des organes, ce serait extrêmement choquant. Je considère qu'il faut envisager cette conférence, quand il n'y aura plus de débat sur les modalités de la fin de vie. La création d'un observatoire chargé d'évaluer ces données et de remettre ces conclusions devrait permettre d'établir la confiance du public.
Nous pouvons avancer avec optimisme puisque plusieurs pays voisins ont déjà ouvert la voie et qu'il n'y a pas de raison que les Français ne soient pas aussi confiants dans cette nouvelle modalité de prélèvement, bien nécessaire à tous les malades en attente de transplantation.