La formation du premier gouvernement paritaire de l'histoire de la République, la création d'un ministère des droits des femmes de plein exercice, l'inscription comme premier texte à l'ordre du jour de la législature 2012-2013 d'un projet de loi relatif au harcèlement sexuel, sont autant de signes que la politique des droits des femmes est redevenue une priorité politique.
La réalité, celle des chiffres comme celle ressentie par les Françaises et les Français, atteste en effet qu'en dépit d'indéniables progrès, l'égalité entre les femmes et les hommes reste un combat. Après les droits civiques reconnus à la Libération, après les droits économiques et sociaux acquis dans les années 1970 et 1980, il s'agit désormais de définir les conditions d'une égalité réelle et concrète. Cette troisième génération des droits des femmes est un enjeu majeur à la fois en termes d'acquis démocratique, de cohésion sociale et de performance économique.
Telle est l'ambition de ce projet de loi, qui sera examiné durant la session extraordinaire de septembre par notre assemblée et dont notre commission s'est saisie pour avis.
Avant de vous présenter son contenu, je souhaite dresser un rapide état des lieux des inégalités femmes-hommes qui perdurent dans l'ensemble des sphères de la société.
Dans la sphère privée, même si des évolutions sont perceptibles chez les jeunes générations, les tâches domestiques sont encore très largement une prérogative féminine puisque près de 80 % sont assumées par les femmes. Le temps consacré aux enfants reste lui aussi très inégalement réparti entre les femmes et les hommes. Avec une heure et demie quotidienne, les mères consacrent en moyenne deux fois plus de temps aux activités parentales que les pères. La différence entre mères et pères n'est pas seulement quantitative, elle est aussi qualitative : les temps parentaux liés aux soins et aux déplacements sont plutôt féminins alors que les hommes s'investissent plutôt dans les sphères de sociabilité et de loisirs. Autrement dit, les hommes, quand ils en réalisent, effectuent relativement plus d'activités parentales valorisées que les femmes. La répartition sexuée des tâches au sein du couple demeure donc bien une réalité.
Dans la sphère professionnelle, malgré le développement, ces dernières décennies, d'outils juridiques en faveur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, l'inégalité entre les sexes est toujours profondément ancrée : la concentration des femmes est manifeste dans certains métiers, notamment de services ; pour preuve, la moitié des emplois occupés par les femmes est concentrée dans 12 des 87 familles professionnelles. Les femmes occupent 82 % des emplois à temps partiel et les salaires des femmes sont inférieurs de 27 % à ceux des hommes. Après la naissance d'un enfant, une femme sur deux contre un homme sur neuf interrompt ou réduit son activité professionnelle. Enfin, les femmes, à diplôme égal, accèdent moins aux postes à responsabilité que les hommes (« plafond de verre »).
Dans la sphère politique, l'arsenal législatif en matière d'accès des femmes aux fonctions électives a beau s'être étoffé depuis le début des années 2000, les résultats sont restés globalement décevants, même si échelon local et échelon national doivent être distingués. A l'échelon local, la loi sur la parité a contribué à améliorer la représentation des femmes : 48 % des conseillers régionaux et 48,5 % des conseillers municipaux des communes de 3 500 habitants et plus sont des femmes. La proportion de femmes conseillères municipales est toutefois moindre dans les communes de moins de 3 500 habitants (32,2 %). Surtout, la place des femmes à la tête des exécutifs municipaux est restée très en retrait : seuls 14 % des maires sont des femmes. Quant aux conseils généraux, ils sont les assemblées représentatives les moins féminisées (14 % d'élues), même si l'on observe une légère amélioration. C'est à l'échelon national que la déception est la plus grande. L'Assemblée nationale et le Sénat restent des lieux majoritairement masculins puisque seul un parlementaire sur cinq est une femme. Bien que le nombre de sénatrices ait sensiblement progressé depuis 2001, elles ne sont aujourd'hui que 77 sur 348 sénateurs. La part des femmes députées est passée de 12,3 % en 2002 à 18,5 % en 2007, puis à 27 % en 2012 ; cette augmentation reste néanmoins très éloignée des objectifs initialement fixés.
Les inégalités entre les femmes et les hommes s'alimentent et se renforcent les unes les autres. Elles prennent racine dans les représentations sexuées et les stéréotypes encore fortement ancrés dans les mentalités. C'est pourquoi combattre leur caractère systémique nécessite une méthode spécifique : agir à tous les niveaux de la société et intégrer la question des inégalités femmes-hommes dans l'ensemble des politiques publiques, en associant acteurs publics et privés. Cette approche intégrée, inscrite dans les traités de l'Union européenne, a été formellement adoptée par la France le 30 novembre 2012 à l'occasion du Comité interministériel aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes, qui a défini les grands axes d'un plan global d'action mobilisant tous les ministères, toutes les politiques publiques et articulé autour de six principes : s'attaquer aux causes du sexisme ordinaire ; lever les contraintes que subissent les femmes dans leur vie quotidienne ; placer la réduction des inégalités de santé entre les femmes et les hommes au coeur de la démocratie sanitaire ; protéger les femmes contre les violences ; décliner l'égalité dans tous les pans de l'action publique ; affirmer les droits des femmes au niveau international.
Depuis mai 2012, plusieurs textes de loi sont venus consolider l'arsenal juridique en faveur de l'égalité femmes-hommes dans les champs de l'éducation nationale, de la santé, de l'emploi, de la vie politique et des violences faites aux femmes.
Le présent projet de loi complète et prolonge cette dynamique :
- il la complète en couvrant les grandes thématiques qui sont au coeur des inégalités entre les sexes : le meilleur partage des responsabilités parentales pour faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale ; la lutte contre la précarité des femmes, notamment celle des mères isolées ; la protection des femmes contre toutes les formes de violences ; la concrétisation de l'objectif constitutionnel de parité ;
- il la prolonge en inscrivant dans la loi la dimension intégrée de la politique d'égalité entre les femmes et les hommes. Une telle méthode dite de « loi-cadre » est sans précédent : pour la première fois, un projet de loi aborde le sujet de l'égalité entre les femmes et les hommes dans une logique transversale et non sectorielle.
Composé de vingt-cinq articles, le projet de loi est ainsi structuré :
- l'article 1er pose les fondements de l'approche intégrée de la politique pour l'égalité entre les femmes et les hommes, qui doit irriguer l'action de l'Etat, mais aussi celle des collectivités territoriales et des établissements publics ;
- le titre Ier comprend quatre articles destinés à favoriser l'égalité professionnelle à travers d'une part, un partage plus équilibré des responsabilités parentales, d'autre part, une meilleure conciliation entre vie familiale et vie professionnelle ;
- le titre II, qui comporte un article unique, vise à mieux protéger les parents vivant seuls avec leurs enfants contre les impayés de pensions alimentaires en améliorant les mécanismes de garantie existants ;
- le titre III, composé de onze articles, renforce les dispositifs de protection des femmes contre les violences et les atteintes à leur dignité ;
- les six articles du titre IV déclinent, dans la vie politique et la vie professionnelle, le principe constitutionnel de parité ;
- enfin, le titre V comporte deux articles précisant la date d'entrée en vigueur de certaines dispositions, ainsi que les conditions d'application du texte outre-mer.