Intervention de Yves Daudigny

Réunion du 24 juillet 2013 à 14h30
Réseaux de soins — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, les ordonnances ayant créé la sécurité sociale en 1945 ont fixé un principe toujours d’actualité : la participation des patients à leurs propres dépenses de santé. C’est pour financer et mutualiser ce reste à charge que les organismes complémentaires d’assurance maladie, les OCAM, se sont développés. Aujourd’hui, ils versent environ 26 milliards d’euros de prestations – nous avons là une petite nuance d’appréciation avec Mme la ministre ! –, ce qui représente 13, 7 % des dépenses de santé, tandis que la sécurité sociale continue d’en couvrir plus de 75 %.

Depuis 1945, la logique d’un complément permettant de couvrir les 20 % de ticket modérateur de l’époque et d’atteindre 100 % du tarif de la sécurité sociale constitue le fondement du développement des OCAM.

Or cette logique est dépassée dès lors que les remboursements de l’assurance maladie sont très faibles et que les prix sont libres, ce qui est le cas en optique, dans l’audioprothèse et pour les soins dentaires prothétiques, trois secteurs pour lesquels les remboursements des organismes complémentaires sont tout à la fois élevés et complètement déconnectés des tarifs de la sécurité sociale. Comme j’ai évoqué plus en détail ces secteurs dans mon rapport écrit, je n’y reviens donc pas.

En outre, malgré l’intervention des organismes complémentaires, les restes à charge – plusieurs centaines d’euros – sont lourds à supporter pour les patients. Qui plus est, la faculté des assurés de comparer et d’évaluer les offres qui leur sont faites est très réduite. Autant notre capacité à choisir une monture de lunettes est évidente, autant celle à sélectionner un type de verres est minime.

La dissymétrie entre l’information du patient et celle du professionnel est très élevée, alors même que les coûts sont peu transparents, puisque les prix d’achat des équipements et biens ne sont pas connus de l’assuré, et que le prix final varie sensiblement selon les produits, y compris dans une même gamme.

Dans ces conditions – liberté des prix et opacité de la formation de ces derniers –, comment accepter que les OCAM n’aient aucune marge de manœuvre et restent uniquement des financeurs aveugles ? Une telle voie serait tout bonnement irresponsable du point de vue des assurés eux-mêmes, lesquels sont amenés à payer in fine les cotisations.

Ainsi, il ne serait ni vertueux ni sain de restreindre les options que peuvent choisir les organismes complémentaires, à savoir soit l’augmentation des cotisations, soit la diminution des garanties contractuelles.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que les OCAM ont mis en œuvre différents outils que l’on appelle parfois, dans le jargon de la sécurité sociale, « de gestion du risque ». Ces outils ont plusieurs finalités : mieux maîtriser l’évolution de la dépense et diminuer le reste à charge, mais aussi contrôler la qualité de la prestation, ainsi que conseiller et orienter les adhérents.

Ce qui est généralement appelé un réseau de soins constitue l’un de ces outils. Constitué au travers d’un contrat passé avec un professionnel ou un établissement de santé, et il repose sur deux instruments principaux, qui peuvent être utilisés simultanément : la négociation de tarifs plus avantageux et un meilleur remboursement pour l’adhérent quand il consulte à l’intérieur du réseau.

L’ensemble des études et rapports disponibles militent pour le développement des réseaux de soins. Pas plus tard que la semaine dernière, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a pris position en faveur du développement de ces réseaux dans le cadre du rapport demandé par le Gouvernement sur les organismes complémentaires.

Venons-en maintenant aux dispositions de la proposition de loi.

L’article 1er tend à placer les mutuelles sur un pied d’égalité avec les institutions de prévoyance et les sociétés d’assurance. Le code de la mutualité n’autorise les mutuelles à instaurer des différences dans le niveau des prestations qu’elles servent à leurs adhérents qu’en fonction des cotisations payées ou de la situation de famille des intéressés. En mars 2010, la Cour de cassation a interprété strictement cette disposition, ce qui empêche les mutuelles de rembourser différemment un adhérent selon qu’il consulte au sein du réseau ou non.

Or rien dans le code des assurances ou dans le code de la sécurité sociale n’interdit cette possibilité aux assurances et aux instituts de prévoyance. Il existe donc une rupture d’égalité entre les familles de complémentaires qui ne se justifie aucunement, puisque l’ensemble des OCAM sont en concurrence. Après un débat fourni, la commission a approuvé l’article 1er de la proposition de loi sans modification.

L’article 2 est essentiel : il tend à poser les bases d’un encadrement du fonctionnement des réseaux de soins. Ajouté lors des débats à l’Assemblée nationale, cet article vise à fixer les principes que doivent respecter les conventions entre les OCAM, quels qu’ils soient, et les professionnels ou établissements de santé. Je les rappelle ici : libre choix du professionnel ou de l’établissement par le patient ; critères objectifs, transparents et non discriminatoires pour l’adhésion du professionnel ou de l’établissement à la convention ; absence de clause d’exclusivité.

L’Assemblée nationale a également ajouté que les conventions avec les médecins ne pouvaient pas inclure de stipulations tarifaires relatives aux actes et prestations de la sécurité sociale, ce qui couvre les honoraires et les autres rémunérations découlant de la classification commune des actes médicaux, de la nomenclature générale des actes professionnels ou des conventions négociées avec l’assurance maladie.

Les OCAM devront fournir une information complète à leurs assurés sur l’existence d’un conventionnement, ses caractéristiques et son impact sur leurs droits.

Enfin, l’ensemble de ces règles s’appliqueront non seulement aux nouvelles conventions, mais aussi à celles qui seront simplement renouvelées.

Durant l’examen de cette proposition de loi, j’ai souhaité trouver un équilibre entre des objectifs et des contraintes qui peuvent parfois apparaître comme contradictoires. Je m’étais fixé une ligne de conduite : créer les conditions d’une diminution du reste à charge des patients.

Aujourd’hui, il n’existe aucun encadrement des réseaux de soins : les OCAM peuvent proposer à tous les professionnels, y compris les médecins, des contrats portant sur n’importe quelle question.

Rejeter la proposition de loi revient à accepter que prévale une liberté contractuelle totale entre les OCAM et les professionnels. Je crois au contraire qu’il relève de l’intérêt général et de notre responsabilité de poser les principes que doivent respecter les réseaux dans leur fonctionnement. Pour éviter les éventuelles dérives que certains mettent en avant aujourd’hui, il faut légiférer : c’est ce que permet cette proposition de loi.

Parallèlement, si nous imposons trop de contraintes, nous encourons le risque d’une censure par le Conseil constitutionnel : dans sa décision relative au projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, le Conseil a érigé les principes de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle à un niveau inattendu, justement au sujet des complémentaires santé.

Au-delà de l’argument constitutionnel, il ne me semble pas illégitime, je le répète, qu’un organisme complémentaire puisse maîtriser un tant soit peu des dépenses financées par les cotisations de ses adhérents, mais dans un cadre prudentiel respectueux des libertés de chacune et de chacun.

Telles sont les lignes de force qui ont guidé les travaux de la commission. Celle-ci a modifié le texte de l’Assemblée nationale sur trois points substantiels.

Tout d’abord, la commission a souhaité préciser le champ des professionnels concernés et l’étendue du conventionnement. Elle a préservé la possibilité pour les OCAM de conclure des conventions avec l’ensemble des professionnels et établissements de santé. En effet, ces conventions sont d’abord un outil dans la lutte contre les restes à charge. Qui plus est, certaines d’entre elles peuvent porter sur des sujets tout à fait consensuels et importants pour nos concitoyens, par exemple le tiers payant.

Cependant, tous les professionnels ne se situent pas sur le même plan du point de vue de l’assurance maladie : la plupart d’entre eux relèvent de conventions nationales, qui jouent encore un rôle moteur et prédominant dans la régulation du système de santé, qu’il s’agisse des médecins, des infirmiers, des sages-femmes, des masseurs-kinésithérapeutes, pour ne citer que ces exemples ; pour d’autres, les dépenses de l’assurance maladie sont aujourd’hui minoritaires et, parfois, aucune convention nationale n’est en vigueur.

Plutôt que de désigner uniquement les médecins, sans critère objectif particulier, nous avons décidé que, lorsque les dépenses de l’assurance maladie sont majoritaires, des conventions peuvent exister, mais ne peuvent pas porter sur des stipulations tarifaires liées aux actes et prestations fixés par l’assurance maladie.

Nous avons, en outre, précisé la rédaction de l’Assemblée nationale en ce qui concerne les médecins. Cette profession est la seule, avec celle des chirurgiens-dentistes, à pouvoir pratiquer, dans certaines conditions, des honoraires libres. Alors que le Gouvernement et l’assurance maladie ont engagé des travaux pour lutter contre ces dépassements – je pense en particulier à l’avenant n° 8 qui se met lentement en place –, nous avons privilégié cette voie et prévu que les conventions des organismes complémentaires ne pourront pas avoir pour effet de moduler les remboursements selon que le patient consulte dans un réseau ou non. Cette question ne se pose pas pour les autres professions – infirmières, sages-femmes masseurs-kinésithérapeutes, etc. –, puisqu’elles sont contraintes et ne peuvent dépasser les tarifs fixés par la sécurité sociale. Nous restons donc bien dans la logique de « complément » que j’évoquais au début de mon intervention.

Le deuxième sujet concerne les réseaux ouverts ou fermés. La démographie des chirurgiens-dentistes et des audioprothésistes est en pratique limitée soit par un numerus clausus explicite, soit par un nombre de places restreint en école. En outre, il ne semble pas qu’un risque de surpopulation soit établi dans ces deux secteurs à l’avenir. C’est pourquoi nous avons estimé qu’un réseau fermé n’y est pas nécessaire ; en pratique, il n’en existe d’ailleurs pas.

En revanche, la situation démographique des opticiens-lunetiers est plus préoccupante : chaque année, environ 2 000 nouveaux diplômés sortent des écoles et le nombre total de professionnels a déjà crû de 53 % depuis 2005 ! En l’état, ce rythme est insoutenable pour la profession qui va elle-même se retrouver dans de grandes difficultés. Un réseau fermé peut donc se justifier dans l’optique, pour des raisons démographiques. Pour accepter de modérer leurs tarifs, les opticiens doivent avoir l’espérance de recevoir un nombre significatif d’assurés, ce que seul un réseau fermé permet.

La commission a donc décidé d’interdire les réseaux fermés, sauf en optique : ce dernier secteur connaît une situation tout à fait particulière par rapport à celle des autres professions, ce qui justifie une mesure spécifique.

Enfin, nous avons inscrit un principe complémentaire à ceux qui ont déjà été posés par l’Assemblée nationale : les conventions ne pourront pas avoir pour effet d’introduire des différences dans les modalités de délivrance des soins, ce qui interdit une éventuelle discrimination selon que le patient bénéficie ou non de tel ou tel réseau. Je vous proposerai d’améliorer la rédaction du texte de la commission sur ce point.

En conclusion, mes chers collègues, si nous devons répondre à l’urgence consistant à placer sur un pied d’égalité les trois familles de complémentaires, nous devons aussi poser les bases d’un encadrement des réseaux de soins, encadrement aujourd’hui totalement inexistant. La commission vous propose d’adopter la proposition de loi dans la rédaction résultant de ses travaux, tout en espérant que l’Assemblée nationale pourra alors l’approuver dans des termes identiques.

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