L’article 2 de la proposition de loi que nous examinons, bien que modifié par M. le rapporteur général lors des travaux de la commission des affaires sociales, nous conduit à nous interroger dans la mesure où, de toute évidence, le champ des réseaux de soins auquel sont associés des remboursements différenciés est bien plus vaste que celui qui est constitué par les trois domaines pris à chaque fois en exemple, à savoir le secteur dentaire, l’optique et l’audioprothèse.
En effet, si l’exposé des motifs de la proposition de loi visait explicitement les dentistes, les opticiens et les audioprothésistes, la rédaction actuelle fait référence aux professionnels de santé, aux établissements et aux services de santé. In fine, pourrait être concerné par ce texte l’ensemble des professions réglementées par le code de la santé publique, ainsi que les autres intervenants du secteur de la production de services de santé, soit, potentiellement, de multiples professions. Les propos de Mme la ministre ne nous rassurent pas sur ce point, en tout cas pour ce qui concerne l’avenir.
Je note d’ailleurs que cette proposition de loi permettra également aux organismes complémentaires, mutuelles comme assurances privées, de conclure des conventions avec des établissements de santé, sans que ces derniers se voient imposer des règles de bon sens, comme le respect des tarifs opposables. Or, si l’on veut défendre les patients, ne faudrait-il pas commencer par là ?
En réalité, sans l’avouer réellement, ce texte vise à permettre aux opérateurs économiques, qui viennent compléter, pour ne pas dire concurrencer, la sécurité sociale, de constituer un système parallèle de soins à l’américaine, dit HMO, Health Maintenance Organization. Je rappelle, pour mémoire, son fonctionnement : des organismes privés gèrent la protection sociale que les grandes entreprises accordent à leurs salariés. Ils agréent médecins et hôpitaux et surveillent les dépenses des patients, ainsi que les prescriptions des praticiens.
Or ce système entre en concurrence frontale avec les fondements et la visée même de notre système de protection sociale obligatoire issue des luttes sociales et de la Libération. Il va en revanche dans le sens du projet de directive élaboré par la Commission européenne, qui demande de lever toutes les barrières à une activité commerciale de santé, et exige une égalité de traitement entre tous les opérateurs économiques de santé, privés comme publics, ce que le groupe CRC continue de combattre.
Par ailleurs, il n’est pas possible de passer sous silence le mouvement centrifuge qui écarte du système de santé les populations les plus fragiles économiquement, notamment en raison du coût même des complémentaires, ni les risques possibles de restriction de l’offre dans les territoires ruraux, les réseaux ayant en effet tendance à se concentrer autour des centres urbains.
Voulons-nous un système reposant non plus sur l’universalité garantie par la loi, mais sur une logique de conventionnement ? C’est pourtant cette dernière qui est déjà mise en œuvre dans le régime obligatoire de base. Loin de faire preuve de son efficacité, elle démontre plutôt ses limites. Ainsi, le conventionnement, qui permet aux professionnels de santé de bénéficier d’une prise en charge partielle de leurs cotisations sociales, en contrepartie du respect des tarifs opposables, n’empêche et ne limite en rien l’explosion des dépassements d’honoraires, que nos concitoyens perçoivent à raison comme une discrimination tarifaire dans l’accès aux soins.
Qui plus est, la politique conventionnelle dont cette proposition de loi se réclame est avant tout destinée à la médecine générale et libérale. Elle correspond mal à d’autres formes de médecine, comme celle qui est pratiquée dans les centres de santé.
Ces derniers se sont d’ailleurs vu appliquer une tacite reconduction de la convention précédente, calquée pour l’essentiel sur ce qui est prévu pour les médecins généralistes. On ne prend donc pas en compte la plus-value qu’ils apportent au regard de l’accès aux soins et de la qualité de ceux-ci. De plus, on risque, par contrecoup, d’impacter le modèle économique des centres de santé. La Fédération nationale des centres de santé et même la Mutualité française, que nous avons reçue dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi, regrettent d’avoir été mises devant le fait accompli et auraient préféré qu’une véritable négociation puisse s’ouvrir avec les centres de santé.
Pour toutes ces raisons, le groupe CRC ne soutiendra pas cet article. §