Cependant, les éléments d’ores et déjà réunis par plusieurs gouvernements, mais aussi par les organisations humanitaires et plusieurs grands médias, notamment Le Monde et la BBC, vont tous dans le même sens : d’une part, ces armes ont bel et bien été utilisées ; d’autre part, le régime de Damas est a priori le seul à être en mesure de mener des attaques comme celle du 21 août dernier, dans les faubourgs de la capitale, où se concentre une partie des opposants démocrates à Bachar Al-Assad.
Les déclarations récentes, proprement surréelles, de M. Bachar Al-Assad à un quotidien français ne laissent guère de doutes quant à sa détermination meurtrière et à ce qu’il serait capable de faire en l’absence de réaction internationale.
Disons-le clairement : si nous persistons à ne rien faire face à la nouvelle montée en horreur du conflit, nous entérinons de fait la dépénalisation de l’usage des armes chimiques, que le régime syrien conçoit manifestement comme une arme conventionnelle, puisqu’il les a utilisées à plusieurs reprises, alors que leur prohibition constitue un pilier du droit international et humanitaire depuis la fin de la Première Guerre mondiale et la signature du Protocole de Genève, en 1925.
Si nous ne faisons rien, nous courons le risque de voir anéanties les composantes démocratiques de la rébellion –celles précisément qui ont été visées par le bombardement du 21 août –, ce qui laisserait alors la place à un face-à-face entre Bachar Al-Assad, appuyé par ses alliés iraniens et ceux du Hezbollah, et les composantes résolument anti-démocratiques de la rébellion.
Si nous ne faisons rien, nous courons le risque de voir l’ONU encore plus affaiblie qu’elle ne l’est déjà. Certains de nos collègues, sceptiques quant à l’opportunité d’une intervention internationale, considèrent qu’une telle action porterait un coup fatal à l’influence de l’ONU.
En réalité, c’est plutôt l’inaction qui constituerait le plus grand risque sur ce plan, car elle consacrerait le pouvoir de nuisance de pays tels que la Russie, qui abuse en permanence de son droit de veto au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. En empêchant depuis deux ans tout règlement politique du conflit, c’est bien ce pays qui a rendu possible la perpétuation des atrocités commises par le régime syrien.
Le débat que nous menons aujourd’hui ne s’achèvera pas par un vote, ce qui est après tout logique à ce stade, puisque beaucoup de paramètres peuvent encore changer. C’est la semaine prochaine que nous pourrons et devrons voter – les écologistes le demandent instamment –, une fois que ces paramètres auront été précisés.
À cet égard, je poursuivrai mon propos en évoquant trois points qu’il faudra impérativement approfondir avant une convocation ultérieure du Parlement.
Le Congrès américain devrait voter le 9 septembre prochain sur la participation des États-Unis à une intervention aérienne, ciblée et circonstanciée, participation à défaut de laquelle une action militaire française serait évidemment remise en question. Mais, quelle que soit la décision finale de nos alliés, il convient de mobiliser la communauté internationale sur ce dossier comme elle ne l’a jamais été jusque-là. À l’heure actuelle, plusieurs membres importants de la Ligue arabe, mais également la Turquie et le Japon, ont fait connaître leur soutien à une éventuelle opération, sans que l’on sache, pour le moment, comment ce soutien pourrait se traduire concrètement.
Mais il faut aller encore plus loin ! De grands pays émergents comme le Brésil doivent être approchés, pour voir dans quelle mesure leur position pourrait évoluer, compte tenu des derniers développements en cours. L’Union européenne doit se mobiliser en tant que telle et sortir de sa coupable torpeur.
Je mentionnai à l’instant les limites du Conseil de sécurité de l’ONU, mais il est frappant de constater que l’Assemblée générale de celle-ci, qu’aucun veto ne peut paralyser, reste elle aussi absente de ces débats. La France et ses partenaires doivent demander sa convocation en urgence afin de rappeler avec force l’interdiction du recours aux armes chimiques et de réclamer une enquête de la Cour pénale internationale sur les derniers bombardements. L’adoption probable d’une telle déclaration conforterait la volonté du Gouvernement d’intervenir. Un tel vote n’aurait certes pas le même poids qu’une résolution du Conseil de sécurité, mais il permettrait néanmoins de sortir quelque peu de l’insupportable situation de blocage qui affecte l’ONU depuis le début de ce conflit.
Il faut bien rappeler que les composantes démocratiques de l’opposition syrienne, en particulier l’Armée syrienne libre, réclament aujourd’hui une intervention de la communauté internationale. Ce n’était pas le cas voilà deux ans, car elles craignaient alors que le régime de Bachar Al-Assad n’instrumentalise à son profit une intervention extérieure. Aujourd’hui, cette partie de l’opposition réclame une telle intervention, et il est frappant de constater qu’elle est encore largement sous-équipée par rapport aux autres acteurs du conflit, en dépit des promesses de livraisons d’armes qui lui ont été faites. Qu’attendons-nous pour la renforcer et pour traiter véritablement les représentants de cette opposition démocratique comme des interlocuteurs pleinement légitimes ? À mon sens, c’est là une nécessité absolue si nous voulons que l’état des forces en présence puisse véritablement évoluer.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la rébellion syrienne a débuté en réaction au sort qui avait été réservé à des enfants de moins de 15 ans ayant un peu naïvement repris un slogan des révolutions arabes : « le peuple veut la chute du régime ». Cela leur valut d’être arrêtés et torturés… Deux ans plus tard, ce sont toujours les enfants qui sont les premières victimes de cette guerre ignoble. Leur mise en sécurité, ainsi que celle des millions de personnes déplacées, doit être désormais notre priorité, y compris d’ailleurs en dehors du théâtre d’opérations proprement dit.
Comment la France compte-t-elle participer aux efforts internationaux visant à accueillir les réfugiés syriens ? Le Gouvernement reviendra-t-il rapidement sur sa décision de janvier dernier de contraindre les ressortissants syriens se rendant par exemple aux États-Unis ou au Canada à demander des visas de transit aéroportuaire pour la moindre escale dans les zones d’attente de nos aéroports, ce qui a pour conséquence évidente de gêner la fuite de personnes déjà terriblement éprouvées ? Bien sûr, il s’agit là de mesures modestes au regard de celles que nous avons évoquées précédemment, mais une telle mise en cohérence avec les principes humanitaires les plus élémentaires me semble plus que nécessaire, alors même que la population syrienne paie le prix non seulement de la folie de son dictateur et de ses soutiens, mais aussi des erreurs commises par celles et ceux qui se disent à ses côtés.
Le groupe écologiste du Sénat salue la volonté du Président de la République de sortir de la terrible inaction internationale qui a jusqu’à présent prévalu à l’égard du drame syrien. Nous demandons aujourd’hui au Gouvernement de mettre à profit le court délai qui a été octroyé par les circonstances pour préciser les modalités de l’action de la France, élaborer d’éventuelles alternatives à une intervention aérienne, en complément ou en substitution à celle-ci si nos alliés venaient à y renoncer, et s’investir plus que jamais dans la préparation d’une conférence Genève 2, visant à réunir l’ensemble des parties prenantes pour ouvrir la voie à une transition que nous appelons toutes et tous de nos vœux. §