Intervention de Pierre Laurent

Réunion du 4 septembre 2013 à 16h00
Débat sur la situation en syrie

Photo de Pierre LaurentPierre Laurent :

La crise syrienne est devenue une terrible guerre civile, déclenchée, il y a plus de deux ans maintenant, par la brutale et sauvage répression lancée par le régime de Bachar Al-Assad contre son peuple et amplifiée depuis par l’internationalisation et l’ingérence militaire croissante des puissances régionales et internationales dans le conflit. La France n’a malheureusement pas été en reste.

Le drame syrien est donc aussi devenu une crise géopolitique internationale, dans une région, le Proche-Orient, où tous les conflits s’entremêlent.

Dans un tel contexte, ce qui est attendu de la France, c’est la capacité à proposer une perspective, une solution, un mode de règlement politique. Or ce qui se prépare, ce que vous nous invitez à soutenir, c’est l’inverse, à savoir une intervention militaire dont les risques sont énormes et qui, on le sait, ne résoudra rien. La France ne doit pas s’y engager. Elle doit choisir une autre voie d’action. Oui, la France doit agir, mais sûrement pas pour rajouter de la guerre à la guerre, du sang au sang.

Quel est le sens de l’entreprise de guerre que vous envisagez ? Punir le régime de Bachar Al-Assad ? Le « punir », dites-vous, pour empêcher que ne se renouvelle l’usage des armes chimiques. Quelle est la pertinence de ce choix, quelle est son efficacité réelle ? Quelles en seront les conséquences, quelle sera son utilité pour faire progresser l’indispensable solution politique dont le Président de la République affirme lui-même qu’elle reste la seule véritable issue ?

Peut-on bombarder la Syrie, des objectifs militaires, des infrastructures civiles, comme ça, pour « marquer le coup », juste « pour voir », comme au poker, sans s’appuyer sur la légalité du droit international et un mandat de l’ONU, sans évaluer les risques d’un embrasement régional, notamment au Liban où, dans les faits, il a déjà commencé avec une succession d’attentats, de représailles et de vengeances, sans mesurer les conséquences pour les civils syriens, les représailles possibles du régime, sans veiller au sort de nos deux otages dans ce pays ? Ne les oublions pas !

Le degré supplémentaire franchi dans l’horreur par l’usage massif d’armes chimiques justifie, selon vous, que la France entre à son tour ouvertement dans la guerre. Mais pour aller où ?

L’usage des armes chimiques est inqualifiable. C’est un crime effrayant et insoutenable. Il inscrit ceux qui l’ont commis dans la violation manifeste des conventions qui les interdisent : ceux-là devront en rendre compte quand les responsabilités seront clairement établies de manière internationale.

La France, comme membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, a le devoir de remettre tous les éléments dont elle dispose à la mission d’enquête de l’ONU et au Conseil de sécurité pour que ceux-ci établissent officiellement les responsabilités. À cet égard, j’estime qu’en tant que parlementaires, c'est-à-dire représentants d’un pays membre du Conseil de sécurité, nous devrions éviter les déclarations qui, comme j’ai pu l’entendre ici, traitent par-dessus la jambe le travail des inspecteurs de l’ONU.

La France déclare détenir des preuves, et nous les prenons au sérieux, mais rien ne la dispense de tenir compte des résultats de la mission d’enquête de l’ONU, rien ne l’autorise à pouvoir prétendre « punir » seule, sauf à contribuer ainsi elle-même à discréditer la légalité internationale.

Comme le notait déjà la commission d’enquête internationale indépendante dans le rapport remis à l’ONU au mois de juin dernier, « la Syrie est en chute libre, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité sont une réalité quotidienne en Syrie. Personne n’est en train de gagner la guerre et personne ne la gagnera ». Face à l’amplification des crimes, qui dure depuis des mois, avant même l’attaque chimique, la France doit inlassablement travailler à trois objectifs : tout faire pour que cessent les hostilités ; ramener tous les belligérants, syriens et internationaux, autour de la table des négociations ; imposer une solution politique négociée qui garantisse une transition de la Syrie vers la justice et la démocratie exigée par son peuple.

L’escalade guerrière que vous nous proposez tourne le dos à ces trois exigences. Elle rajoutera de la guerre à la guerre et nous éloignera de la solution politique et négociée incontournable.

Les autorités françaises mesurent-elles avec suffisamment d’attention et de prudence les expériences désastreuses des guerres en Irak, en Afghanistan ou en Libye, conflits que personne dans le monde ne peut oublier ? Chaque fois, on a prétendu imposer, par la force, une « solution » en prenant, selon la formule consacrée, « toutes les mesures nécessaires ». Or les gouvernements coalisés n’ont finalement récolté que la poursuite de la crise, une déstabilisation profonde, voire le chaos.

Le syndrome d’un modèle d’intervention libyen, mené par le pouvoir sarkozyste dont on mesure pourtant aujourd’hui les effets désastreux, a malheureusement dramatiquement marqué la diplomatie française dans la crise syrienne. Est-ce qu’avec ces guerres la démocratie a progressé ? Est-ce que la sécurité s’est renforcée ? Est-ce que les relations et les institutions internationales en sont sorties consolidées ?

Que de questions sans réponse ! Que de risques majeurs sans vision politique digne de ce nom ! Que d’échecs tragiques et stratégiques dont on ne tire pas les leçons !

Encore une question : le peuple syrien, première victime de cette crise, n’est-il pas en réalité le grand oublié de cette tragédie

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion