C’est en ces termes que le problème se pose.
À mes yeux, il faut avoir toutes ces données à l’esprit, tirer les leçons de l’histoire et ne pas faire un parallèle qui ne serait pas exact.
Cela étant, l’exemple irakien est également intéressant d’un autre point de vue. Sur ce plan, nous nous retrouvons avec les Russes, avec lesquels nous parlons. Je rencontrerai, demain, mon homologue Lavrov à Saint-Pétersbourg. Je retournerai d’ailleurs en Russie la semaine suivante, car nous avons divers dossiers à traiter. M. Jean-Pierre Chevènement a du reste accompli un travail tout à fait remarquable pour tenter de développer, sur le plan économique, les relations franco-russes.
Concernant la Syrie, les Russes et nous nous rejoignons sur un point, même si nous n’en tirons pas pour le moment les mêmes conclusions. Lorsque nous leur demandons pourquoi ils soutiennent le régime syrien, les Russes nous répondent : nous n’avons pas d’affection particulière pour M. Bachar Al-Assad, mais nous voulons éviter le chaos. Nous sommes parfaitement d’accord ! Sauf que le chaos, c’est aujourd’hui !
Allons un peu plus loin : bien sûr, ce sont les Syriens qui décident, mais quelle est la grande difficulté ? On le comprend bien, il n’y a pas d’avenir pour une Syrie démocratique avec M. Bachar Al-Assad. Mais il faut que, parallèlement à son remplacement, une solution soit déterminée, qui ne signifie pas la destruction de toute une série d’éléments qui servent de piliers au régime. Sinon, nous nous trouverons face à la solution irakienne, qui n’en est pas une ! En Irak, l’intervention a abouti à des catastrophes. Comme un orateur l’a souligné, les morts s’y accumulent chaque jour, et, aujourd’hui, la situation y est épouvantable.
Toutefois, nous divergeons avec nos collègues russes – pour le moment en tout cas – sur le constat suivant : à nos yeux, si la situation actuelle perdure, s’il n’y a pas de négociation, la Syrie sera prise entre deux extrémismes, et elle explosera, y compris sur le plan géographique.
Si l’on est de bonne volonté, il faut donc que l’on puisse bâtir ensemble une solution, dans le cadre de laquelle M. Bachar Al-Assad sera, nous l’espérons, affecté à d’autres tâches, où les alaouites n’auront pas à craindre d’être détruits, où les communautés minoritaires – chrétiennes ou autres – seront protégées, où les sunnites et les Kurdes seront respectés, et où la Syrie restera aussi unitaire que possible. C’est une grande tâche, c’est un grand rêve, mais c’est cela notre objectif. Je le souligne en réponse aux interrogations portant sur l’objectif de notre diplomatie.
La question de la légalité est très compliquée et très difficile. Elle a donné lieu à des échanges. Il est parfaitement exact que, dans la rigueur des textes, dont la France se fait le défenseur, une intervention doit être organisée dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations unies. C’est là une position constante de la France.
Cela étant, nous sommes placés face à une situation d’impossibilité. Pourquoi ? Parce que le massacre commis viole le droit de la guerre lui-même – c’est, en tout cas, la position du gouvernement français.
Évidemment, on rétorquera : un mort, c’est un mort. Mais il s’agit là d’une exaction qui, à ce jour, est totalement interdite internationalement.
Il existe un droit de la guerre. Certes, le bon sens conduit à considérer que c’est la guerre elle-même qui est hors la loi. Mais il existe des éléments si graves, si gravissimes que l’ensemble de la communauté internationale les a mis hors la loi. Il s’agit d’un domaine étroit, dont les armes chimiques font partie. Bachar Al-Assad a employé ces dernières. Il faut donc réagir : c’est un impératif.
Parallèlement, il faudrait normalement passer par le Conseil de sécurité. Or on sait que c’est impossible, puisque la Chine et la Russie disent non. Ce n’est pas un refus théorique : ces deux pays ont opposé par trois fois leur veto !
Ces deux propositions sont donc de sens exactement contraires.
D’un côté, il faut absolument réagir, sous peine d’emporter toutes les conséquences déjà énumérées ; de l’autre, si l’on passe par le chapitre VII de la Charte des Nations unies, c’est impossible.
Nous pourrions dire : « C’est compliqué, nous verrons cela dans quelques années ». Non ! En nous appuyant sur une lecture du protocole de 1925, sur la définition du crime contre l’humanité et sur d’autres éléments, en tenant compte de la situation – nous voudrions la modifier, cependant, même si la France est une grande puissance, il n’est pas en notre pouvoir d’ordonner aux Russes et aux Chinois de changer d’avis –, nous disons que pour respecter la loi internationale telle qu’elle est définie en matière d’armes chimiques il peut exister, sauf si ces puissances modifient leur position – ce qui serait souhaitable – une disposition d’exception, et nous le regrettons. Nous ne voulons évidemment pas que cela constitue un précédent. Je ne vais pas chercher une interprétation qui serait juridiquement erronée.
J’en arrive à la question négociation-guerre. Plusieurs d’entre nous, notamment MM. Pierre Laurent et Jean-Pierre Chevènement, ont évoqué la guerre, la guerre, la guerre ! Je n’ai pas recensé le nombre de fois où ils ont employé ce mot dans leurs interventions.
Si l’on veut avoir une discussion qui permette d’avancer, il ne faut pas travestir la position que l’on veut combattre. Il n’y a pas d’un côté ceux qui veulent la guerre, soit beaucoup d’entre vous et le Gouvernement, et, de l’autre, ceux qui demandent une négociation internationale afin d’arriver à la solution. Non !
Tout d’abord, même si tout cela est très délicat, nous souhaitons une sanction ciblée. Lorsque le Président de la République s’exprimera, il dira ce qu’il souhaite, mais il est clair pour nous, expressis verbis, qu’il n’y aura pas de troupes au sol. Il s’agit donc bien d’une sanction et d’une dissuasion par rapport à un acte précis commis en matière d’armes chimiques.
Ensuite, la négociation, tout le monde est pour. Mais le problème, c’est de l’engager et qu’elle réussisse. Nous ne cessons de plaider pour cela. Mon cher ami Pierre Laurent, au bas de « Genève I » figure la signature de Laurent Fabius. C’est moi qui tenais la plume. Alors que l’on ne me dise pas aujourd’hui que nous avons été contre Genève I !