Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 4 septembre 2013 à 16h00
Débat sur la situation en syrie

Laurent Fabius, ministre :

Il y avait alors autour de nous le Russe, l’Américaine, c’était une femme à l’époque, le Britannique, etc. Mais aucun Français, ensuite, n’a dit refuser Genève I !

Concernant « Genève II », je tiens à dire aux sénateurs et aux sénatrices, de sorte que nous discutions de faits précis, qu’il s’agit d’une initiative des Russes et des Américains, menée avec notre approbation, visant un objectif bien précis : réunir à Genève un certain nombre de parties avec pour objet « la constitution par consensus d’un gouvernement de transition qui disposera de la totalité du pouvoir exécutif ».

Cela signifie qu’à l’époque où Genève II a été proposée, et alors que M. Bachar Al-Assad était peut-être moins flamboyant que ces dernières semaines, son but était de réunir, par consentement des deux parties, c’est-à-dire, d’une part, l’opposition et, d’autre part, Bachar Al-Assad, un groupe de travail visant à mettre sur pied un gouvernement de transition auquel seraient transférés les pouvoirs de M. Bachar Al-Assad.

Croyez-vous, cher ami, que dans les circonstances actuelles M. Bachar Al-Assad enverrait ses représentants à Genève II dont l’objet est de former un gouvernement de transition visant à le dessaisir de ses propres pouvoirs ? Malheureusement non !

Aussi, l’objectif de la France, que nous avons déjà commencé à développer – la diplomatie, souvent, est chose plus discrète que ce que l’on en voit à la télévision –, avec les Russes, avec les Chinois, avec les parties, y compris avec mon collègue iranien, qui m’a appelé et auquel j’ai parlé l’autre jour, est de déterminer comment faire venir les puissances concernées à une discussion afin que l’on sorte de ce blocage.

S’il n’y a aucune réponse à cette affaire d’armes chimiques, je crains fort, c’est même une certitude, que M. Bachar Al-Assad ne dise non, et que l’opposition, qui pour l’instant a accepté d’envoyer des représentants à Genève, ne considère que l’utilisation d’armes chimiques, les 1 500 personnes gazées, et l’absence de sanction internationale rendent difficile la tenue d’une discussion. Or je souhaite qu’elle ait lieu.

Ce sera donc l’objet des échanges dans les couloirs du G20, car ce n’est pas l’objet du sommet lui-même, comme plusieurs d’entre vous l’ont rappelé. Il se trouve cependant que beaucoup de responsables se réunissent, nous allons par conséquent discuter. Ensuite, cela tombe bien, une réunion de l’ensemble des ministres européens aura lieu vendredi et samedi. On avance ! Quelle que soit la grandeur de la France, à laquelle, tous, vous concourez, il n’est toutefois pas en notre pouvoir de dire : « C’est comme ça, et tout le monde s’aligne ! » Voilà la réalité.

Je tiens à le répéter afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, et le Président de la République l’a dit encore ce matin en conseil des ministres dans une déclaration rendue publique, nous pensons que la solution est politique et non militaire. Mais, en l’occurrence, la sanction permet d’avancer sur le plan de la négociation.

Sur le suivisme, l’isolement et l’Europe, nous n’allons pas nous disputer sur les mots. La question est de savoir si la cause est juste. Nous pensons que c’est une cause juste.

Il y a un certain nombre de pays qui non seulement le pensent, mais acceptent de s’engager, physiquement, allais-je dire. C’est le cas de la France, une fois que tous les éléments auront été réunis ; c’est le cas des États-Unis, sous réserve que le Congrès vote positivement ; c’était également le cas du gouvernement britannique, mais le Parlement a dit non. Il peut bien sûr y avoir d’autres puissances, et nous souhaitons qu’il y ait le maximum de participants.

En ce qui concerne l’Europe, cependant, j’ai parlé au téléphone avec tous mes collègues, Mme Ashton fait ce qu’elle doit faire… Mais si l’Europe de la défense existait, comme beaucoup d’entre nous le souhaitent, nous le saurions. Nous y sommes favorables, mais actuellement elle n’existe pas.

Que me disent mes collègues dans leur immense majorité, voire dans leur totalité ? Ils me disent que c’est bien sûr horrible, que le responsable est bien évidemment M. Bachar Al-Assad, qu’il faut bien sûr une sanction, mais que, tout en étant à nos côtés, ils ne participeront pas. Pourquoi ? Une bonne partie d’entre eux n’ont pas les éléments militaires pour cela, je ne rentrerai pas dans le détail de ce que nous ferons s’il y a sanction, mais la plupart d’entre eux ne disposent pas des éléments nécessaires. Ils peuvent donc nous soutenir, mais ils ne peuvent participer. Pour d’autres, comme les Allemands, une participation n’entre pas dans leur tradition constitutionnelle. Nous avons déjà parlé des Britanniques.

On verra ce qui sortira de nos réunions de vendredi et de samedi, mais je pense que la quasi-totalité de ces pays émettront à la fois une condamnation et une volonté de sanction. Nous voudrions bien sûr aller plus loin. Mais aujourd’hui l’état des choses ne le permet pas, c’est toute la question de la défense européenne.

On ne peut donc parler d’isolement. Il n’existe d’ailleurs pas beaucoup de pays dans le monde qui peuvent avancer dans ce domaine. Mais vous voyez bien le soutien, à quatre abstentions près, de l’ensemble de la Ligue arabe, comme de beaucoup de pays, on en a compté trente-cinq ou cinquante et un, je ne sais plus. Cependant, la participation matérielle est évidemment une autre question.

Je terminerai en reprenant le début de l’intervention forte de votre collègue M. le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, avec lequel j’entretiens des relations d’amitié.M. Jean-Pierre Raffarin, qui, chacun le sait, a le sens de la formule, a dit : notre impuissance, c’est le grand sujet.

En effet, mon cher collègue et ami, mais où est l’impuissance ? On pourrait vous répondre que l’impuissance c’est d’expliquer avec force pourquoi il faut intervenir et ensuite de fixer des conditions qui rendent cette intervention impossible. Voilà la définition de l’impuissance.

Je peux faire miennes beaucoup de vos objections, mais au bout du bout, il faut trancher. Cela pose la question du vote. Je pense honnêtement que le vote aujourd’hui n’aurait pas eu grand sens. Sur quoi, en effet, auriez-vous pu voter ? Il n’aurait d’ailleurs pu qu’être conditionnel.

Comme le Président de la République l’a dit hier et répété ce matin, il rassemble tous les éléments de la décision, c'est-à-dire ce qui se passe sur le terrain et au plan international, avec, évidemment, la position du Congrès américain. Non parce qu’il s’agirait d’une dépendance, mais parce qu’elle est un élément de cette décision, c’est une évidence aveuglante. Personne d’entre vous, même les plus ardents, n’a soutenu que la France, comme on dit, y aille seule !

Je ne sais pas quand le Congrès prendra sa décision, lundi, mardi, ou jeudi. Une fois que l’ensemble des éléments seront en sa possession, le Président de la République prendra sa décision et s’adressera aux Français. Cela ne signifie pas qu’il ne peut y avoir un élément parlementaire, nous ne l’avons pas exclu, mais ce n'est pas ce que prévoit la Constitution. Le Président de la République prendra sa décision.

J’entends bien les arguments de part et d’autre, et il faut les avoir à l’esprit. Conformément à une définition réputée moderne, il faut, plusieurs d’entre vous l’ont dit, associer le Parlement. Si l’on demande aux Français s’ils souhaitent que ce soit le cas, la réponse est, je crois, assez largement positive.

Dans le même temps, d’autres considérations doivent être prises en compte. Cela n’a pas été beaucoup exprimé ici, mais je sais que de nombreux responsables le gardent à l’esprit : dans le concert des nations, du côté des régimes autoritaires, lorsque le Président ou le Premier ministre énonce ce qu’il va faire, il n’y a pas beaucoup d’interrogations sur la position qu’adoptera le Parlement. Du côté des démocraties, dont nous nous honorons d’être, c’est plus compliqué.

Jusqu’à présent, conformément à la logique de la Ve République, que l’on peut d’ailleurs contester, lorsque le Président dit quelque chose en matière d’engagement militaire, il n’y a pas un nota bene ajoutant « sous réserve de l’avis du Parlement ». Il s’agit donc d’un arbitrage à faire, qui n’aura pas nécessairement valeur de jurisprudence, mais je pense que nous tous, responsables français souhaitant la grandeur et le rayonnement de la France, nous devons aussi avoir cet élément à l’esprit. Cet arbitrage est très compliqué et je ne sais pas ce qu’il sera. À mes yeux, il faut soumettre cela à la réflexion de l’ensemble de nos compatriotes, sinon on ne considère qu’une seule partie du sujet.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne sais si j’ai été trop court ou trop long. En tout cas, si j’ai été trop long, je vous prie de m’en excuser ; si j’ai été trop court, je vous prie aussi de m’en excuser. §

Pour conclure, et en vous remerciant à nouveau de la qualité de ce débat, j’aimerais insister sur trois observations.

Premièrement, pour ce qui est des faits, je pense que la contestation n’est pas possible. En France, nous sommes très prudents – souvenez-vous de l’affaire irakienne ; pourtant, pour tous ceux qui ont suivi l’affaire de près, en particulier les parlementaires membres des commissions compétentes, mon collègue Le Drian, moi-même et les autres ministres, le Premier ministre et le Président de la République, la contestation est impossible : il y a eu un massacre chimique et c’est le régime de Bachar Al-Assad qui en est à l’origine.

Deuxièmement, nous pensons qu’il faut une sanction et que ce problème concerne la France : parce qu’il s’agit d’une région éruptive et que, si on laisse faire sans réagir, il n’y aura plus aucune limite, mais aussi parce que nous pourrions nous-mêmes être directement concernés, compte tenu de la nature de ces armes et des capacités des vecteurs.

Troisièmement, – c’est, en fin de compte, la question sur laquelle notre débat a surtout porté – nous pensons que l’action, à condition qu’elle soit bien proportionnée et que nous ne nous engagions pas dans ce qu’on appelle la guerre, non seulement n’est pas contradictoire avec la solution politique qui est nécessaire, mais qu’elle en est une condition. Sans action, en effet, nous craignons que rien ne bouge.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les précisions que je souhaitais vous apporter. Je remercie beaucoup le Sénat ; une fois de plus, il a justifié son nom de Haute Assemblée !

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