Une seconde raison aurait dû conduire à une totale liberté d'intervention dans le débat. En effet, non seulement le sujet est unique et d'une extrême gravité, mais le texte nous arrive au terme d'une procédure trop rare au sein du Parlement sous la VeRépublique : une proposition de loi de l'Assemblée nationale, déposée par un groupe de députés après une année d'auditions, et votée à l'unanimité.
Il est bon de considérer que, sur un sujet aussi difficile, l'Assemblée nationale est arrivée à ce résultat pour encadrer, améliorer, humaniser les pratiques médicales qui accompagnent les fins de vie.
Disant cela, j'indique déjà mon orientation sur le vote final et ce qui m'a dissuadé de déposer des amendements. Non pas que ce texte soit parfait, loin de là ! Même s'il est de bonne facture et s'il comporte de nombreuses avancées significatives, il s'arrête en chemin, comme l'ont fort justement fait remarquer de nombreux sénateurs de gauche.
De fait, ce texte ne répond pas à la demande de mort volontaire adressée au corps médical par un patient gravement atteint et demeuré lucide, emmuré dans une survie inhumaine, mais dont le pronostic vital n'est pas défavorable à un horizon rapproché. Il n'apporte pas de solutions aux centaines de Vincent Humbert qui peuplent nos hôpitaux. Et pourtant, il est né de cette prise de conscience qu'a suscitée le geste du docteur Chaussoy et de Marie Humbert, la maman : donner la mort comme une délivrance... Donner la mort, après avoir donné la vie...
On dira que l'on touche ici à l'intime de l'être, et c'est vrai. On objectera surtout que l'interdit de donner la mort est le fondement de notre société. Evidemment ! Il n'empêche que les progrès fulgurants de la science médicale et, plus encore, l'évolution des esprits face à la souffrance indicible ont changé les mentalités.
L'idée chemine que le droit de choisir le moment de sa mort en cas de grande vieillesse ou d'altération profonde des facultés physiques et intellectuelles, et de bénéficier, si nécessaire, de l'aide médicale pour y parvenir, fait partie des nouveaux droits de l'homme, à condition, bien sûr, que la société sache codifier cette pratique pour exclure toute forme d'euthanasie généralisée.
J'ai conscience en disant cela qu'il s'agit d'une rupture profonde avec l'héritage des religions monothéistes ; il en irait autrement, d'ailleurs, s'il s'agissait des religions orientales. Et je pressens que c'est l'une des nouvelles frontières, l'une des nouvelles formes d'accomplissement du principe de laïcité, dont le sens ne se résume pas à la séparation des Eglises et de l'Etat.
Je mesure le poids de la tradition et le chemin qui reste à parcourir. Tel est mon choix. Je comprends cependant sans peine que d'autres, ayant des options philosophiques ou religieuses différentes, ne veuillent pas emprunter cette voie, pour le moment. C'est pourquoi, logique avec moi-même, je voterai ce texte en l'état, ce qui ne m'empêchera pas, à l'occasion de la discussion des amendements, de préciser ma pensée sur les améliorations substantielles qu'il apporte à l'accompagnement des malades en fin de vie et à l'exercice du si noble et si difficile métier de médecin et de personnel soignant.
Pour la suite, il restera à donner un contenu à la formule du comité consultatif national d'éthique : « inventer l'exception d'euthanasie ».