Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 12 avril 2005 à 21h30
Droits des malades et fin de vie — Article 1er

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nombre de mes collègues, je me réjouis que la Haute Assemblée puisse débattre aujourd'hui de la fin de vie et de l'euthanasie. Cela n'a pas toujours été le cas, tant ce sujet était tabou, et ce malgré l'investissement et la ténacité de parlementaires tels que Henri Caillavet et, plus récemment, Pierre Biarnès.

On nous propose ici « une loi pour laisser mourir sans faire mourir », selon le propos de Jean Leonetti. Je reconnais volontiers que cette proposition de loi constitue une avancée : pour les médecins, d'abord, et, dans une moindre mesure, pour les malades. Elle est l'aboutissement d'un long travail parlementaire initié à la suite du geste d'amour d'une mère, Mme Humbert, puis d'un médecin, le docteur Chaussoy, qui a ému et bouleversé le pays tout entier. Car c'est une question de société qui s'est alors posée : était-il juste que nous laissions une personne seule face à la responsabilité de donner la mort à son fils, dans la plus totale illégalité, unique moyen pour elle de faire respecter sa volonté de mourir ? Etait-il juste que ce geste d'amour relève toujours, aux yeux de la loi, de l'assassinat ?

C'est tout à l'honneur du Parlement de s'être saisi de cette question, sauf qu'il n'y répond pas vraiment, puisqu'il laisse de côté le cas de Vincent Humbert.

Or le rapporteur de la commission des affaires sociales nous propose d'adopter le texte en l'état, au motif qu'il représenterait un point d'équilibre indépassable. Il ne me semble pas que la lecture à l'Assemblée nationale ait suffi à régler toutes les questions soulevées par ce dispositif législatif au point que celui-ci ne serait pas perfectible : ne serait-ce que sur le plan rédactionnel, des points sont à améliorer. C'est d'ailleurs ce que nous allons vous proposer, mes chers collègues.

Je regrette d'autant plus le positionnement de la commission qu'il aboutit à clore le débat au fond avant même qu'il ait commencé. Cette proposition de loi ne doit pas être une porte qui se ferme, ne serait-ce que parce qu'un tel sujet exige des garanties quant à son suivi et son évaluation.

Ce texte ne doit pas être une porte qui se ferme, en outre, parce que Vincent Humbert n'était pas un cas isolé. Il existe d'autres Vincent Humbert qui attendent la fin de leur calvaire dans un corps qui n'est plus vécu que comme un cercueil. Et il est de notre devoir de parlementaires d'éviter à d'autres Marie Humbert, à d'autres docteurs Chaussoy, de se mettre hors la loi pour faire cesser ce calvaire.

Je ne veux heurter la conscience de personne dans cet hémicycle, mais, je vous le dis comme je le pense dans mon for intérieur : si nous n'apportons aucune réponse à ces situations-là, nous prolongerons ce calvaire.

C'est également prolonger une hypocrisie et une inégalité flagrante car, comme l'a écrit le docteur Chaussoy : «ce que Vincent et Marie ont dû réclamer à cor et à cri, jusqu'au drame que l'on sait, tout enfant, mari ou femme de médecin l'aurait obtenu, sans être obligé d'en appeler au Président de la République, et de rameuter les médias de la France entière. »

Mais certains me diront que l'actuelle rédaction de la proposition de loi apporte une réponse. Ainsi, dans son rapport, notre collègue Gérard Dériot écrit-il que le texte « affirme clairement désormais, pour tous les malades, l'interdit de l'obstination déraisonnable qui s'apparente à l'acharnement thérapeutique ». Il poursuit en prévoyant que le cas de « personnes gravement handicapées dont le pronostic vital n'est pas engagé, mais qui estiment la qualité de leur vie humainement intolérable » sera vraisemblablement évité si l'on renonce, par exemple, « à réanimer une fois supplémentaire une personne lourdement handicapée, alors qu'elle ne l'aurait pas souhaité » ; et qu'enfin « en permettant formellement au malade, quel que soit son état de santé, d'exiger l'interruption des traitements ou d'obtenir du médecin qu'il y procède, dans le respect des procédures applicables » les articles 4 et 5 « apportent une réponse pertinente à ces souffrances particulières. »

Mais cette analyse ne correspond pas au vécu, et encore moins à la volonté de Vincent Humbert, qui ne voulait pas de cette mort-là, indigne et inhumaine de son point de vue.

Notre société n'aurait donc rien d'autre à offrir, comme solution ultime, que l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation, sachant que, pour des patients qui ne sont pas en fin de vie, la fin risque d'être longue et douloureuse, avant de relever, en dernier ressort, d'une prise en charge en soins palliatifs, les malades succombant peut-être alors du double effet induit par le traitement de la douleur ?

Tout le monde s'accorde à reconnaître que ce texte met fin à une hypocrisie, notamment avec la reconnaissance du « double effet », mais nous en créons une nouvelle à l'égard des autres Vincent Humbert.

C'est précisément, ce que, pour notre part, nous cherchons à éviter par nos différentes propositions. Permettez-moi de regretter que notre assemblée ne soit pas mûre pour nous suivre.

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