Merci Madame la présidente. Mes chers collègues, en France, en 2010, 51 500 personnes faisaient l'objet d'une décision de soins sans consentement, et environ 800 étaient placées dans une unité pour malades difficiles (UMD) pour une durée moyenne de douze mois. Les malades soignés sans leur consentement constituent, heureusement, une faible minorité des malades pris en charge par les établissements psychiatriques, moins de 20 %. Néanmoins, les enjeux en termes de libertés publiques font que le régime juridique qui encadre la prise de décision concernant l'obligation de soins fait l'objet d'un débat important dans lequel les exigences constitutionnelles pèsent aujourd'hui de manière déterminante. Par l'intermédiaire de questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer à cinq reprises sur les dispositions législatives concernant l'hospitalisation sans consentement, entraînant des bouleversements majeurs dans le régime juridique défini par la loi de 1838, loi qui était demeurée quasiment sans changement jusqu'en 1990.
Le coeur de la loi de 1838 est la possibilité pour le préfet d'ordonner l'hospitalisation complète d'une personne atteinte de troubles mentaux et présentant un danger pour les personnes ou troublant gravement l'ordre public. Cette décision, sans contrôle du juge, était destinée par ses promoteurs, les médecins disciples de Pinel, à permettre la prise en charge médicale la plus rapide possible. C'était donc à l'origine une loi à visée sanitaire, tournée vers le bien des malades.
Cent soixante-quinze ans après, les progrès de la psychiatrie nous permettent et nous imposent de rapprocher le plus possible la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux et incapables, du fait même de leur pathologie, de consentir aux soins, de celle de tous les malades.
Si l'obligation de soins peut avoir une vertu thérapeutique en elle-même, forcer certains à une prise de conscience, les atteintes portées à la liberté des patients ne peuvent excéder ce qui est strictement nécessaire aux soins. La seule autorité compétente pour ce faire est le juge. Dans sa décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010 le Conseil constitutionnel a imposé sa saisine systématique lors des décisions de soins sans consentement, ainsi que son contrôle sur le maintien des personnes en hospitalisation complète. Cette réforme profonde des soins sans consentement a été mise en oeuvre par la loi du 5 juillet 2011. Malgré les difficultés matérielles importantes qu'elle a créées pour le greffes et les juges des libertés et de la détention, devant lesquels le contentieux a été uni, elle s'est mise en place sans difficulté majeure grâce à l'implication de tous les acteurs.
Sur ce point, donc, il convient de se féliciter de la réforme mise en oeuvre en 2011. D'autres aspects, cependant, ont fait d'emblée polémique. Deux points ressortent particulièrement de nos longs débats en commission, sous la houlette de Muguette Dini, puis en séance publique, avec notre regretté collègue Jean-Louis Lorrain qui avait accepté la charge du rapport.
Tout d'abord, une innovation demandée par plusieurs psychiatres, demande reprise par l'Igas en 2005 : la création de soins ambulatoires sans consentement. L'idée est celle d'une prise en charge ambulatoire assortie de contraintes permettant de garantir le suivi du traitement prescrit. Afin de la mettre en oeuvre, la loi de 2011 a séparé la décision de soins sans consentement du contenu des soins. Ceux-ci ne passent donc plus nécessairement par l'hospitalisation. La notion d'hospitalisation d'office (HO) a donc été remplacée par celle de « soins sans consentement à la demande du représentant de l'Etat ». Un document spécifique, le protocole de soins, a été créé en 2011 pour définir le contenu des soins sans consentement imposés à une personne en ambulatoire. Nombreux sont ceux qui reconnaissent l'intérêt que pourrait présenter une prise en charge ambulatoire assortie de contraintes. Mais comme le soulignait Muguette Dini en 2011 : « Soit ce dispositif n'est qu'un changement sémantique et il est inutile, soit c'est autre chose et nous n'en percevons pas la portée exacte ». Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 20 avril 2012, a confirmé cette analyse, en affirmant que les soins ambulatoires sans consentement ne pouvaient se traduire par aucune mesure de contrainte. En pratique donc, il n'y a pas plus de moyens d'obtenir l'observance d'un traitement ambulatoire sans consentement que d'un traitement ambulatoire consenti.
L'autre point ayant fait l'objet d'importants débats était les contraintes supplémentaires mises en place pour mettre fin aux soins sans consentement pour les personnes placées en UMD ou y ayant dans le passé fait un séjour. Le projet de loi conférait en conséquence un statut légal à ces unités hospitalières. L'intention du Gouvernement de l'époque était de permettre de limiter le risque posé par les malades jugés les plus dangereux pour autrui. Dans sa décision du 20 avril 2012, le Conseil constitutionnel a estimé que ces mesures, telles que prévues, n'offraient pas de garanties suffisantes en matière de protection des libertés. D'une part, le juge constitutionnel a censuré les dispositions limitant la levée des mesures de soins sans consentement pour les personnes placées ou ayant été placées à un moment donné de leur parcours de soins antérieur en UMD, en raison de l'absence de définition législative des conditions et des formes d'entrée dans ces unités. D'autre part, pour les personnes déclarées irresponsables pénalement, les dispositions restreignant la levée des soins sans consentement ont été annulées, car elles n'établissent pas de distinctions entre les personnes à raison des faits commis.
Plusieurs possibilités s'offraient au législateur : ne rien faire, compléter le dispositif ou enfin, le réformer.
Ne rien faire signifiait qu'à l'issue du délai prévu par le Conseil constitutionnel, le 1er octobre 2013, on en revenait au droit commun antérieur à la loi de 2011, qui ne prévoyait pour aucune catégorie de personnes des mesures particulières restreignant la sortie des soins sans consentement. Ceci pouvait se défendre, notamment dans une perspective purement médicale. Les mesures prendraient fin quand les psychiatres jugeraient qu'elles ne sont plus nécessaires si, par exemple, l'état du malade est stabilisé et qu'il accepte les soins.
La deuxième possibilité était de compléter le système. Elle supposait de reprendre au niveau législatif les conditions d'entrée dans les UMD et, pour les personnes déclarées pénalement irresponsables, de limiter les mesures restreignant la sortie des soins sans consentement aux patients ayant commis les faits les plus graves.
C'est la troisième voie qu'ont choisie l'Assemblée nationale et le Gouvernement. En effet, aucune des deux autres solutions n'est parfaitement satisfaisante. Il peut en effet être légitime que certains malades fassent l'objet d'une vigilance accrue des pouvoirs publics. Parfois, l'actualité nous le montre malheureusement régulièrement, des ruptures de soins entraînent le passage à l'acte de malade avec des conséquences dramatiques. Pour autant, la plupart des personnes ayant fait l'objet de soins sans consentement ne présentent plus, après avoir été prises en charge, aucun risque pour les tiers. Du point de vue psychiatrique, il convient de distinguer entre les malades n'ayant jamais connu de passage à l'acte violent et ceux qui ont déjà franchi une fois cette limite. C'est ce que fait la proposition de loi qui nous est transmise par l'Assemblée nationale. Les mesures restreignant la sortie des soins sans consentement sont limitées aux personnes ayant été déclarées irresponsables pénalement mais ayant accompli des actes contre les personnes susceptibles d'une condamnation d'au moins cinq ans de prison ou des actes contre les biens susceptibles d'une condamnation d'au moins dix ans.
La proposition de loi fait également le choix de supprimer le statut légal des UMD créé en 2011, afin de les faire rentrer à nouveau dans le droit commun des services hospitaliers. Ce choix a fait débat. Je tiens simplement à préciser que les UMD n'offrent aucun type de soins particulier : ce sont des services de soins intensifs dotés d'un personnel plus nombreux que les services de psychiatrie générale qui accueillent l'immense majorité des personnes faisant l'objet de soins sans consentement. C'est pour cette raison qu'il n'en existe que dix en France et qu'elles possèdent très peu de lits. Mais la thérapeutique dispensée ne se distingue nullement des autres services. Tant du point de vue thérapeutique, qu'au niveau des contraintes en matière de libertés publiques, distinguer les UMD par un statut spécifique ne se justifie donc pas et pour ma part, je partage le choix fait par l'Assemblée nationale.
En l'état donc, les articles 4, 8 et 9 de la proposition de loi répondent à la décision du Conseil constitutionnel et doivent être adoptés avant le 1er octobre.
Les autres articles de la proposition de loi proposent de réformer la loi de 2011 sur d'autres points que ceux censurés par le Conseil constitutionnel. Deux sujets principaux sont abordés : le rétablissement des sorties d'essai, supprimées par la loi de 2011 et la simplification des procédures administratives et juridictionnelles. Ces mesures, j'ai pu le vérifier lors des auditions, font l'objet d'un large consensus parmi les acteurs.
J'en viens maintenant à une description rapide du contenu du texte.
L'article 1er propose une nouvelle réaction, plus claire, de l'article L. 3211-2-1 du code de la santé publique sur les formes que peuvent prendre les soins psychiatrique sans consentement. Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l'article précise que les soins ambulatoires sans consentement ne peuvent entraîner de mesures de contrainte.
L'article 2 rétablit les sorties d'essai. La loi de 2011 en avait supprimé les fondements légaux en raison des abus que suscitait le régime antérieur de sorties de trois mois renouvelables indéfiniment. Le régime proposé par l'article 2 de la proposition de loi encadre donc fortement la durée de ces sorties qui ne pourront excéder quarante-huit heures.
L'article 3 précise dans quelle mesure il est possible de recourir à la contrainte dans le cadre des soins sans consentement.
L'article 4 prévoit des règles spécifiques, plus contraignantes, en matière de mainlevée de la mesure de soins, pour les personnes déclarées pénalement irresponsables mais ayant commis des actes susceptibles d'une condamnation à cinq de prison pour atteinte aux personnes ou à dix ans de prison pour atteinte aux biens.
L'article 5 prévoit une décision obligatoire du juge des libertés et de la détention au plus tard douze jours après le début de l'hospitalisation complète puis, si celle-ci est maintenue, au plus tard six mois après le début de l'hospitalisation.
L'article 6 pose le principe selon lequel les audiences du juge des libertés et de la détention doivent avoir lieu dans l'établissement d'accueil. Il prévoit deux exceptions. D'une part avec la possibilité de mutualiser une salle d'audience entre plusieurs établissements. D'autre part avec un recours très encadré à la visioconférence.
L'article 6 bis apporte une précision sur la procédure d'appel.
L'article 7, très attendu par les psychiatres et les responsables d'établissement, procède à une rationalisation du nombre de certificats médicaux nécessaires lors d'une hospitalisation complète.
L'article 7 bis demande un rapport sur la dématérialisation du registre tenu pour les admissions en soins sans consentement.
L'article 8 prévoit la procédure de sortie des soins sans consentement et, s'agissant des personnes autres que les irresponsables pénaux, donne le dernier mot au juge en cas de désaccord entre le psychiatre en charge du malade et le préfet.
L'article 9 supprime le régime légal des UMD qui rentrent ainsi dans le droit commun.
L'article 10 précise le régime applicable aux personnes détenues faisant l'objet d'une décision de soins sans consentement.
Les articles 11 et 12 prévoient des dispositions relatives à l'outre-mer ainsi qu'aux dates d'entrée en vigueur des dispositions du texte.
Je partage très largement les choix faits par l'Assemblée nationale. Tant sur la réponse apportée à la décision du Conseil constitutionnel que sur les modifications complémentaires de la loi de 2011, j'estime, comme la totalité des personnes que j'ai auditionnées, que ce texte apporte des avancées importantes et qu'il ne serait pas compréhensible qu'on le rejette. Plusieurs des personnes auditionnées souhaitaient aller plus loin. Mais, au-delà même des conditions dans lesquelles nous sommes amenés à l'examiner, ce texte a nécessairement une portée limitée. Il ne concerne qu'une infime minorité de malades et les enjeux beaucoup plus vastes de la psychiatrie et de la santé mentale, qui doivent être traités, ne peuvent l'être que dans le cadre qui leur est adapté : un chapitre spécifique d'une loi de santé publique.
Je pense donc qu'il ne serait pas raisonnable d'insérer de nouvelles dispositions dans ce texte au seul motif qu'il s'agit d'un véhicule dont l'urgence garantit l'adoption rapide.
Pour autant, à l'issue des auditions que j'ai pu mener, grâce à la disponibilité des différents acteurs, il m'apparaît qu'un certain nombre de points peuvent encore être précisés et que des principes doivent être réaffirmés. Les soins sans consentement sont d'abord destinés à permettre aux malades atteints de pathologies lourdes qui altèrent leur jugement d'accéder aux soins. Comme me l'a dit un psychiatre « la première des libertés est celle du discernement sans laquelle toutes les libertés ne sont qu'une supercherie ». Rétablir le discernement des malades, telle est la mission qu'ont acceptée les équipes soignantes. Dès lors, dans le prolongement du travail approfondi fait par l'Assemblée nationale, j'ai cherché à renforcer la dimension médicale des soins sans consentement. Des échanges particulièrement denses avec le contrôleur général des lieux de privation de liberté m'ont également amené à faire des choix qui me paraissent garantir le respect des droits fondamentaux de nos concitoyens.
Le texte que nous allons examiner est nécessaire. Il est attendu et je vous propose que le Sénat joue son rôle en essayant de l'améliorer.