Les amendements défendus à l'instant par MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Guy Fischer consacrent le droit de la personne à obtenir une aide active à mourir en l'associant étroitement à la notion de dignité.
Je connais les réticences d'un certain nombre d'entre vous, mes chers collègues, quant à l'acceptation du droit à mourir dans la dignité et à la liberté qu'elle confère à l'homme de décider de sa mort.
Ainsi, monsieur le rapporteur, vous refusez - vous l'avez dit hier matin en commission - la reconnaissance du droit à bénéficier d'une euthanasie, considérant qu'« une reconnaissance de l'euthanasie ne refléterait pas nos valeurs sociales fondamentales ». Faut-il encore s'entendre sur ce que l'on met derrière le terme « euthanasie ».
Néanmoins, sur des sujets aussi sensibles - on pourrait même dire aussi intimes -, les certitudes, les croyances des uns et des autres sont respectables et méritent l'attention. Nous transportons tous notre part de vécu et d'expérience personnels lorsque nous sommes confrontés à des questions éthiques. C'est pourquoi, dans le respect des convictions de chacun, nous proposons, par cet amendement, une voie médiane.
Cet amendement n'en est pas moins fondamental. Il est même indispensable, car il répond à la situation qui fait que nous sommes ici aujourd'hui.
Nous l'avons déjà dit, ce texte a cela de paradoxal qu'il résulte de la survenance de l'affaire Vincent Humbert, mais qu'il n'aurait pas permis à ce dernier, comme vient de le dire M. Michel Dreyfus-Schmidt, de voir son souhait exaucer. La proposition de loi ne permet en effet pas de résoudre le cas des grands handicapés qui manifestent la volonté d'abréger leur vie sans pouvoir y parvenir par eux-mêmes.
Par cette proposition de loi, la société leur concède qu'elle ne s'acharnera pas à les faire survivre coûte que coûte avec un attirail de machines à vivre et de thérapeutiques et qu'elle les laissera mourir. Cependant, derrière le « laisser mourir », que vous jugez acceptable, à la différence du « faire mourir », auquel on jette l'anathème, on oublie souvent de dire - ou peut-être ne veut-on pas l'entendre - que les êtres ne sont pas égaux face à la mort et à la souffrance, d'autant que mourir prend du temps.
Dans le cas de Vincent Humbert, le « laisser mourir » aurait signifié lui retirer sa sonde gastrique, c'est-à-dire le laisser mourir de faim, lui proposer - comme si lui et sa mère ne vivaient pas suffisamment de détresses, de souffrances - de prendre encore « son mal en patience ». Mais Vincent Humbert ne voulait plus souffrir ; il ne voulait pas imposer une détresse et une angoisse supplémentaires à sa mère.
L'attente et le temps : imaginez-vous, mes chers collègues, ce que cela représente pour les familles, les hommes et les femmes qui sont confrontés à ce type de situation ? Savez-vous combien de temps aurait duré l'agonie du jeune Vincent ? Pour Terry Schiavo, cela a duré quatorze jours ! Alors, que l'on cesse de nous mentir ! Dans le cas de Vincent, un jeune homme de vingt-deux ans dans la pleine force de l'âge, cela aurait pu durer de nombreux jours, voire plusieurs semaines.
Le respect de la volonté de la personne, cette dernière liberté, ce choix intime, pourquoi et comment la société peut-elle continuer de les nier et, dans une grande hypocrisie, accepter que ses citoyens obtiennent ce qu'ils souhaitent dans des pays voisins du nôtre, notamment en Belgique, voire leur proposer une telle solution ?
C'est pourquoi notre amendement offre la possibilité à certains malades de choisir cet accompagnement ultime et en confie la responsabilité au médecin.
Notre amendement vise donc à ajouter aux quatre cas exonérant les médecins de poursuites pénales prévus dans cette proposition de loi - refus de l'obstination déraisonnable, principe du « double effet », limitation ou arrêt de traitement pour les personnes conscientes en fin de vie ou non, limitation ou arrêt de traitement pour les personnes inconscientes en fin de vie ou non - un cinquième cas : l'aide médicalisée pour mourir.
Il n'est pas question ici de « dépénaliser l'euthanasie » ; il s'agit d'encadrer dans le code de la santé publique, pour certaines situations - souffrance physique ou psychique constante insupportable, non maîtrisable ... -, et dans des circonstances précises, une aide à mourir soumise à des conditions strictes. Cette aide ne peut être prodiguée que par un médecin et dans le respect d'une procédure collégiale. Elle ne peut être apportée que lorsque la volonté et le consentement de la personne sont clairs, libres et réitérés.
Ce que nous vous proposons, c'est de ne pas se contenter du « laisser mourir », et de permettre à la « compassion et à la sollicitude » de s'exprimer à travers un geste humaniste : la délivrance de la souffrance.
J'anticipe sur le débat qui se déroulera sans doute entre vous, en précisant que, considérant que l'aide active à mourir ne relève pas d'un principe général, mais découle plutôt de l'expression de la volonté du malade, nous avons fait le choix, par cet amendement, d'insérer un nouvel article dans la section 2 du code de la santé publique, créée par cette proposition de loi. Nous concevons le droit que confère cet amendement comme une possibilité exceptionnelle mais minimale.
Pour conclure, je tiens à saluer, au nom du groupe socialiste, Mme Humbert, qui assiste à cette séance dans nos tribunes. Elle nous regarde, elle vous regarde ! Devant elle, vous n'avez pas à être fiers de la tournure que vous donnez à ce débat.