Mesdames, messieurs les sénateurs, je désire intervenir à ce stade du débat, avant que nous n’examinions plusieurs articles qui traitent du crédit renouvelable et du crédit en général.
Je crois en effet utile de bien expliquer la position du Gouvernement. Des réponses éparses ne permettraient pas de mesurer la cohérence de notre approche de l’encadrement du crédit, après les leçons que nous avons tirées des progrès liés à la loi Lagarde, ni les avancées que nous allons réaliser – je l’espère ! – avec la création du registre national des crédits aux particuliers.
Notre politique du crédit à la consommation traduit non pas simplement une volonté de visser, de verrouiller ce type de crédit, comme j’ai pu l’entendre, mais une logique qui associe lutte contre le surendettement et politique de soutien à l’économie. Je voudrais vous en donner les principaux axes.
Lorsque l’on aborde la question du bon encadrement du crédit renouvelable, il faut, me semble-t-il, prendre en compte les évolutions qui se sont produites depuis quelques années pour bien comprendre la dynamique à l’œuvre. Avec ce projet de loi, l’intention du Gouvernement est de compléter le dispositif existant, de poursuivre le renforcement des contraintes et de combler les vides qui posent encore problème et que la plupart d’entre vous ont identifiés. Cependant, il ne faut pas remettre en cause le produit en lui-même.
Certes, il y a le crédit renouvelable qui endette, mais il y a aussi celui qui offre un instrument utile pour effectuer des petits achats. Ce dernier est largement utilisé tous les jours par des millions de nos concitoyens sans soulever aucune difficulté, sans provoquer les drames humains évoqués. C'est l’utilisation exagérée du crédit renouvelable qui conduit à des situations individuelles dramatiques.
Le crédit renouvelable est une composante importante du crédit à la consommation, qui lui-même est utile aux consommateurs et constitue un appui important à la consommation et à la croissance. Pour nombre de commerçants et d’enseignes, le crédit renouvelable est une composante de leur offre commerciale. Il permet d’offrir des solutions à des clients qui souhaitent acquérir les biens et les services qu’ils commercialisent. Par le couplage de cette offre de crédit avec des programmes de fidélité, il leur permet aussi de conserver un lien avec leurs clients, de les tenir au courant de leurs offres commerciales et, le moment venu, de faciliter leurs démarches d’achat. Cette remarque m’amènera à évoquer la question des cartes « confuses », autrement dit du lien entre cartes de fidélité et cartes de crédit.
Bien utilisé et bien encadré, le crédit renouvelable est donc un outil utile pour les consommateurs et pour les commerçants. Il leur apporte un avantage mutuel, que le Gouvernement ne souhaite pas remettre en cause.
Néanmoins, l’encadrement de ce produit est pendant trop longtemps resté insuffisant, conduisant à son développement de manière démesurée et déraisonnable. Le crédit renouvelable est ainsi devenu la seule offre de crédit sur le lieu de vente, au détriment des crédits amortissables. Profitant du lien entre crédit et fidélité, certaines enseignes ont eu tendance à pousser à l’endettement, à l’insu du client qui n’avait pas toujours conscience que la carte avec laquelle il payait était une carte de crédit.
Pis encore, le recours au crédit renouvelable s’est aussi développé pour effectuer certains achats alors que dans ces cas de figure, son emploi est totalement contre-indiqué : ainsi, on ne doit pas souscrire un crédit renouvelable pour financer des travaux de rénovation ou pour acheter un véhicule neuf, par exemple.
Ces dérives, qui résultaient d’un cadre législatif et réglementaire clairement insuffisant, appelaient des mesures fortes. Elles ont nourri le mal-endettement et le surendettement de nombreux ménages qui ont été piégés par un crédit renouvelable mal encadré et mal vendu, ou plutôt bien vendu par le commercial, mais de façon injustifiée car il a précipité le souscripteur dans le surendettement.
La loi Lagarde de 2010 a apporté une première série de réponses. Elle a durci le régime du crédit renouvelable et répondu aux principales dérives constatées. Je rappelle certaines de ses mesures, que l’on a tendance à ne pas suffisamment intégrer dans notre raisonnement à cause de l’adoption récente de ce texte et de l’entrée en vigueur effective de ses dispositions encore plus récente. Il faut pourtant bien les avoir en tête quand on aborde ce sujet.
Je rappellerai ainsi que lorsqu’un client demande la carte de fidélité d’un magasin, il est pleinement et sans ambigüité informé du fait que cette carte est accompagnée d’un crédit. Il doit faire l’objet d’une vérification de sa solvabilité. Celle-ci se déroule lors d’un entretien d’au moins une vingtaine de minutes avec un vendeur qui doit avoir reçu une formation précise dont le contenu est encadré par des exigences réglementaires.
Lors de ce débat, nous relèverons sûrement le fait que les déclarations sont établies sur la bonne foi de celui qui demande le crédit. Or il arrive souvent que, confronté à un faible revenu ou une situation sociale difficile, le client mente à celui qui lui vend un crédit. C'est alors qu’il peut être précipité vers le surendettement.
Une logique consiste à montrer du doigt celui qui ment, parce qu’il serait responsable d’une faute morale, mais, nous le savons, celle-ci est commise sous la pression, en raison d’une situation sociale difficile. En réalité, il s’agit non pas d’une faute morale, mais d’une faute résultant de difficultés budgétaires de la famille, de la situation des enfants. Ce sont souvent des familles monoparentales – dirigées, dans la plupart des cas, par des femmes –, qui sont poussées à acheter du crédit à la consommation.
Mais le crédit à la consommation n’a pas vocation à être utilisé pour payer le loyer, les dépenses courantes ou les factures, et nous devons lutter contre cette tendance. Certes, des progrès ont été réalisés, mais ils sont encore insuffisants.
J’en reviens à la procédure de l’octroi d’un crédit. Une fois sa demande effectuée et sa solvabilité vérifiée, le client est doté d’une carte dont le fonctionnement même a été strictement encadré. Contrairement à ce qui se passait auparavant, il doit pouvoir utiliser sa carte pour payer au comptant et son autorisation expresse doit être requise pour payer à crédit. Aujourd’hui, plus aucun client ne peut se retrouver dans la situation de payer à crédit avec une carte de fidélité sans savoir qu’il a un crédit et qu’il est en train de l’utiliser, ce qui constitue déjà un progrès par rapport au passé.
Les prêteurs ont également désormais l’obligation de vérifier régulièrement la situation de solvabilité du client et de « couper » les crédits de ceux qui n’ont plus les moyens d’y faire face.
Par ailleurs, dans l’éventualité où un consommateur doté d’une carte de crédit renouvelable ne l’utiliserait pas, celle-ci est résiliée au bout de deux ans d’inactivité de sorte que plus aucun client ne se retrouve dans la situation d’être doté d’un crédit ne correspondant pas à sa situation de solvabilité et à son besoin.
Enfin, les conditions économiques du produit ont aujourd’hui été considérablement durcies. Les seuils de l’usure ont été revus, ce qui a conduit, notamment, à la disparition des crédits renouvelables de gros montants. Les rythmes de remboursement ont été encadrés pour que le consommateur ne paye pas des intérêts sur des périodes longues sans jamais rembourser de capital.
Toutes ces mesures ont provoqué un changement de la façon dont le crédit renouvelable fonctionne et est commercialisé en France. De portée forte, elles ont permis de mettre un terme à ce que l’on appelait alors les cartes « confuses », c’est-à-dire des cartes de fidélité dont les clients ne comprenaient pas le fonctionnement et qui les conduisaient à s’endetter sans s’en rendre compte et surtout sans limite dès lors qu’ils étaient tentés d’utiliser un crédit facilement mis à leur disposition.
Aujourd’hui, ces cartes ne peuvent plus donner de telles facilités d’endettement et ne peuvent plus prêter à confusion ou, en tout cas, beaucoup moins qu’auparavant. Un seul chiffre illustre ce changement : actuellement, seuls 5 % des paiements effectués avec ces cartes sont des paiements à crédit, les 95 % restants étant des paiements au comptant. C'est une évolution considérable.
Bien que ce sujet soit donc déjà très largement traité, j’ai souhaité que le projet de loi relatif à la consommation renforce encore le dispositif de la loi de 2010, qui avait laissé « des trous dans la raquette » réglementaire.
Pour ce qui concerne l’offre faite au client sur le lieu de vente, pour les achats dépassant 1 000 euros, le projet de loi prévoit que le client se voit obligatoirement proposer une offre alternative au crédit renouvelable. Ce dispositif devra être bien précisé car tant la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de répression des fraudes que le mouvement consumériste ont observé qu’il ne fonctionne pas à l’heure actuelle. Il constitue donc un moyen de s’assurer que, outre le crédit renouvelable, on propose aussi des crédits amortissables qu’il s’agit, ainsi, de faire revenir sur le lieu de vente.
Quant à la vérification de la situation du client, il manquait un élément essentiel au dispositif en vigueur, à savoir le RNCP, le registre national des crédits aux particuliers. Le présent projet de loi comble ce vide en créant cet instrument essentiel qui, demain, permettra d’éviter que ne soient distribués sur les lieux de vente des crédits renouvelables à des clients qui en ont déjà plusieurs. Comme on le constatera ultérieurement, il s’agit d’éviter la fuite en avant de certains clients : le crédit de trop constitue un problème bien connu.
Enfin, lors des débats à l’Assemblée nationale, les députés ont adopté un amendement tendant à ce qu’un crédit renouvelable inactif soit résilié au bout d’un an, et non plus deux ans. Ainsi, on resserre encore la contrainte pesant sur le crédit renouvelable : cette seule mesure fera disparaître 8 millions de ces crédits…Ce n’est pas négligeable !
Nous avons également décidé de réduire de huit à cinq ans la durée des plans de recouvrement et d'effacement de la dette.
Comme vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, une fois ce projet de loi adopté, l’ensemble des mesures qu’il comporte constituera un paquet réglementaire très important et surtout très efficace pour s’assurer que le crédit renouvelable ne donne plus lieu aux dérives qui lui ont été associées dans le passé.
Je le comprends, certains d’entre vous voudraient aller plus loin et souhaitent, notamment, une stricte séparation entre cartes de fidélité et cartes de crédit, afin de lutter de nouveau contre les cartes « confuses ». Mais que ce soit bien clair : désormais, grâce à la création du RNCP, dès lors qu’une carte de fidélité sera associée à une carte de crédit autorisant un crédit renouvelable, comme le vendeur sera obligé de vérifier la solvabilité du client, il saura si ce dernier peut ou non souscrire un tel crédit. Ainsi, l'existence du RNCP règle de facto le problème de la politique des cartes « confuses ».
Selon moi, eu égard aux mesures les plus récentes et à celles qui figurent dans le projet de loi, il convient pourtant de ne pas aller trop loin pour chercher à régler un problème qui, au fond, n’existe plus car la plupart des grandes enseignes ont pris l’initiative de proposer, à côté des cartes qui associent cartes de crédit et de fidélité, une carte de fidélité sèche.
Je veux maintenant vous faire part de ma première conviction, en tant que ministre chargé de la consommation. Voilà un certain temps, lors d'une conférence de presse portant sur le crédit, j’avais placé en exergue la question de la carte « confuse », pensant toucher au sujet principal et je n’étais pas, alors, le plus convaincu de la nécessité de créer un registre national des crédits aux particuliers.
Puis, à la faveur d'observations faites sur le terrain, telles qu’elles m'ont été rapportées par les acteurs de la lutte contre le surendettement, j’ai changé d'avis. Nous avons alors travaillé sur la création du RNCP en nous attachant à ce qu’il puisse fonctionner juridiquement.
En effet, c'est une chose de susciter l'espoir, notamment celui des associations travaillant dans le domaine de la lutte contre le surendettement, mais c'en est une autre d'arriver à faire fonctionner un registre, qui comporte plus de dix millions de noms – c'est, comme le dit le Conseil d'État, un « méga-fichier » –, au service de la lutte contre le surendettement.
Finalement, en réfléchissant et en œuvrant à l’élaboration des dispositifs que nous voulons créer, j’ai pu mesurer à quel point cette question de la carte « confuse » est loin de concentrer tous les problèmes, notamment ceux qui concernent l'utilisation du crédit renouvelable auxquels sont confrontés les ménages les plus vulnérables.
Cela étant, je soutiendrai certains amendements. Je pense notamment à l'amendement n° 430 de Mme André qui propose à mes yeux un compromis entre vos attentes et celles du Gouvernement.
Sur la question de la résiliation, je ferai de même à l’égard d’un amendement, déposé par Mme Létard, qui vise à prévoir que, à l’issue d’un an d’inactivité d’un contrat de crédit renouvelable, les lignes dormantes de ce crédit seront non pas supprimées mais suspendues. Cette mesure me paraît constituer un compromis intelligent : elle concilie notre volonté de ne pas laisser perdurer ces lignes dormantes et le souci d'éviter que le consommateur ne perde le bénéficie des points de fidélité accumulés et, surtout, de lui permettre de conserver la possibilité – sous réserve d'un contrôle de solvabilité fait à partir du RNCP – de réactiver le crédit renouvelable. Il s'agit là d'une mesure d'équilibre entre soutien à la consommation et protection contre le surendettement.
Certes, je le reconnais, mesdames, messieurs les sénateurs, mon intervention a été un peu longue, parfois un peu lourde, mais ce dossier du crédit s'apprécie à la manière d'un tableau impressionniste : il faut prendre un peu de recul par rapport à un tel travail qui joue à la fois sur le registre, l'offre alternative, les lignes dormantes et la durée des plans de redressement. L'approche est globale et justifie d'être présentée comme telle. Elle dessine une politique du crédit, dont le Gouvernement s'attache à ce qu’elle soit beaucoup plus protectrice du consommateur français, dans le sillage des progrès réalisés dans le passé, notamment avec la loi Lagarde.