Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Réunion du 16 septembre 2013 à 15h00
Égalité entre les femmes et les hommes — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Najat Vallaud-Belkacem, ministre :

Pour la première fois, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, un projet de loi s’attaque de manière transversale et globale à tous les enjeux de l’égalité entre les femmes et les hommes : l’égalité professionnelle, la lutte contre les violences et les stéréotypes sexistes, la lutte contre la précarité, l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités politiques, sociales et professionnelles, avec une parité qui ne s’appliquera plus seulement au champ politique, mais à toute la société.

Cette façon de présenter les choses n’est pas qu’une nouveauté formelle, elle illustre une conception nouvelle : nous affirmons, avec ce texte, que l’égalité est un tout, un ensemble cohérent de causes et de conséquences, qui part de l’éducation et de la responsabilité parentale pour aller jusqu’aux violences, dans les plus dramatiques des cas, en passant par l’égalité professionnelle. C’est au des inégalités entre les sexes que s’attaque ce texte en fixant quatre priorités très claires : l’égalité au travail et dans la famille, la lutte contre la précarité sociale des femmes, la lutte contre les violences, la mixité et la parité partout.

D’abord, faire progresser l’égalité professionnelle est une priorité, parce qu’il s’agit de la clé de toutes les émancipations, de l’autonomie et de la liberté, avec l’objectif d’une répartition des tâches plus équilibrée au sein des ménages pour favoriser l’emploi des femmes : je veux parler de l’égalité domestique, sans laquelle l’égalité au travail ne reste qu’une illusion pour la majorité des femmes.

La réalisation de cet objectif passe nécessairement par une nouvelle organisation des responsabilités parentales, et donc par une réforme ambitieuse du congé parental. En effet, nous le savons toutes et tous, c’est bien l’arrivée d’un enfant qui réactive et réinstalle les femmes et les hommes dans leurs rôles prédéterminés, ces rôles où les femmes, les mères, accomplissent 80 % des tâches domestiques et aménagent leur carrière pour faire face aux doubles journées qui sont, en réalité, une double vie.

La réforme du congé parental est centrale dans ce texte, car elle est ce nœud où les inégalités se resserrent si durement qu’elles contraignent, pour toujours, la carrière des femmes. Un chiffre suffit pour s’en convaincre : une femme sur quatre prend un congé parental à la naissance d’un enfant, au risque de connaître ensuite un décrochage salarial de 10 % par année d’interruption. Une femme sur quatre prend ce risque, alors que ce n’est le cas que d’un homme sur cent !

À force d’échanges, de réunions, de témoignages, notre conviction s’est formée : si le congé parental, formidable droit offert aux salariés d’être des parents dans le même temps, représente à ce point un risque unilatéral pour les femmes, c’est précisément à cause de cette répartition si déséquilibrée dans les habitudes qu’elle finit par jouer non plus seulement comme une conséquence logique d’un libre choix, mais comme une justification à grande échelle des moindres opportunités professionnelles offertes aux femmes. Si nous créons les conditions pour que les hommes participent autant que les femmes aux premiers mois de l’enfant, c’est d’abord pour faire reculer, diluer ce risque qui pèse sur les carrières des secondes.

Les hommes subissent aussi leurs propres entraves dans un tel système, si profondément spécialisé selon le sexe. C’est la stigmatisation sociale qui entoure leurs velléités, leurs revendications d’investir leur parentalité à part entière. C’est l’accueil si réservé, si mitigé, pour ne pas dire suspicieux, réservé à leurs demandes d’aménagement du temps de travail quand arrive un enfant. C’est le regard curieux qui accompagne leurs envies de prendre le mercredi, pour les rares pionniers qui s’y sont attaqués.

Simone de Beauvoir disait : « On libérerait l’homme, en libérant les femmes ». Eh bien, oui, l’égalité, aujourd’hui, consiste, d’abord, à donner aux pères la liberté d’être pères, pour donner aux mères la liberté d’être autre chose que des mères !

Oui, cette réforme du congé parental, les Françaises et les Français la souhaitent : neuf Français sur dix l’appellent de leurs vœux. C’est un formidable signe que l’égalité est en marche et que, pendant trop longtemps, ce ne sont pas les Français qui ont été en retard sur leur temps : ce sont les politiques que nous avons conduites qui ne leur ont pas permis d’être au rendez-vous de leurs justes aspirations.

Parce que nous voulons privilégier ce qui leur est le plus cher, la vraie liberté de choix, nous proposons un système souple et pragmatique qui repose tout entier sur une logique d’incitation. Pour le premier enfant, six mois s’ajouteront aux six mois actuels, à condition qu’ils soient pris par le deuxième parent. À partir du deuxième enfant, une période de partage sera instaurée – aujourd’hui fixée à six mois sur les trois ans – et dont le bénéfice sera réservé au deuxième parent.

On peut attendre de cette réforme que les pères soient six fois plus nombreux à s’impliquer dans la vie de famille et domestique par ce biais, soit 100 000 pères en congé parental partagé d’ici à 2017, contre 18 000 actuellement chaque année, soit 100 000 femmes qui expérimenteront un peu plus les conditions de l’égalité réelle, 100 000 femmes qui participeront à nouveau au marché du travail chaque année, générant ainsi à leur profit revenus et cotisations sociales.

Cette mesure est un point de départ, elle donne un élan, une dynamique : l’objectif, vous l’avez compris, c’est le changement des comportements, la construction d’un nouveau modèle dans lequel la liberté de choix est celle des familles et non plus la simple servitude volontaire des femmes, seules face au poids et à l’inertie des habitudes. Commettons-nous une ingérence en nous introduisant dans l’intimité des familles ? Je ne le crois pas. Notre proposition crée, au contraire, les conditions d’un libre choix pour chaque famille. Elle s’adapte à tous les modèles et elle autorise tous les modèles.

Un autre défi est de corriger les incohérences du dispositif actuel de congé parental. J’entends parfois dire que notre réforme mettra des familles dans l’impasse en les privant de droits en cours d’année, sans possibilité d’inscription à l’école avant trois ans. C’est faux !

La question des enfants nés en début d’année est réelle, mais elle n’est pas liée à notre réforme. Elle préexistait. Nous allons y répondre de deux façons : nous travaillons avec le ministère de l’éducation nationale aux solutions de « classes passerelles » qui permettent d’accueillir les enfants avant l’âge de trois ans. Dès à présent, pour les familles dont les ressources sont faibles, nous allons permettre la poursuite des droits jusqu’au mois de septembre suivant l’anniversaire de l’enfant, si aucune solution d’accueil ne peut être trouvée. Cette avancée changera la vie de nombreuses familles.

Enfin, cette réforme du congé parental nourrit l’ambition majeure d’agir efficacement sur l’emploi des femmes. Avec les amendements que nous avons déposés, nous vous proposons, en effet, d’instaurer un véritable droit à l’accompagnement professionnel à l’issue du congé parental.

Pour les salariés qui ont droit à une réintégration dans l’emploi, nous prévoyons la possibilité de bénéficier d’un entretien avant la reprise de poste. Cet entretien, qui sera tout sauf formel, permettra d’examiner les besoins de formation du salarié concerné et les nécessaires mesures de rattrapage de la rémunération.

Pour les salariés qui n’ont pas de perspective immédiate de retour à l’emploi à la fin du congé parental, nous introduisons un dispositif d’orientation et d’accompagnement renforcé qui sera mis en place entre les caisses d’allocations familiales et Pôle Emploi un an avant la fin des droits, afin que puisse être réalisé un bilan de compétences. Nous voulons aussi offrir à chacun de ces salariés, hommes comme femmes, des formations adaptées qui leur permettront de retrouver plus facilement le chemin de l’emploi.

Mieux partager le congé parental, c’était, vous l’aurez compris, l’une des clés pour établir davantage d’égalités professionnelles, ce n’est évidemment pas la seule. La plus essentielle est entre les mains des entreprises elles-mêmes, qui doivent respecter leurs obligations en cette matière.

Au cours de ces derniers mois, vous l’aurez noté, nous avons largement renforcé notre arsenal pour faire appliquer la loi et mettre fin au laxisme qui permettait à trop d’entreprises de lui échapper, de la contourner ou de l’ignorer, en toute impunité. Depuis que nous avons assuré un véritable contrôle sur les entreprises en question, notamment le contrôle de la loi qui prévoit des pénalités pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale, 2 700 accords ou plans d’action ont été déposés, 400 entreprises ont été mises en demeure et quatre entreprises ont été sanctionnées.

La sanction n’est évidemment pas le but, elle est un levier pour accompagner et inciter.

C’est la raison pour laquelle ce texte va plus loin. Les entreprises qui ne respecteront pas leurs obligations en matière d’égalité professionnelle ne pourront plus se porter candidates à un marché public. Rappelons-le, ces obligations en matière d’égalité professionnelle ne sont pas nées de cette réforme, ce sont celles qu’imposent les lois de la République depuis maintenant des décennies. Comment pourrions-nous accepter, sans trahir toutes nos ambitions, qu’elles continuent à n’être pas respectées sans que tombe aucune sanction ?

Le mécanisme relatif aux marchés publics que nous proposons n’impose pas un cadre rigide qui contraint, restreint ou réduit l’activité. Là encore, il s’agit d’un système souple qui laissera le temps à une entreprise de régulariser sa situation, jusqu’au dernier moment. À chacun, ensuite, de faire face à ses responsabilités. Si, en toute connaissance de cause, une entreprise faisait le choix de ne pas appliquer la loi, elle ferait alors le choix de renoncer à tout accès aux marchés publics, toujours en toute connaissance de cause !

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