Le projet de loi prévoit aussi, pour les collaboratrices enceintes et les collaborateurs libéraux qui souhaitent prendre leur congé de paternité, une période de suspension du contrat et de protection contre les ruptures de contrat afin de mieux sécuriser leur parcours. Nous introduisons, puisque tel n’était pas le cas jusqu’à présent, aussi étrange que cela puisse paraître, une durée de protection de huit semaines après la fin de la période de suspension du contrat, huit semaines pendant lesquelles l’employeur ne pourra plus rompre le contrat de collaboration. Comment accepter plus longtemps, en effet, que les jeunes femmes qui travaillent dans les professions concernées, avocates, infirmières libérales ou architectes, soient privées de ce droit essentiel dont bénéficient les salariés ?
Parce que nous voulons créer les conditions d’une véritable conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, nous proposons également aux salariés qui le souhaitent de pouvoir débloquer les sommes accumulées sur un compte épargne-temps pour financer des prestations de services dans le cadre du chèque emploi-service universel, que ce soit pour des gardes d’enfants ou toute forme d’aide à domicile. Ce levier très concret aidera tout simplement chacun à mieux articuler ses temps de vie et, ce faisant, à les répartir plus équitablement entre les femmes et les hommes.
À travers ces évolutions, vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voulons changer de rythme. Nous avons aussi voulu changer la méthode en profondeur. Comme la loi de sécurisation de l’emploi l’a fait avant lui, notre projet de loi a laissé toute sa place à la négociation entre partenaires sociaux. C’était une question de respect, une question d’efficacité : un premier accord est d’ailleurs intervenu le 19 juin dernier.
La négociation sur l’égalité professionnelle, qui a longtemps été aussi absente dans la réalité des entreprises qu’elle était présente dans les dispositions de notre code du travail, n’était que trop souvent réservée aux seuls grands groupes. Eh bien, cette négociation sera désormais généralisée et rendue effective grâce au rôle nouveau des rapports de situation comparée qui seront le point de départ de toute discussion entre partenaires sociaux.
Ce rapport sera complété par la création d’un indicateur sexué permettant de suivre la part des femmes dans les taux de promotion. Créer un tel indicateur peut paraître peu de chose, mais en réalité cette mesure joue un rôle central, car c’est en donnant une évaluation précise et comparable du « plafond de verre » dans l’entreprise que nous disposerons des moyens de nous y attaquer à tous les échelons !
Enfin, et pour conclure sur ce chapitre de l’égalité professionnelle, nous proposerons un amendement qui appelle les branches professionnelles à engager un exercice de révision générale de leurs classifications afin d’assurer la revalorisation des emplois à prédominance féminine. Ce sujet, qui a été l’une des priorités de la grande conférence sociale de juillet dernier, est pour moi l’un des leviers essentiels permettant de réduire les écarts de rémunération. Car la discrimination n’est pas seulement individuelle, elle est parfois collective. Elle est même inscrite dans les mécanismes datant de la Libération, dans les accords de branche sur les classifications. Eh bien, nous avons décidé de reprendre les travaux du Défenseur des droits sur cette question et nous proposerons, d’ici à la fin de l’année, une liste de métiers prioritaires pour cet exercice de revalorisation.
De manière plus générale, il nous faut débusquer partout ce qui explique, conforte et justifie cette précarité si singulière des femmes, cette précarité qui les frappe en les cantonnant dans des métiers dévalorisés, avec des temps partiels subis, des ruptures de carrière, de petits salaires et de petites retraites. Je pense aussi à cette précarité qui les frappe après les séparations conjugales, avec l’explosion des familles monoparentales, dans lesquelles les femmes sont si nombreuses, toujours plus nombreuses, à assumer seules, sur tous les plans, l’éducation des enfants.
On ne peut pas attendre plus longtemps pour lutter contre cette précarité-là ! On ne peut pas attendre, parce qu’elle est la puissante matrice de beaucoup d’autres inégalités en chaîne. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu concentrer une part de notre action législative sur la mise en place d’un nouveau service public qui viendra proposer une garantie contre les impayés de pensions alimentaires : vous le savez, plus de 40 % de celles-ci ne sont pas payées de façon régulière en France.
Ce nouveau mécanisme permettra concrètement aux caisses d’allocations familiales de verser une allocation différentielle aux femmes qui ne perçoivent pas leur pension et de se retourner, ensuite, vers le père débiteur défaillant. La CAF avance, puis met en œuvre d’importants moyens de recouvrement, des moyens renforcés ; elle exerce aussi une médiation auprès des familles et diffuse des informations pour limiter les contentieux ; elle vérifie que les pères n’organisent pas leur insolvabilité. L’année prochaine, nous allons expérimenter ce dispositif dans dix caisses, pour le généraliser avant la fin du quinquennat.
Cette expérimentation est importante, car elle donne, au fond, naissance à un nouveau service public pour les familles : nous sommes à l’avant-garde d’une nouvelle protection sociale qui, au-delà des allocations, repose aussi sur des protections concrètes et réactives.
C’est la même logique de solidarité qui implique toute la société, donc les hommes aussi, dans la construction d’une société égalitaire que nous voulons instaurer dans notre action de lutte contre les violences faites aux femmes.
Oui, il faut protéger les victimes ! Il faut aussi accompagner, soigner et impliquer les auteurs pour sortir de la spirale de la violence. « La suprématie masculine est la dernière aristocratie », disait Maria Deraismes. Les violences ont pour point commun de naître là où quelqu’un place un sexe au-dessus de l’autre. Elles ne sont pas une succession de faits divers, elles ont un sens : elles reflètent toute la lâcheté des siècles d’inégalités qui nous précèdent, ces siècles qui, sous prétexte d’un ordre naturel des choses, ont partagé l’humanité entre un sexe prétendument « faible » et un sexe qui serait « fort ».
Toute inégalité recèle une violence : c’est la racine de tous les maux. La violence se nourrit de toutes les inégalités, lesquelles sont le terreau fertile de la monstruosité que notre société a toujours autant de difficulté à regarder en face, comme pétrifiée de honte devant sa propre impuissance à combattre, à faire régresser la violence conjugale, cette tragédie quotidienne, devenue banale à force d’être courante.
Nulle part, pourtant, il n’est écrit que les femmes doivent tomber, souffrir et mourir sous les coups des hommes.
Nulle part il n’est écrit que le domicile conjugal et la chambre à coucher sont une zone d’impunité et de non-droit, un sanctuaire d’ombre et de silence protégé des lois et des règles, loin des yeux et du bras armé de la police ou de la justice.
Nulle part il n’est écrit que ce combat est perdu d’avance, parce que nous ne pourrions entendre les cris de celles qui refusent d’être victimes. « Non ! » disent-elles à celui qui veut forcer leur corps, à celui qui lève la main sur leur visage, à celui qui s’excuse trop tard, une fois de plus. « Non ! » : ce cri s’adresse à nous aussi, parce que nous sommes responsables. Écoutons-le, ce cri qui ne doit plus rester un cri de détresse entendu des seuls enfants, proches et voisins terrorisés par la culpabilité, mais devenir un cri de révolte qui nous oblige à l’action.