Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est bon que la question de l’égalité entre les femmes et les hommes soit aujourd’hui à l’ordre du jour de nos débats ; c’est la preuve, s’il en était besoin, que les reculs, les retards et les écarts sont encore importants dans ce domaine.
Je souscris au constat dressé par beaucoup : le retard accumulé ces dernières années, voire le recul qui s’est produit nous placent aujourd’hui devant l’urgence de prendre des mesures pour assurer l’égalité.
Ce projet de loi est donc le bienvenu ; il nous paraît prendre en compte la réalité d’inégalités injustifiables entre les femmes et les hommes, en situation de travail et dans le cadre de la parentalité, mais aussi du point de vue des personnes, qui ont un rôle à jouer, non assigné, dans la société.
Pour autant, après avoir l’avoir étudié et avoir rencontré de nombreux spécialistes de la question, en particulier des responsables d’associations et les partenaires sociaux, nous regrettons que le projet de loi n’aille pas encore assez loin dans l’affirmation d’engagements pour le respect de l’égalité entre les femmes et les hommes.
De fait, ce projet de loi n’est pas au niveau d’une loi-cadre englobant tous les champs dans lesquels une intervention est nécessaire. Je souhaite donc que les travaux du Sénat et la discussion des amendements continuent d’élargir les domaines couverts par le projet de loi, afin que l’on agisse partout où cela est possible pour atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes.
À cet égard, je signale que nous sommes assez d’accord avec les recommandations formulées la semaine dernière par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes et avec les priorités qu’il désigne. Il serait utile que, grâce à ce projet de loi, la garantie des droits soit réalisée de manière effective et que l’application de ces droits soit favorisée. Il faut pour cela mettre en place les outils nécessaires, mais aussi mener, à tous les niveaux, un travail novateur dans le domaine de la lutte contre les stéréotypes.
S’il faut une véritable loi-cadre, c’est parce que, selon les mots de Lacordaire, « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur – j’ajoute : entre l’homme et la femme –, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».
Cette politique d’égalité doit reposer sur un principe clair, être définie par un champ d’action précis et dotée d’une méthode reproductible, pour une mise en œuvre rapide et efficace permettant également d’être un vrai recours en cas de nécessité.
Plus concrètement, une enquête d’Ipsos commandée par le Secours populaire français et rendue publique il y a une semaine confirme que « les victimes de la pauvreté sont majoritairement des femmes » – à 56 % – et que celles-ci sont « touchées plus durement que les hommes » par les conséquences de celle-ci. C’est le cas notamment des mères célibataires, dont 62 % « ont éprouvé, au cours des douze derniers mois, des difficultés financières importantes pour se procurer une alimentation saine et équilibrée ».
Comment ne pas penser qu’une façon d’enrayer la précarité des femmes consiste à en finir avec les écarts de salaires entre les hommes et les femmes à poste équivalent, à garantir l’accès aux moyens de garde pour les enfants et à agir contre le temps partiel subi et contre la précarité ? C’est pourquoi la question de l’égalité professionnelle constitue l’une des premières préoccupations de nos concitoyens.
Le décret sanctionnant les entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale hommes-femmes porte lentement ses fruits. En tout état de cause, depuis le début de cette année, quatre sociétés ont été sanctionnées financièrement pour non-respect de la parité. En outre, 400 entreprises ont été mises en demeure ; elles ont six mois pour se mettre en conformité, sous peine d’être sanctionnées par une pénalité pouvant représenter jusqu’à 1 % de leur masse salariale. Ces premières sanctions et les suivis qui vont être opérés annoncent-ils des changements vers une meilleure égalité salariale ? Nous le pensons et nous souhaitons que cette évolution se poursuive.
Des études montrent que, en 2011, quelque 79 % des femmes au foyer ont déjà exercé une activité professionnelle dans le passé, même d’une durée réduite. Elles font apparaître aussi que les raisons pour lesquelles ces femmes ont cessé leur activité ont sensiblement évolué en vingt ans. En effet, en 1991, 59 % des femmes au foyer déclaraient avoir cessé leur activité pour des raisons personnelles, tandis que, en 2011, elles ne sont plus que 21 % dans ce cas : la raison principale de la cessation d’activité est devenue la fin d’un contrat à durée déterminée, qui a concerné 35 % de ces femmes en 2011, contre 10 % en 1991.
On observe également que les femmes au foyer qui n’ont jamais travaillé sont moins diplômées et plus souvent mères de familles nombreuses. Nous en concluons que le congé parental éloigne les femmes du travail, quand elles en ont un, et favorise la décision d’un deuxième, voire d’un troisième enfant, ce qui recule le retour de ces femmes à l’emploi ou la réalisation d’un autre projet personnel, comme l’inscription à une formation professionnelle.
En 2011, 14 % des femmes âgées de 20 à 59 ans non étudiantes étaient des femmes au foyer, contre 24 % en 1991. Le nombre de femmes au foyer n’a donc cessé de diminuer, en raison principalement de la progression de l’activité féminine. Par ailleurs, le cliché de la femme au foyer a évolué en vingt ans : ces femmes sont aujourd’hui plus diplômées et, comme je viens de le souligner, leur cessation d’activité est plus souvent liée aux difficultés d’accès au marché du travail.
Les licenciements également occupent une place plus importante qu’il y a quelques années dans la cessation d’activité : ils sont impliqués dans 11 % des cas en 2011, contre 4 % en 1991. Ainsi, avec un passé professionnel davantage marqué par des CDD qu’auparavant, certaines femmes abandonnent l’espoir de retrouver un emploi et deviennent non actives sur le plan professionnel.
Les femmes les plus défavorisées sont aussi les moins diplômées, surtout avant 40 ans, qu’elles aient ou non des enfants. Ainsi, 23 % des femmes sans diplôme sont en temps partiel subi, contre 9 % des hommes dans le même cas. Les inégalités pour l’accès à l’emploi à temps plein sont encore plus fortes dans la population féminine que dans la population masculine.
Autre chiffre éloquent : le taux d’emploi des femmes ayant deux enfants est de 59, 6 %, alors que celui des hommes dans la même situation est de 90 %.
Mes chers collègues, je vais faire appel à votre imaginaire. Quand un homme dit : « J’ai obtenu une augmentation parce que j’ai progressé dans mes fonctions et responsabilités professionnelles, je suis marié et installé dans une grande maison avec mon épouse et mes deux enfants », on l’admire, on le félicite, on envie les signes extérieurs et probants de sa réussite sociale, certainement bien méritée parce qu’il s’est beaucoup consacré à sa carrière professionnelle.
Seulement, si c’est une femme qui tient ces propos, on commence par lui demander comment elle fait pour y arriver avec des journées de vingt-quatre heures ; on se demande qui va tout gérer et qui, de l’emploi de cette femme ou de ses enfants, va pâtir de cette accumulation ; de surcroît, on parie sur un prochain burn out ou sur un « pétage de plombs » fatalement lié à la vie fatigante et contraignante des femmes. §C’est peut-être une caricature, mais elle n’est pas tout à fait fictive !