Intervention de Françoise Laborde

Réunion du 16 septembre 2013 à 15h00
Égalité entre les femmes et les hommes — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si, depuis des décennies, la situation des femmes dans la société française nourrit le débat politique et, il faut le reconnaître, a connu des bouleversements importants, les acquis demeurent malgré tout fragiles. Que ce soit à l’école, au travail, au sein du couple ou de la famille ou dans l’espace public, les inégalités liées au sexe persistent. C’est une réalité.

En matière d’égalité professionnelle, la France a progressivement mis en place une politique incitative et s’est dotée d’un arsenal législatif de plus en plus perfectionné. Pas moins de six lois ont été votées depuis 1972. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Ces lois ne sont pas appliquées, et les inégalités restent toujours profondément ancrées, si bien que l’on en oublierait presque que des textes ont été, un jour, adoptés. Ce projet de loi, ce énième texte, va-t-il enfin débloquer la situation ?

En juillet dernier, madame la ministre, vous vous étiez engagée à reprendre, par voie d’amendement, des éléments de l’Accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle conclu le 19 juin dernier. C’est chose faite. Je regrette seulement que de telles dispositions aient été introduites à la dernière minute, tout comme je regrette l’absence de mesures sur l’égalité salariale.

Certes, vous avez renforcé les pénalités qui pèsent sur les entreprises ne respectant pas leurs obligations en matière d’égalité professionnelle. Aujourd’hui, quatre entreprises ont été sanctionnées financièrement et quatre cents mises en demeure de se mettre en conformité avec la loi dans les six mois.

Les chiffres sont implacables : les femmes occupent 82 % des emplois à temps partiel ; elles sont surreprésentées dans les emplois précaires ; leurs salaires sont inférieurs de 27 % à ceux des hommes et, à diplôme égal, elles accèdent moins aux postes à responsabilité que les hommes, en vertu du fameux « plafond de verre ».

Les raisons sont simples : la femme, lorsqu’elle devient mère, joue un rôle important dans l’éducation des enfants. Le plus souvent, c’est elle qui s’arrête de travailler pour les élever ; c’est encore elle qui s’occupe d’eux lorsqu’ils sont malades, qui aménage son temps de travail pour pouvoir aller les chercher à la crèche et s’en occuper le soir. En résumé, c’est elle qui met sa carrière entre parenthèses le temps que les enfants grandissent.

Or rien ne justifie a priori que ce soit elle plutôt que lui. L’égalité salariale, et plus généralement l’égalité professionnelle, ne peut se faire sans un partage des tâches domestiques, qui restent, aujourd’hui encore, une prérogative très majoritairement féminine.

Ces deux combats doivent être menés conjointement. Ils nécessitent de changer, dès le départ, les mentalités, d’augmenter l’offre de garde des jeunes enfants, de favoriser le télétravail, mais aussi – j’ai eu l’occasion de le dire au cours de nombreux débats au Sénat – d’inciter les entreprises à supprimer les nombreuses réunions programmées après dix-huit heures ou à développer leurs propres crèches.

Selon l’anthropologue Françoise Héritier, l’homme est représenté, depuis l’origine de l’humanité, comme une puissance dominante, image que nous reproduisons plus ou moins consciemment. Il est donc essentiel de combattre fermement ces stéréotypes et de reconnaître aux femmes la place qui leur revient dans notre société, la même – ni plus, ni moins – que celle des hommes.

C’est dans cet esprit, pour favoriser le retour des femmes vers l’emploi et rééquilibrer la répartition des responsabilités parentales au sein du couple, que le projet de loi a engagé la réforme du complément de libre choix d’activité. C’est une très bonne chose, dans la mesure où, à l’heure actuelle, le congé parental est pris à 97 % par les mères.

Pour autant, cette réforme soulève à mon sens plusieurs questions. Tout d’abord, la période de six mois destinée au deuxième parent, c’est-à-dire le père dans la très grande majorité des cas, n’est qu’une faculté et non une obligation. Or il est avéré que les lois, particulièrement celles qui concernent l’égalité entre les femmes et les hommes, sont inefficaces si elles ne sont pas contraignantes.

Actuellement, à partir du deuxième enfant, le complément de libre choix d’activité est versé jusqu’au mois précédent le troisième anniversaire de celui-ci. Désormais, la durée initiale du versement ne sera plus que de trente mois et il ne pourra être prolongé de six mois qu’à la condition que les deux parents y aient recours. Si le père ne souhaite pas prendre cette période de six mois, le couple en perdra donc le bénéfice. Dans ce cas, qu’adviendra-t-il des enfants ?

La question de leur accueil dans une structure se posera réellement. Ils seront trop jeunes pour entrer à l’école maternelle et les parents auront certainement des difficultés à trouver un mode de garde. Il est à craindre que les mères n’en seront les premières pénalisées. Attention : on ne peut, d’un côté, défendre le congé parental choisi et non subi, et, de l’autre, fragiliser les mères.

Enfin, alors que le projet de loi s’attache à impliquer les pères dès les premières années de la vie de l’enfant, les sénateurs du RDSE regrettent que ce texte n’aborde pas la question, particulièrement douloureuse, de la garde des enfants en cas de divorce ou de séparation parentale. En effet, malgré la loi du 4 mars 2002, qui encadre la résidence alternée, les enfants sont encore très majoritairement confiés à la mère, ici aussi sur la base d’un préjugé qui joue cette fois parfois en défaveur des hommes.

Dans de très nombreux cas, le juge privilégie les liens entre la mère et l’enfant, et ce au détriment du père. Si la justice ne doit pas pouvoir imposer la résidence alternée des enfants en cas de divorce, rien ne doit pouvoir l’empêcher, lorsque l’un des parents la demande. Il y a aussi, dans ce domaine, beaucoup de progrès à faire pour combattre les préjugés et tendre vers une égalité entre les hommes et les femmes ! C’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement en ce sens. Mon groupe attend beaucoup, madame la ministre, de la réponse que vous nous apporterez.

En matière de lutte contre les violences faites aux femmes, et plus particulièrement les violences conjugales, je ne peux que me réjouir des différentes mesures prévues dans le projet de loi. Elles marquent, à mon sens, des avancées importantes. Mon groupe les soutiendra sans réserve.

J’en citerai quelques-unes : l’allongement de quatre à six mois de l’ordonnance de protection interdisant à un conjoint violent d’entrer en contact avec sa victime ; l’éviction du conjoint violent du logement du couple ; la généralisation du téléphone grand danger, qui permet aux femmes équipées d’avoir un accès prioritaire à la police ; ou encore la fin du recours à la médiation pénale en cas de violences conjugales.

Au cours de l’année 2011, 146 personnes, dont 122 femmes, sont décédées sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. Cette même année, 906 viols et 53 868 violences non mortelles ont été commis sur les femmes au sein du couple. Cette réalité insoutenable est inacceptable.

S’agissant du stage de sensibilisation, auquel nous préférons le terme de responsabilisation, nous vous proposerons de le rendre obligatoire en cas de récidive. Nous vous soumettrons également plusieurs amendements visant à renforcer la protection des femmes, et parfois des hommes, renvoyés à l’étranger contre leur gré, par leur famille, en vue d’y subir, outre le mariage forcé, de multiples violences physiques et psychologiques. Ces victimes vivent un véritable cauchemar.

Je tiens enfin à saluer la décision de Mme la rapporteur d’inscrire dès à présent dans la loi l’obligation de former les différents professionnels susceptibles d’intervenir dans la prévention et la détection des violences faites aux femmes.

Cette formation est indispensable pour que la victime puisse un jour se reconstruire. Les violences conjugales, tout particulièrement, ne doivent pas être traitées comme de simples violences et appellent non seulement une réponse judiciaire, mais aussi un traitement d’ensemble réunissant compréhension, accueil, protection et reconstruction de la victime.

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