Merci pour cette invitation.
De nombreuses ONG, dont le GRET, s'intéressent en France aux questions liées à la recherche et entretiennent des liens avec des instituts de recherche.
Concernant la recherche pour le développement, les innovations sont particulièrement importantes. En tant qu'ONG, nous sommes intéressés par des innovations porteuses d'équité sociale, de réduction des inégalités et de lutte contre la pauvreté. D'un point de vue méthodologique, la recherche d'innovations implique ainsi que les bénéficiaires soient intégrés dans les processus de recherche. Le qualitatif est en outre prioritaire sur le quantitatif. Enfin il n'existe pas de solution unique et préconçue, car une seule innovation ne peut répondre à tous les défis. Nous sommes dans une démarche permanente de test, d'adaptation et de recherche en fonction des différents contextes dans lesquels nous nous situons.
La question de l'innovation doit toutefois être relativisée. Nous constatons lors de nos actions sur le terrain qu'une innovation dans un lieu donné peut ne pas en être une ailleurs. L'innovation est donc dépendante du contexte. Par ailleurs certaines innovations ne sont que des utilisations nouvelles d'outils qui existaient auparavant.
L'appropriation de l'innovation importe également. Les temporalités varient selon le contexte, et les modalités particulières dépendent du type d'innovation.
L'accent est fréquemment mis sur les innovations technologiques, dont les effets sur les conditions de vie d'une société sont perçus comme rapides. Le développement rapide du téléphone portable dans les pays en développement et notamment en Afrique est ainsi souvent évoqué. Il convient d'insister sur l'appropriation sociale de ces innovations technologiques et de travailler aussi sur les innovations organisationnelles.
Durant une table ronde consacrée à la recherche lors des Assises du développement, un représentant de l'IRD a mentionné des innovations non utilisées. Il ne s'est cependant pas demandé pourquoi elles ne l'étaient pas. Il s'agit donc de parvenir à ce que les résultats de la recherche soient utilisés par les populations, à leur profit. Certaines innovations sont ainsi inadaptées au contexte culturel dans lequel évoluent les populations concernées.
En plus de ce travail sur l'innovation, il convient de se pencher sur l'articulation entre la recherche et l'utilisation des résultats. Les ONG sont un intermédiaire entre la recherche et le développement. Le GRET se positionne donc comme utilisateur des résultats des recherches et questionne les chercheurs sur leurs activités, afin que leurs travaux soient adaptés et utilisables par les populations et les ONG. Nous intégrons dès lors les enjeux de diffusion de la recherche, de vulgarisation, d'expertise, de valorisation et de communication. Le CIRAD a ainsi par exemple beaucoup travaillé sur les méthodologies de semis sous couvert végétal, or les paysans ne s'appropriaient pas ces dispositifs. Le CIRAD a engagé une réflexion sur ce sujet, en associant les organisations paysannes afin d'assurer l'utilisation des résultats de la recherche.
Bien qu'étant une ONG, le GRET effectue lui-même de la recherche sur le terrain. Nous mettons au point des innovations technologiques, puis sociales et organisationnelles. Nous travaillons par exemple dans différents pays à la prévention de la malnutrition infantile. Nous nous sommes associés à Madagascar avec l'IRD et l'université de Tananarive, ainsi que des centres de recherche locaux. Après avoir étudié les habitudes alimentaires des populations et les carences alimentaires des enfants, nous avons mis en point une farine infantile permettant de pallier ces carences et réalisée à partir de produits locaux. Le processus de fabrication répond aux normes d'hygiène les plus élevées tout en étant produit sur place. A l'issue de ce travail d'environ 10 ans, nous avons créé, afin d'assurer l'utilisation de ce produit, un mode de distribution innovant : une forme de restaurants pour bébés dans les quartiers pauvres. Les mères peuvent y acheter un repas pour leurs enfants et bénéficier de conseils nutritionnels. Nous avons de plus mis en oeuvre un système de distribution porte à porte. Nous avons créé une entreprise sociale de droit malgache, dont le mode de gouvernance assure que les investisseurs ne détournent pas l'objet social vers un but lucratif.
Ce travail devient de plus en plus difficile à faire financer. La recherche et l'innovation ne donnent en effet pas toujours de résultat probant. Nous sommes financés en partie par des bailleurs de fonds publics, comme l'Agence française de développement ou l'Union européenne, qui envisagent de moins en moins un financement des ONG permettant d'accompagner leur fonction de recherche, de capitalisation et d'innovation. Le soutien budgétaire porte en effet prioritairement sur les actions de terrain au détriment de celles du siège. Or ces dernières sont indispensables à la réalisation de notre mission d'expertise.
Un fonds de dotation a été créé au GRET, dédié à l'innovation et au développement, afin d'attirer des fonds privés en provenance des entreprises. De façon très paradoxale, nous constatons une plus grande réticence des bailleurs publics à financer l'innovation, car elle inclut une part de risque. Les bailleurs privés sont, eux, beaucoup plus enclins à la prise de risque. Dans le secteur industriel ou dans celui des services, les centres de recherche travaillent sur de la recherche fondamentale et éventuellement de l'innovation. Les entreprises disposent en outre de leur propre structure de recherche et développement, financée notamment par des dispositifs d'Etat comme les crédits d'impôt recherche. Il est donc clair que la recherche dans le monde industriel est portée par la recherche publique et par la recherche privée menée par les entreprises.
Les ONG ne se voient pas reconnaître cette fonction de recherche, alors même qu'elles sont les « entreprises du développement ». Elles ne bénéficient d'aucun financement pour ces activités.
Il importe d'utiliser les résultats de la recherche à travers des modèles économiquement performants et durables. Lorsqu'est mis en place un système de brevets ou de redevances, nous ne contestons pas que ces derniers soient en partie versés à la recherche publique qui les a générés. Lorsque la recherche est effectuée par des instituts français mais utilisée par des pays du Sud, il convient de déterminer un système permettant la protection de ces innovations mais aussi leur utilisation par les populations concernées. Nous sommes en revanche fondamentalement hostiles aux brevets sur la matière vivante. Des systèmes alternatifs de protection doivent donc être mis en place. Par ailleurs, certaines entreprises s'accaparent les savoirs des populations locales, en particulier dans le domaine de la pharmacopée. Nous devons lutter contre ce phénomène et protéger les droits et les savoirs des populations locales.
La France a la chance de disposer encore de deux instituts de recherche, l'IRD et le CIRAD. Ces instituts sont une grande opportunité pour une ONG comme le GRET. Nous travaillons également avec des centres de recherche du Sud, aussi bien des universités que des instituts. Ces derniers peuvent être publics, mais aussi associatifs. Nous réalisons en effet que dans le domaine des sciences sociales, des universitaires dans les pays en développement comme au Burkina Faso ou au Congo Brazzaville se heurtent parfois à un contexte politique complexe. Ils ont donc créé des associations ou des ONG qui mènent des recherches, et qu'ils parviennent à faire financer par des bailleurs de fonds bilatéraux.
Le dispositif en France inclut par ailleurs les universités. Nous avons été surpris de constater que durant les Assises, l'enseignement supérieur français était ignoré. Très peu de ses représentants figuraient parmi les invités à des tables rondes. De plus, si le Ministre a mentionné la recherche, il n'a pas évoqué l'enseignement supérieur. Le Président de la république n'a quant à lui mentionné aucun des deux.