Intervention de Didier Migaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 18 septembre 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes sur le rapport annuel de la cour sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je suis heureux de vous présenter notre rapport 2013 sur la sécurité sociale. Il est élaboré chaque année par la Cour en application de sa mission constitutionnelle d'assistance au Parlement et au Gouvernement pour le contrôle de l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Il est destiné à accompagner le projet de loi de financement pour 2014 qui sera prochainement déposé sur le bureau des Assemblées, mais s'adresse aussi au citoyen.

La sécurité sociale est en effet l'une des expressions majeures de cette République démocratique et sociale qu'affirme l'article 1er de notre Constitution. Elle est ainsi l'affaire de tous. Chacun la finance sous une forme ou une autre, chacun en bénéficie à différents moments de sa vie. Dans une conjoncture économique difficile, son rôle pour protéger les plus fragiles est plus que jamais essentiel. Mais la permanence de ses déficits sape sa solidité. Elle entraîne une montée constante de la dette sociale dont la charge croissante peut finir par miner sa légitimité aux yeux des nouvelles générations.

C'est là le message principal de ce rapport : enrayer sans délai l'engrenage des déficits de la sécurité sociale, revenir au plus vite à l'équilibre des comptes sociaux, casser la spirale de la dette sociale sont autant d'enjeux fondamentaux. Le réussir est possible. A tous les niveaux des dépenses sociales, des économies peuvent être faites sans remettre en cause notre modèle social ni prendre les mesures drastiques d'austérité que d'autres pays ont parfois mises en oeuvre. Il y faut la contribution de tous - professionnels de santé, assurés sociaux, caisses de sécurité sociale -, un effort rapide, continu et opiniâtre pour éviter les dépenses inutiles et improductives et faire en sorte que chaque euro affecté à la sécurité sociale soit dépensé le plus justement au regard de l'intérêt général.

Les analyses et recommandations de la Cour cherchent à apporter une contribution pour relever cet enjeu collectif primordial. Elle met sur la table de nouvelles propositions sur les sujets qu'elle a étudiés cette année. Il appartient, bien entendu, aux représentants du suffrage universel de faire les choix nécessaires, en fonction des objectifs et priorités qu'ils définissent.

J'ai à mes côtés pour vous les présenter Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour qui a préparé ce rapport et Jean-Pierre Laboureix, conseiller maître, rapporteur général de ce rapport. Mais de nombreux autres rapporteurs y ont aussi travaillé. Je souhaite leur exprimer devant vous ma reconnaissance.

Je n'entrerai naturellement pas dans le détail des dix-huit chapitres de ce rapport. Je me contenterai de tenter de vous présenter les grands axes autour desquels s'organisent nos analyses.

Premier constat : malgré de premiers résultats, le déséquilibre persistant des comptes sociaux appelle rapidement de nouvelles mesures.

Depuis 2011, notre pays a engagé l'indispensable effort de redressement de ses finances publiques. Il s'est fixé une trajectoire de retour à l'équilibre, à laquelle doivent contribuer non seulement l'Etat et les collectivités territoriales mais aussi les organismes de protection sociale.

De premiers résultats ont certes été obtenus dans la réduction des déficits sociaux. En 2010, le déficit des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) avait atteint un niveau sans précédent : 29,6 milliards d'euros, soit 1,5 point de PIB. Il a diminué de 7 milliards d'euros en 2011 et a continué à baisser en 2012 de 3,5 milliards d'euros. Il a été ramené à 19,1 milliards d'euros, soit 0,9 point de PIB.

Ce déficit 2012 présente trois caractéristiques qui montrent cependant que, s'agissant des comptes sociaux, l'essentiel du chemin reste à faire :

- le rythme de sa réduction s'est très sensiblement ralenti : il a été divisé par deux entre 2011 et 2012 par rapport à celui enregistré entre 2010 et 2011 ;

- il demeure massif : son montant est comparable au budget de la recherche et de l'enseignement supérieur ;

- sa part structurelle, celle qui n'est pas influencée par la conjoncture et qui est durable, reste très importante : pour le régime général, elle est de 70 % environ.

En 2013, le redressement des comptes du régime général et du FSV connaîtra toutefois un véritable coup d'arrêt, contrairement à la baisse de 3 milliards d'euros prévue par la loi de financement pour 2013. Au mieux, il devrait se stabiliser cette année au niveau très élevé de 2012, deux fois supérieur à celui de la période 2006-2008. Pour la seule branche maladie, il pourrait augmenter de 2 milliards d'euros, pour atteindre près de 8 milliards d'euros.

Cette interruption du mouvement de réduction du déficit du régime général est préoccupante, même si elle résulte largement de l'atonie de la croissance et de la moindre progression des recettes qui en est la conséquence.

Elle conduit à entretenir une spirale de la dette sociale particulièrement anormale et particulièrement dangereuse. Son encours global devrait passer de 147 milliards d'euros à 159 milliards d'euros entre 2011 et 2013. Notre pays reporte ainsi sur les générations à venir la charge de régler une part sans cesse croissante des consultations médicales, des prestations familiales, des retraites dont nos concitoyens bénéficient aujourd'hui.

C'est là un mal spécifiquement français, qui ne touche pas nos grands voisins européens. Aucun d'entre eux n'accepte que son système de protection sociale puisse être durablement en déficit. Les comptes sociaux compris au sens le plus large, ce que l'on appelle les comptes des administrations sociales et qui incluent la sécurité sociale, l'assurance chômage et les régimes complémentaires obligatoires de retraite, sont revenus à l'équilibre dans la zone euro en trois ans, alors que ceux de la France sont en déficit de 0,6 point de PIB en 2012. Ceux de l'Allemagne dégagent un excédent de 0,6 point de PIB. Dans la zone euro, seules la Grèce et l'Espagne ont connu l'an dernier un déficit des administrations sociales supérieur à celui de la France.

Enrayer la spirale de la dette sociale entretenue par l'accumulation des déficits est indispensable. Des mesures ont été récemment annoncées pour rétablir la situation des régimes de retraite et seront prochainement examinées par le Parlement. Chacun comprendra que la Cour ne se prononce pas sur des mesures qui n'ont pas encore été débattues ni adoptées par ce dernier. Elle note simplement qu'elles apporteront une contribution indispensable au redressement des comptes de l'assurance vieillesse et du FSV : leur déficit cumulé à l'horizon 2018 se serait sinon monté, selon les projections de la Cour, à 70 milliards d'euros, soit un montant supérieur aux 62 milliards d'euros dont la reprise par la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la Cades, a été organisée fin 2010.

Cela étant, du seul fait des déficits des branches maladie et famille et selon les projections qu'a réalisées la Cour, si aucune mesure nouvelle n'était prise, près de 72 milliards d'euros de dettes supplémentaires s'accumuleraient à l'horizon 2018 - même après la prise en compte des décisions arrêtées pour la branche famille en juin dernier. Ces dernières n'auront en effet leur plein impact que progressivement.

Contrairement à ce que la Cour avait préconisé, tous les déficits déjà constatés au titre de 2011 et 2012 n'ont pas été repris par la Cades, mais seulement celui de la branche vieillesse, conformément à la loi de financement pour 2011. Dès lors, les déficits de l'assurance maladie et de la branche famille s'accumulent depuis 2011 dans les comptes de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'Acoss. Cet organisme a pour vocation d'assurer la trésorerie quotidienne de la sécurité sociale, pas de préfinancer durablement des déficits massifs. Les découverts que l'Acoss doit financer par des billets de trésorerie à moins de trois mois atteindront 26 milliards d'euros fin 2013 et devraient approcher 40 milliards d'euros fin 2014. Cette banalisation du financement à très court terme des déficits sociaux n'est pas normale. Elle crée une situation de dépendance à la liquidité disponible sur les marchés financiers dangereuse pour la sécurité sociale, en particulier si venaient à remonter les taux d'intérêt, actuellement très bas, dont bénéficie l'ACOSS. Les mouvements de ces derniers jours montrent qu'il ne s'agit pas d'une hypothèse d'école.

Différer ces transferts de dettes, de toute façon inéluctables, alourdirait en outre un peu plus le coût de l'amortissement et de la charge d'intérêt, qui s'élève au total à 15 milliards d'euros par an, à mesure que le terme de la Cades se rapproche, d'ici une dizaine d'année. Repousser l'amortissement de la dette sociale au-delà du milieu de la prochaine décennie reviendrait à faire payer encore davantage les transferts sociaux d'aujourd'hui par la génération suivante. Chacun voit bien que risquerait alors de se poser la question de la légitimité même d'une sécurité sociale dont le financement effectif serait sans cesse différé et supporté par ceux qui n'ont pas bénéficié de son soutien. C'est pourquoi la résorption rapide du déficit de la sécurité sociale est un enjeu de tout premier rang. Ne nous y trompons pas. Le déficit d'aujourd'hui, c'est l'impôt de demain.

Deuxième constat : la voie du redressement des comptes par la mobilisation de recettes supplémentaires atteint des limites.

Les années 2011 et 2012 ont été marquées par un apport très important de nouvelles recettes supplémentaires à la sécurité sociale : pour la seule année 2012, elles ont représenté 6,2 milliards d'euros et se sont ajoutées aux 7 milliards d'euros de ressources nouvelles dont elle a bénéficié en 2011. Cette mobilisation de ressources complémentaires s'est poursuivie en 2013.

Indépendamment même du niveau élevé atteint par les prélèvements obligatoires dans notre pays, l'affectation de recettes supplémentaires à la sécurité sociale peut de plus en plus difficilement passer par de nouvelles augmentations de la CSG, la contribution sociale généralisée. Celle-ci, qui est analysée après l'examen l'an dernier du financement des régimes sociaux par les impôts et taxes affectés, a permis d'élargir très substantiellement les ressources de la sécurité sociale et de financer depuis vingt ans la progression soutenue de ses dépenses. Mais la CSG n'est plus une recette miracle, à même de permettre par son dynamisme de différer des choix structurants pour la maîtrise de ces dernières, comme elle a pu longtemps apparaître. Il subsiste certes encore quelques possibilités d'élargissement d'assiette. Mais les contraintes juridiques résultant de la décision du Conseil constitutionnel de décembre dernier sur la loi de finances tendent à limiter désormais les possibilités d'augmentation générale de ses taux, en particulier sur les revenus du capital.

Si des ressources nouvelles devaient être affectées à la sécurité sociale, la Cour recommande qu'elles soient consacrées d'abord au financement de la dette sociale et qu'elles passent prioritairement par une réduction des « niches sociales », c'est-à-dire des mesures dérogatoires au versement des prélèvements finançant la sécurité sociale. La Cour avait mis en cause à plusieurs reprises l'opacité et le coût croissant de ces niches. Elle constate que des remises en cause ciblées ainsi que l'augmentation du forfait social ont d'ores et déjà permis d'apporter des ressources supplémentaires significatives, de l'ordre de 4 milliards d'euros en moyenne par an de 2011 à 2013. Mais ces mesures n'ont pas permis de maîtriser ces niches dont le coût global n'a qu'à peine diminué, en raison de la dynamique propre de chacun des dispositifs. La Cour appelle à les répertorier plus précisément, et à engager, sur les cinq prochaines années, une évaluation du coût et de l'efficacité de la totalité de ces dispositifs dérogatoires - évaluation que la loi de programmation des finances publiques 2012-2017 a prévue mais qui reste encore à organiser.

Dans les conditions actuelles de faibles marges de manoeuvre sur l'augmentation des recettes, et comme les pouvoirs publics l'ont indiqué, c'est essentiellement en pesant fortement sur la dépense que la trajectoire de retour à l'équilibre doit se poursuivre et s'accélérer.

La Cour ne préconise nullement une baisse des dépenses sociales. Elle considère comme indispensable un ralentissement de leur croissance. Cette modération peut être obtenue en mobilisant tous les acteurs dans le cadre d'efforts justement partagés. La protection sociale comporte en effet à tous niveaux des marges considérables d'efficience et de progrès, en particulier dans le domaine de l'assurance maladie.

Troisième constat : des gisements d'économies considérables existent dans l'assurance maladie sans compromettre, bien au contraire, la qualité des soins ni l'égalité d'accès au système de santé.

L'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a été tenu en 2012, pour la troisième année consécutive, bien que son taux de progression ait été resserré à 2,5 % contre 3 % en 2010 et 2,9 % en 2011. Ce taux de 2,5 % est le plus volontariste depuis 1998. Ce résultat très positif témoigne des progrès effectués dans le pilotage de la dépense et dans la réalisation effective des économies prévues. Pour autant, la progression de l'Ondam au cours des quatre dernières années a été de près de 18 milliards d'euros, ce qui représente un accroissement de 11,4 % des dépenses, soit un rythme bien plus soutenu que celui de la richesse nationale, le PIB n'ayant augmenté que de 5,1 % sur cette période. La Cour, par ses travaux, a acquis la conviction qu'en mettant en place les mesures de maîtrise de la dépense qu'elle préconise, il est possible d'intensifier et d'accélérer encore l'effort. C'est pourquoi elle propose de diminuer d'au minimum 0,2 point chaque année le taux de progression de l'Ondam par rapport à celui affiché dans la loi de programmation des finances publiques 2012-2017 : soit + 2,4 % pour 2014, au lieu de + 2,6 %, et + 2,3 % pour 2015 et 2016, au lieu de + 2,5 %.

Comme les rapports des années précédentes, le rapport de cette année identifie de nombreuses pistes de réorganisation à même à la fois de dégager des gains d'efficience et d'améliorer la qualité des prises en charge.

Le premier point d'appui de ces réorganisations dans le système de soins doit être le système hospitalier qui recèle des gisements considérables d'économies. La dépense hospitalière, qui représente plus de 75 milliards d'euros, soit 44 % de la dépense d'assurance maladie, a fait l'objet cette année de la part de la Cour, de travaux approfondis.

Les hôpitaux ont été soumis ces dernières années à des contraintes d'économies relativement modestes, comme le montre l'analyse détaillée des modalités de fixation de leur objectif annuel de dépenses à laquelle la Cour a procédé. Les économies affichées pour 2012 ne représentaient que 0,7 % de l'enveloppe de dépenses allouée, soit 550 millions d'euros, dont un cinquième n'était qu'une économie de constatation sur un fonds de modernisation. Celles demandées à la médecine de ville s'élevaient à 2,15 milliards d'euros, soit 2,7 % de son enveloppe. L'« Ondam hospitalier », peu transparent dans sa détermination, est de fait construit à ses différentes étapes de telle manière que les établissements ne sont pas soumis au même effort que le secteur des soins de ville, en particulier en n'ajustant pas suffisamment les tarifs pour réguler efficacement l'activité hospitalière. Les hôpitaux ne sont pas ainsi suffisamment obligés à mettre en oeuvre les réformes structurelles indispensables au redressement durable de leurs comptes. Dès lors, les réorganisations devraient être amplifiées pour consolider leur situation financière et maîtriser plus rigoureusement la progression de la charge que l'assurance maladie supporte.

Le retour à l'équilibre des hôpitaux publics en 2012, après plusieurs années de déficit et un doublement de la dette hospitalière en six ans pour l'amener à 28 milliards d'euros, apparaît encore fragile et largement circonstanciel : il est en bonne partie imputable à des recettes exceptionnelles et des ajustements comptables. Les efforts de meilleure gestion et de réorganisation doivent être accrus. Ainsi, par exemple, au centre hospitalier de Digne, qui a adopté cinq plans de retour à l'équilibre en cinq ans sans effets sur son déficit structurel, ou encore au centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint Germain-en-Laye, issu d'une fusion en 1997 et qui a accumulé en quinze ans les déficits d'exploitation et accru sa dette sans parvenir à un projet médical permettant de rationaliser son activité.

Le retard considérable et persistant dans notre pays de la chirurgie ambulatoire - c'est-à-dire la réalisation des opérations dans des conditions qui permettent au patient de rentrer chez lui le soir même du jour où a lieu l'intervention -, apparaît emblématique à cet égard des lenteurs de modernisation des pratiques hospitalières. Pourtant, son développement rejoint l'intérêt des patients, qui n'ont pas à séjourner à l'hôpital avant comme après l'opération, comme celui de l'assurance maladie par les économies majeures qu'elle permet.

En France, quatre interventions seulement sur dix sont pratiquées en ambulatoire contre jusqu'à huit sur dix dans certains pays qui nous sont comparables, soit moitié moins, avec un très net retard du secteur public sur le secteur privé. Le nombre de places en chirurgie ambulatoire a certes nettement progressé depuis quelques années, grâce une tarification incitative, mais elles restent très fortement sous-utilisées au regard des pratiques relevées dans des pays voisins. De fait, la chirurgie ambulatoire reste souvent réservée chez nous à de la petite chirurgie, comme les opérations sur les varices, ou, au mieux, la cataracte, alors qu'à l'étranger, c'est la pratique de référence qui concerne pratiquement tous les types d'intervention, même lourdes, sauf quand l'état du patient y fait obstacle, ce qui ne représente que 20 % des cas. Dans le même temps, le nombre de lits de chirurgie conventionnelle n'a pratiquement plus diminué depuis près de dix ans et leur taux d'occupation, de seulement, 67 %, se révèle très insuffisant. Selon certaines estimations, jusqu'à 5 milliards d'euros d'économies seraient possibles à terme en utilisant mieux les capacités de chirurgie ambulatoire existantes et en fermant en conséquence les lits de chirurgie conventionnelle sous-utilisés. Ce chiffre de 5 milliards d'euros d'économies potentielles représente près de 7 % de la dépense hospitalière financée par l'assurance maladie.

La Cour propose notamment pour accélérer cette substitution indispensable que la tarification des actes de chirurgie conventionnelle soit désormais alignée sur les coûts de la chirurgie ambulatoire pour des actes identiques. Cette nouvelle stratégie serait de nature à apporter progressivement des économies, qui, sur la durée, seraient très importantes. Il s'agit d'un exemple qui illustre un constat que fait souvent la Cour : certaines évolutions peuvent être à la fois source d'économies et d'amélioration de la qualité des soins.

A une autre échelle puisqu'elle ne représente que moins de 1 % des dépenses hospitalières, l'hospitalisation à domicile est un autre exemple de prise en charge moins onéreuse qu'en établissement de pathologies lourdes et complexes, comme par exemple en cancérologie. Un pilotage plus ferme du ministère de la santé, des référentiels d'activité plus nombreux, la rénovation d'un modèle tarifaire obsolète, des évaluations médico-économiques rigoureuses devraient permettre de développer sa place au-delà de l'objectif actuel, encore quatre fois inférieur au niveau atteint dans certains pays étrangers.

Tous les acteurs du système hospitalier devraient s'engager résolument dans cet effort de modernisation et de réorganisation, qu'il s'agisse des établissements les plus importants comme les centres hospitaliers universitaires, comme la Cour l'a souligné dans son rapport de 2011, ou d'autres plus modestes, comme ceux dont la Cour analyse cette année le positionnement. Il s'agit d'une part des établissements de santé privés à but non lucratif, dits désormais d'intérêt collectif, gérés le plus souvent par des associations, des fondations ou des mutuelles, et qui regroupent 14 % des capacités d'hospitalisation, d'autre part des anciens hôpitaux locaux, qui représentent le tiers des établissements publics mais n'assurent qu'une très faible part de l'activité hospitalière. Les mutations de ces établissements doivent s'amplifier, en utilisant dans le premier cas les atouts d'un statut original, notamment la souplesse que leur confèrent les règles de droit privé qui s'appliquent à eux et, dans le second cas, en s'appuyant sur la spécificité que constitue leur recours à des professionnels libéraux, en particulier dans certains territoires en risque de désertification médicale.

Si les hôpitaux doivent être mis bien davantage sous tension de réorganisation, les autres acteurs du système de soins ne sauraient rester à l'écart du surcroît d'effort indispensable pour accélérer le rééquilibrage des comptes de l'assurance maladie. La Cour a déjà illustré les importantes possibilités d'économies qui existent à cet égard dans nombre de secteurs : l'imagerie médicale et les soins dentaires en 2010, les médicaments en 2011, les transports sanitaires en 2012, en documentant notamment 450 milliards d'euros d'économies à ce seul titre.

L'examen cette année de la réforme de permanence des soins ambulatoires instaurée il y a dix ans montre qu'une augmentation des dépenses n'est en rien garante d'un meilleur service pour la population. La permanence des soins la nuit, les week-ends et les jours fériés a longtemps reposé sur un tour de garde des médecins libéraux relevant d'une obligation déontologique et sans rémunération particulière. Elle est désormais fondée sur un dispositif de volontariat rémunéré.

Les dépenses ont quasiment triplé depuis 2001 pour atteindre près de 700 millions d'euros sans avoir pour autant réussi à désengorger les urgences hospitalières. Le dispositif s'avère parfois exagérément coûteux : par exemple, dans la Sarthe, dans le seul secteur du Grand Lucé, les quelque dix interventions réalisées dans toute l'année 2009 ont chacune coûté à l'assurance maladie plus de 3 700 euros. De même, en examinant les cas de villes comme Toulon, Grenoble, Le Mans ou Le Havre, la Cour a constaté que la superposition au dispositif de droit commun de l'intervention d'associations libérales comme SOS Médecins semble plutôt se traduire par une augmentation de la dépense. La Cour recommande que les secteurs de garde soient réorganisés et qu'une meilleure articulation de l'intervention des différents acteurs, associations, professionnels de santé libéraux, hôpital, soit recherchée. Les ARS devraient coordonner bien plus rigoureusement l'organisation de la permanence des soins dans le cadre d'enveloppes régionales fermées regroupant l'ensemble de financements que l'assurance maladie y consacre, incluant la rémunération des actes médicaux.

Des économies très significatives sont possibles aussi sur les dépenses d'analyses médicales. Elles s'élèvent à près de 6 milliards d'euros pour l'assurance maladie et ont fortement progressé sur longue période : l'augmentation du nombre d'actes a été de 80 % en quinze ans. A titre d'exemple, les remboursements au titre du dosage de la vitamine D ont été multipliés par sept en cinq ans et représentent désormais une dépense annuelle de près de 100 millions d'euros, sans qu'ait été encore évaluée l'utilité clinique de cet acte. L'obligation depuis 2010 d'accréditation des laboratoires n'a pas encore conduit à une rationalisation des implantations, au nombre de 3 600 pour les laboratoires privés et d'environ 500 en établissements de santé. Certains ajustements tarifaires limités et tardifs ont conduit à des économies très inférieures à ce qu'auraient permis les constants progrès techniques des automates d'analyse, entretenant parfois des situations de rente dont le coût est supporté par l'assurance maladie.

La Cour estime qu'une action traduisant de façon plus déterminée les gains considérables de productivité du secteur permettrait de dégager rapidement 500 millions d'euros d'économies, portant pour moitié sur les dépenses de ville, notamment en baissant d'au moins 2 centimes la valeur de l'unité de tarification (la lettre clef B) tout en modernisant la nomenclature, et pour l'autre moitié de ces économies sur les dépenses de biologie hospitalière.

Ces pistes de réformes permettent de faire porter l'effort sur les actes moins utiles. A défaut, le risque pourrait exister d'un déremboursement rampant des soins courants, pénalisant les assurés sociaux qui ne sont pas pris en charge à 100 % dans le cadre d'une affection de longue durée. Mieux cibler les économies sur les dépenses les moins justifiées est dans l'intérêt des patients comme dans celui des professionnels de santé.

L'exemple de la prise en charge de l'optique correctrice, qui représente à elle seule une consommation de soins totale de 5,3 milliards d'euros, révèle a contrario tous les dangers d'une absence de pilotage sur le long terme par les pouvoirs publics et l'assurance maladie d'une dépense qui concerne pourtant la très grande majorité des assurés sociaux.

La dépense d'optique par habitant est plus de deux fois supérieure en France à la moyenne de ses quatre grands pays voisins, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne. L'assurance maladie ne prend plus en charge qu'une fraction dérisoire de cette dépense, en moyenne 3,6 % au total, et 2 % pour les seuls adultes. Ce désengagement est un grave échec d'une sécurité sociale solidaire. Les organismes d'assurance maladie complémentaire ont pris le relais, dans des conditions inégales selon les situations et les contrats des assurés. Ils ont pris en charge 71,5 % de la dépense d'optique en 2012 selon les tous derniers chiffres des comptes de la santé. Le dernier quart de la dépense est laissé à la charge des ménages, avec dans certains cas du fait de son poids, un renoncement à l'achat ou à un renouvellement médicalement nécessaire.

Le fonctionnement du marché de l'optique est peu concurrentiel. La dépense d'optique s'est accrue de 39 % hors inflation entre 2000 et 2012. Le fonctionnement de la chaîne de fabrication et de vente explique l'essentiel de cette dérive. Le nombre des points de vente y a augmenté de 43 % depuis 2000 et le nombre d'opticiens a plus que doublé, sans que la satisfaction des consommateurs ait progressé. Il n'en est pas résulté une concurrence accrue et les prix n'ont pas baissé car les charges fixes d'un point de vente se répercutent sur un volume de lunettes vendues moins élevé. Le niveau élevé des marges permet à un point de vente d'atteindre l'équilibre économique à partir de deux ou trois paires de lunettes vendues par jour ouvré. De manière générale, le jeu de renvoi de responsabilités entre acteurs fait obstacle à la baisse des prix. Les assurés en supportent les conséquences, soit indirectement du fait de l'augmentation des tarifs des organismes complémentaires, soit directement du fait d'un reste à charge très élevé quand ils ne disposent pas d'une couverture complémentaire, avec pour conséquence de nombreux renoncements à s'équiper comme il faudrait.

Le rôle désormais résiduel de l'assurance maladie l'a conduite à se désintéresser très largement de la gestion du secteur. Les assurances complémentaires voient dans l'optique un produit d'appel et assurent des remboursements importants et assez fréquents, dont les opticiens parviennent souvent à tirer parti. Les assurances complémentaires ne disposent pas encore de tous les outils nécessaires à une réelle gestion du risque.

La Cour appelle à un rééquilibrage du fonctionnement du marché, afin de maîtriser ce qui est un poste de dépense lourd pour les Français et un enjeu de santé publique. Il est ainsi souhaitable de rendre le marché beaucoup plus transparent et concurrentiel, de mettre les organismes complémentaires en situation de faire jouer beaucoup plus activement la concurrence entre les distributeurs et de redéfinir beaucoup plus strictement le contenu des « contrats responsables », qui bénéficient d'aides publiques très importantes que la Cour a analysées il y a deux ans, pour peser beaucoup plus fortement sur les prix. La Cour fait des constats et de recommandations similaires pour les dépenses d'appareils d'audition - les audioprothèses.

Au-delà enfin des établissements de santé et des professionnels libéraux, les différents gestionnaires eux-mêmes de l'assurance maladie doivent davantage contribuer au retour à l'équilibre de l'assurance maladie en dégageant des gains de productivité et des économies de gestion. Dans le prolongement de ses analyses sur ce point dans son rapport 2011 sur les différentes branches du régime général, la Cour est revenue cette année sur la gestion par les mutuelles de fonctionnaires et les mutuelles étudiantes de l'assurance maladie obligatoire. Ce sont en effet ces mutuelles, et non les caisses primaires d'assurance maladie, qui assurent pour le compte de la branche maladie du régime général le remboursement des prestations au titre de l'assurance maladie obligatoire pour 7,7 millions de fonctionnaires et d'étudiants et leurs familles, soit 13,3 % des ressortissants du régime général.

Dans la continuité d'une enquête remontant à 2006, la Cour a constaté une qualité de service toujours inégale, mais souvent insuffisante des mutuelles de fonctionnaires, tout particulièrement à la mutuelle complémentaire de la ville de Paris, dont l'accueil téléphonique, à titre d'exemple, n'était assuré en 2012 que 4 heures par jour et ne répondait qu'une fois sur trois. Malgré certains efforts de réorganisation, leurs coûts demeurent élevés. Leur rémunération, à hauteur de 270 millions d'euros, même si elle a baissé, est calculée de façon très favorable. Elle reste à un niveau nettement supérieur aux coûts de gestion des caisses primaires. Dans le prolongement de ses préconisations antérieures, la Cour recommande de reconsidérer le maintien de la gestion déléguée à des mutuelles de l'assurance maladie obligatoire des agents publics ou, à tout le moins, d'ouvrir la liberté de choix aux fonctionnaires d'Etat entre se rattacher à la caisse primaire de leur domicile et demeurer gérés par la mutuelle à laquelle est rattachée leur administration.

S'agissant des onze mutuelles étudiantes, la qualité de service est là aussi très inégale et souvent insuffisante, qu'il s'agisse de l'envoi des cartes Vitale, du remboursement des actes ou des relations avec les étudiants, notamment à La mutuelle des étudiants, qui couvre 54 % des étudiants : ainsi, en 2012, un étudiant avait une chance sur quatorze de pouvoir joindre cette mutuelle au téléphone. Leur rémunération, fixée dans des conditions particulièrement peu transparentes et avantageuses, a pourtant sensiblement augmenté. La Cour recommande la reprise de la gestion de l'assurance maladie obligatoire des étudiants par les caisses d'assurance maladie, qui faciliterait une amélioration de la qualité de service et permettrait une économie de près de 70 millions d'euros. A défaut, il apparaît nécessaire de laisser aux étudiants le choix entre l'affiliation à la sécurité sociale étudiante et le maintien de leur rattachement au régime de leurs parents.

Le quatrième et dernier constat concerne non plus l'assurance maladie, mais certains régimes particuliers de retraite. La Cour, après l'an dernier les régimes spéciaux de la RATP et de la SNCF, a plus spécifiquement étudié cette année les perspectives, en l'occurrence ceux des exploitants agricoles et ceux des professions libérales : leur soutenabilité suppose un pilotage très attentif et précis de la part des pouvoirs publics et appellera rapidement des efforts supplémentaires pour les professions concernées.

Les régimes de retraite des exploitants agricoles comptent moins de 500 000 cotisants pour 1,6 million de bénéficiaires : les cotisations ne couvrent ainsi que moins de 13 % des charges du régime de base. Malgré des pensions servies de montant modeste et un apport de 6,7 milliards d'euros de financements complémentaires en provenance des autres régimes et de l'Etat, son déficit, financé par emprunt bancaire à court terme, devrait approcher 1 milliard d'euros en 2013. Un redressement de l'effort contributif de la profession apparaît nécessaire, notamment par le réexamen de multiples dispositifs entraînant une perte de cotisations, notamment l'assiette forfaitaire de cotisations et les possibilités d'optimisation sociale permises par les formes sociétaires d'exploitation, en fort développement.

Les régimes de retraite des professions libérales ne connaissent pas en revanche de difficultés d'ordre démographique, avec 800 000 cotisants, dont 200 000 auto-entrepreneurs, pour un peu plus de 200 000 pensionnés. Mais le régime de base unique à ces professions est confronté à des perspectives de déficit à court terme qui exigent d'aller au-delà de l'augmentation récente des cotisations. Les risques démographiques et financiers d'ici 2040 imposent un pilotage plus attentif par les pouvoirs publics et, sans doute, la mise en oeuvre de mécanismes de solidarité interprofessionnelle pour permettre d'assurer la pérennité de l'ensemble des régimes. Plus ces efforts tarderont, plus ils seront difficiles.

Dans la période de difficultés économiques que connaît notre pays, la sécurité sociale est plus que jamais garante de la cohésion sociale et de la solidarité entre les générations. La persistance d'un déficit structurel - indépendamment des fluctuations conjoncturelles - depuis plus de vingt ans met en danger cette sécurité sociale dans ses fondements mêmes. Le retour à l'équilibre des comptes n'est pas un enjeu comptable : c'est un enjeu national qui justifie un effort d'une ampleur à la hauteur de la nécessité de maintenir un haut degré de protection sociale dans notre pays.

Cet effort a été engagé. Il porte ses premiers fruits, qui vont bien au-delà de la diminution des déficits déjà enregistrée. Il ne peut être relâché. Les réformes réalisées et celles à venir fournissent l'opportunité d'une modernisation en profondeur de notre protection sociale. Elle en sortira plus juste, plus solidaire, plus responsable, plus efficiente. En un mot, plus forte et plus légitime.

2014 commémorera les soixante-dix ans du programme national de la Résistance. La Cour espère que son rapport contribuera utilement en cette année symbolique à affermir la sécurité sociale qui en est directement issue.

Je vous remercie de votre attention et me tiens avec les magistrats qui m'entourent à votre disposition pour répondre à vos questions.

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