Le SPIIL est le dernier syndicat né de la presse, précisément en 2009, et le plus petit, car avant cette date, la presse numérique n'était pas considérée comme étant de la presse. Ce qui a changé fondamentalement, c'est la prise en compte de ce nouveau statut. Nous ne demandons pas plus d'aide car nous avons été suffisamment critiques vis-à-vis du système actuel ; nous souscrivons d'ailleurs pour une grande partie aux analyses de la Cour des comptes.
Nous avons été parmi les premiers à demander la transparence des aides et à vérifier leur efficacité. Comme nous sommes issus du monde numérique, nous ne vivons pas les pesanteurs ou l'héritage de la presse traditionnelle, bien que les fondateurs de notre syndicat soient tous issus de la presse traditionnelle. Nous en partageons par ailleurs totalement les valeurs.
Le SPIIL comporte 70 membres et représente toutes les familles de presse : gratuite et payante, d'information politique et générale (IPG) et non IPG, nationale et régionale. C'est pourquoi nous ne raisonnons pas en termes de familles car nous pensons que la presse est une et indivisible.
Le principe essentiel est celui du pluralisme car c'est un élément fondamental de notre démocratie. C'est la seule justification réelle à l'existence de l'aide de l'Etat pour ce secteur économique. Je voudrais, à ce sujet, citer la page 644 du dernier rapport annuel de la Cour des comptes : « ce principe, reconnu par le Conseil constitutionnel, constitue le fondement historique de l'aide de l'Etat et le coeur de sa politique actuelle ». Cette citation résume nos débats car depuis la libération, avons-nous constaté que ces mécanismes d'aide ont favorisé le pluralisme de la presse ? La réponse est clairement non.
Aujourd'hui, le nombre de quotidiens nationaux a été considérablement réduit et seul Libération a été créé depuis la guerre, puis, tout récemment, l'Opinion. Ce système n'a donc pas favorisé le pluralisme de la presse nationale. Encore plus grave, dans la presse quotidienne régionale, il n'y a plus quasiment que des monopoles. Le rapport de la Cour des comptes est même plus sévère que je ne l'aurais jamais été, mais il faut réaffirmer le fait que ces aides n'ont pas atteint leur objectif.
Le rapport de M. Roch-Olivier Maistre, président de l'autorité de régulation et de distribution de la presse, demandé par Mme Aurélie Filipetti, ministre de la culture et de la communication, présenté au mois d'avril dernier, a émis des constats similaires et aussi des propositions, auxquelles nous souscrivons mais qui n'ont pas été suivies d'effet. Deux mesures très courageuses étaient proposées :
- la TVA à 2,1 % pour toute la presse, alors qu'elle est toujours à 19,6 % pour la presse en ligne. Les aides indirectes comme la TVA sont plus vertueuses que les aides directes pour favoriser tout le secteur de la presse, à égalité pour tous les acteurs et les lecteurs dans un cadre neutre. Cela rejoint le même débat sur la neutralité fiscale de la TVA pour le livre papier et le livre numérique. Comment peut-on vouloir soutenir l'innovation, donc le numérique, et surtaxer les nouvelles technologies ? Il y a une sorte d'incohérence ;
- sur le second point, la distinction entre presse IPG et non IPG doit être supprimée car elle n'a aucune justification dans la presse numérique, et aucune capacité d'être contrôlée. Il y a 180 sites de presse reconnus comme IPG et plus de 5 000 qui ne le sont pas. Au nom de quoi l'Etat déciderait-il que l'innovation serait cantonnée à la presse IPG ? Pourquoi exclure la presse scientifique, économique, sportive et médicale ? Il n'y a pas de raison pour que la presse dédiée à la connaissance et au savoir soit exclue du soutien à l'innovation. Le rapport « Maistre » a conclu qu'il n'était pas souhaitable de maintenir la distinction entre la presse IPG et la presse qui ne l'est pas. D'ailleurs, il était proposé une forme de troc en demandant à la presse magazine de soutenir la diffusion de la presse quotidienne en échange de la suppression de cette barrière. Cette solution est louable, c'est pourquoi je regrette qu'elle n'ait pas été retenue par la ministre et par la Cour des comptes.
Pour aggraver cette situation, il y a le fonds « Google » que vous avez évoqué, Monsieur le Président. Il s'agit d'un fonds totalement privé, créé par une société multinationale américaine, qui va soutenir uniquement la presse IPG, laquelle bénéficiera à la fois des aides publiques et de fonds privés. Google, avec la bénédiction du Président de la République et de l'Etat, va fixer ses propres règles de distribution des aides à un seul secteur, qui plus est très étroit, de la presse. Je salue la capacité de lobbying de nos confrères, mais est-il normal que l'Etat ne remplisse pas sa fonction de soutien au pluralisme à travers les aides publiques et, dans le même temps, abandonne ses prérogatives de politique publique à un fonds privé ?