Intervention de Jean-Yves Le Déaut

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 10 septembre 2013 : 1ère réunion
Présentation du rapport sur « la transition énergétique à l'aune de l'innovation et de la décentralisation » — Synthèse des analyses des Auditions et rapports de l'opecst liés à la transition énergétique par M. Bruno Sido sénateur président et M. Jean-Yves Le déaut député premier vice-président

Jean-Yves Le Déaut :

Un mot d'abord pour excuser mon retard dû à la perturbation des vols en provenance de Pau, où je participais à l'Université d'été de la défense.

Le rôle de l'Office est d'analyser l'interaction entre les évolutions technologiques et la société, et une question comme celle la transition énergétique relève directement de ce type d'interactions : voilà pourquoi cette question n'est pas nouvelle pour nous ; l'Office s'est penché de longue date sur les conditions du développement des énergies renouvelables. En novembre 2001, un rapport que j'ai publié avec notre ancien collègue Claude Birraux, a ainsi été à l'origine de deux plans lancés à l'époque : « Face sud » pour le solaire thermique et « Terre énergie » pour la biomasse.

L'Office défend tout autant l'importance des efforts économies d'énergie, comme l'illustre le rapport de Claude Birraux et Christian Bataille en 2009 sur la performance énergétique des bâtiments, et la nouvelle étude que je vais conduire avec Marcel Deneux sur les freins à l'innovation en matière d'économies d'énergie dans le bâtiment. Mais ces analyses montrent combien ces économies d'énergie sont difficiles à réaliser, notamment parce qu'elles requièrent des moyens financiers très importants.

Il est donc essentiel que le pays mobilise ses atouts économiques pour dégager les ressources nécessaires. En Allemagne, ces ressources se trouvent dans le charbon ; en France, moins bien dotée en ressources fossiles, elles sont apportées par l'énergie nucléaire. Il faut donc bien faire attention à ne pas tuer la poule aux oeufs d'or.

Le besoin de financement des économies d'énergie va être très important, mais il faut faire attention aux fausses bonnes idées. Je songe en particulier à cette idée évoquée, dans le cadre des travaux du débat national, par le rapport du groupe 4 chargé d'analyser les questions de financement : il s'agirait de regrouper dans une structure publique les fonds actuellement mis en réserve par les entreprises pour financer le traitement des déchets nucléaires, puis d'utiliser ces moyens là pour soutenir les économies d'énergie et les énergies renouvelables. L'idée n'a pas été retenue dans la synthèse finale, mais elle figure toujours dans le rapport du groupe 4. Elle est doublement dangereuse, car, d'un côté, elle conduirait au désengagement des entreprises productrices de déchets ; celles-ci seraient en effet incitées à se laver les mains du devenir des déchets une fois qu'elles auraient payé leur quote-part ; de l'autre, une telle idée omet le risque que les fonds soient engagés au moment où l'on en aurait vraiment besoin pour les déchets.

Il est essentiel d'orienter les ménages vers la sobriété énergétique, mais il ne faut pas essayer de forcer la transition en créant des situations financières en porte-à-faux ; la bonne stratégie consiste à maximiser l'efficacité des moyens qu'il est possible d'obtenir de notre économie. Le double objectif de réduire à 50 % la part d'énergie nucléaire dans notre production électrique, et d'abaisser sensiblement notre consommation d'énergie à l'horizon 2050, n'est pas contestable, mais nous n'en prendrons véritablement le chemin qu'au prix d'une forte focalisation sur les mécanismes d'innovation.

Je voudrais souligner que toute transition conduit à un nouvel équilibre qui n'est pas forcément celui qu'on a imaginé au départ, et qu'il faut pouvoir essayer d'en éviter les conséquences allant à contresens. On le vérifie actuellement avec le développement rapide des énergies variables ou intermittents, qui rend nécessaire une extension, non prévue et tout à fait conséquente, du parc des centrales à gaz. Ce parc était presque inexistant il y a dix ans, et rien qu'EDF exploite aujourd'hui une quinzaine d'installations pour une capacité cumulée d'un peu plus de 12 GW, ce qui contribue plutôt à augmenter nos émissions de CO2.

C'est l'une des fonctions de l'innovation de permettre d'éviter ce genre d'effet à rebours. Il est donc essentiel de consacrer à celle-ci toutes les ressources possibles, et de concentrer particulièrement les efforts sur les dispositifs de stockage d'énergie. De ce point de vue, nous sommes en phase avec Negawatt sur la priorité à accorder à la méthanation (distincte de la méthanisation), car c'est un dispositif de stockage d'énergie qui permet par surcroît de fixer du CO2, c'est à dire de stocker du carbone. Les avancées dans cette direction constitueraient un puissant levier de compétitivité pour notre économie, car le pays en tête pour cette technologie s'ouvrira des marchés considérables.

L'action publique en matière d'innovation a devant elle deux chantiers tout à fait cruciaux pour la réussite de la transition énergétique : l'assouplissement à bon escient des procédures imposées aux nouvelles solutions technologiques ; et le renforcement des mécanismes de financement pour passer à l'étape de l'industrialisation. Il faut une véritable mobilisation générale sur ces deux chantiers pour accélérer la transition énergétique.

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