Intervention de Jean Germain

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 1er octobre 2013 : 3ème réunion
Traitement équilibré des territoires par une réforme de la dotation globale de fonctionnement — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean GermainJean Germain, rapporteur :

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui a pour objet d'augmenter la dotation de base perçue par les communes rurales.

Certaines d'entre elles font face à des difficultés financières, qui résultent d'une part d'une paupérisation de leur population et, d'autre part, d'un poids parfois relativement important de ce que j'appellerais les « charges de ruralité ». Il s'agit notamment des coûts d'entretien de la voirie : je rappelle que les communes de moins de 2 000 habitants comptent à elles seules plus des deux tiers de la voirie communale. On peut également penser aux dépenses d'éducation, qui représentaient, avant l'entrée en vigueur de la réforme des rythmes scolaires, la moitié du budget de fonctionnement des communes rurales.

C'est dans ce contexte d'inquiétude des territoires ruraux qu'ont pu poindre des critiques du mode de calcul de la dotation de base.

La dotation de base est une composante de la dotation forfaitaire, au sein de la DGF des communes. C'est une dotation significative, puisque son montant total s'élève à 6,8 milliards d'euros en 2013 ; elle représente donc plus d'un quart de la DGF des communes.

Selon le code général des collectivités territoriales, la dotation de base est destinée à « tenir compte des charges liées à l'importance de la population ». Aussi, chaque commune bénéficie d'une dotation de base dont le montant par habitant est d'autant plus important que la commune est peuplée : les communes de moins de 500 habitants perçoivent 64 euros par habitant, tandis que les communes de plus de 200 000 habitants bénéficient du double, soit 128 euros par habitant.

Le montant par habitant exact dont bénéficie chaque commune est déterminé par un coefficient logarithmique, dont la valeur varie entre 1 et 2, en fonction de la population.

Le fait qu'il soit logarithmique permet au coefficient de croître d'abord très rapidement avec la population, puis de moins en moins vite.

Par conséquent, les écarts de dotation par habitant diminuent rapidement. Ainsi, l'écart entre une commune de 20 000 habitants et une commune de 200 000 habitants n'est pas de 2 mais de 1,2.

Si l'on raisonne en masses, on observe que la moitié de la population habitant dans les communes les moins peuplées se partage 43 % de la dotation de base.

La proposition de nos collègues du groupe CRC vise « à atténuer les inégalités de traitement » entre les collectivités, grâce à « la disparition progressive des écarts de dotation de base ».

L'article 1er propose ainsi d'aligner à la hausse le montant de dotation de base par habitant pour toutes les communes de moins de 20 000 habitants sur celui actuellement perçu par les communes de 20 000 habitants. Cet alignement serait étalé sur cinq ans.

Par conséquent, entre 2013 et 2018, le montant minimum par habitant perçu par une commune de moins de 500 habitants passerait de 64 à 104 euros. Celui d'une commune de 10 000 habitants de 96 à 104 euros.

J'estime le coût de cette mesure à 150 millions d'euros la première année, avant une montée en charge progressive pour atteindre un coût annuel de 889 millions d'euros à partir de 2018. A titre de comparaison, cela équivaudrait à un doublement de la dotation de solidarité rurale (DSR).

Il faut souligner que la réforme bénéficierait essentiellement aux communes de moins de 3 500 habitants, qui percevraient près de 80 % de l'augmentation de la dotation.

Néanmoins, en termes d'augmentation moyenne par commune, l'impact serait assez faible pour les communes de moins de 500 habitants, avec une augmentation de l'ordre de 9 600 euros environ. Pour les communes dont le nombre d'habitants est compris entre 3 500 et 10 000, l'augmentation moyenne serait plus importante, de l'ordre de 70 000 euros.

Il est proposé, pour financer cette mesure, de relever le taux de l'impôt sur les sociétés ; les recettes ainsi procurées compenseraient à due concurrence la charge nouvelle ainsi créée. Il s'agit en quelque sorte « d'extraire » de la DGF et de l'enveloppe normée la hausse proposée de la dotation de base, afin d'éviter que les collectivités elles-mêmes ne la financent.

Or, le financement d'une telle mesure doit être compatible avec les objectifs en matière de prélèvements obligatoires, de dépense et de déficit publics, définis dans le cadre de notre trajectoire de redressement des comptes publics. Ainsi, en ce qui me concerne, je considère que le mode de financement proposé n'est pas envisageable.

D'autre part, un financement par l'État ne paraît pas envisageable dans un contexte de réduction des dépenses publiques, et alors qu'il a été demandé aux collectivités de participer à cet effort.

Enfin, la participation des collectivités elles-mêmes au financement de ce dispositif selon les modalités « traditionnelles » de compensation de la hausse des dotations de base paraît également inopportune. En effet, les collectivités doivent participer, en 2014, à un effort de maîtrise des dépenses publiques, qui se traduit notamment par une réduction de 1,5 milliard d'euros des concours de l'État aux collectivités. La répartition de cet effort a abouti à un accord au sein du comité des finances locales (CFL), concrétisé par le « Pacte de confiance et de responsabilité » présenté par le Premier ministre le 16 juillet 2013. Il serait inopportun de remettre en cause cet accord.

Outre l'épineuse question du financement, l'appréciation de la situation financière des communes rurales ne saurait se limiter à leur dotation de base.

En effet, la dotation de superficie et surtout la DSR prennent d'ores et déjà en compte certaines spécificités des communes rurales.

Ainsi, l'objectif de la DSR, énoncé par la loi, est de « tenir compte, d'une part, des charges qu'elles supportent pour contribuer au maintien de la vie sociale en milieu rural, d'autre part, de l'insuffisance de leurs ressources fiscales ». Les parts « péréquation » et « cible » de la DSR sont notamment réparties sur la base de critères de charges reconnues comme particulièrement importantes pour le monde rural : il s'agit de la longueur de voirie classée dans le domaine public communal et du nombre d'enfants âgés de 3 à 16 ans. Les autres critères utilisés pour répartir le montant de la DSR entre communes éligibles sont le potentiel financier et l'effort fiscal, ce qui permet de prendre également en compte les marges de manoeuvre fiscales et la richesse des communes.

Or, il faut noter que sur les dix dernières années, le montant de la DSR a plus que doublé puisqu'il a augmenté de plus de 130 %.

Malgré cette augmentation et la création de la fraction « cible » de la DSR, son efficacité est faible en raison de son saupoudrage. Ainsi, près de 95 % des communes bénéficient de la DSR, et 97 % des communes de moins de 10 000 habitants la perçoivent. La moitié des communes éligible à la DSR perçoivent une dotation de 9 600 euros ou moins.

En plus de la DSR, les communes rurales bénéficient de la dotation de superficie, dont le mode de calcul leur est favorable : celle-ci est égale à 3,22 euros par hectare et à 5,37 euros par hectare dans les communes situées en zone de montagne. D'un montant total de 225 millions d'euros, elle est répartie pour 99 % de son montant entre les communes de moins de 20 000 habitants.

La DSR et la dotation de superficie sont donc spécifiquement conçues pour tenir compte des particularités des communes rurales et leur sont favorables.

Par ailleurs, il faut reconnaître qu'il existe des charges liées à la population - les « charges de centralité ».

La prise en compte de ces charges est ancienne et dès la création, en 1985, d'une dotation calculée à partir du nombre d'habitants, un coefficient de pondération avait été mis en place.

Leur montant est en revanche difficile à évaluer. Le choix, en 2004, de retenir un écart de dotation de base par habitant compris entre 1 et 2 avait fait l'objet de débats importants au CFL. Il est difficile aujourd'hui de se prononcer sur la pertinence de ce rapport de 1 à 2 ; cependant, il me semble qu'il demeure indispensable de prendre en compte les charges de centralité.

Enfin, il faut reconnaître que l'effort fiscal des communes de moins de 500 habitants est inférieur à la moyenne nationale : celui-ci croît progressivement avec la population, jusqu'aux communes de 50 000 habitants, et il est maximal pour les communes dont le nombre d'habitants est compris entre 100 000 et 200 000. Il décroit ensuite dans les communes de plus de 200 000 habitants.

S'il convient de prendre en compte les spécificités du monde rural, il est également nécessaire de considérer son hétérogénéité.

En effet, « l'appellation » de territoire rural recouvre une grande diversité de situations, entre les communes touristiques, les communes situées à proximité de grands centres urbains ou encore les communes les plus isolées.

À ce titre, les communes les moins peuplées - et notamment celles de moins de 1 000 habitants - se caractérisent par une grande diversité en termes de revenu moyen par habitant. La situation économique de la population résidant dans ces petites communes est donc très variable.

En outre, s'agissant du potentiel financier, qui mesure la richesse de la collectivité elle-même, il apparaît que parmi les communes de moins de 2 000 habitants, le potentiel financier est lui aussi très variable.

Ainsi, augmenter la dotation de base aurait un impact aussi bien sur les communes « riches » que sur les communes « pauvres », aussi bien sur les communes dont les habitants connaissent une situation économique particulièrement précaire que sur celles dont la population est plus aisée.

Face à cette extrême diversité des situations des communes rurales, je pense que l'augmentation de la dotation de base n'est pas une réponse pertinente aux difficultés rencontrées par certaines d'entre elles. En d'autres termes, un effort financier sur la dotation de base n'aurait pas un effet suffisamment ciblé sur les communes vraiment en difficulté.

C'est pourquoi je considère que la réflexion sur les difficultés du monde rural doit s'inscrire dans le cadre plus global d'une réforme de la DGF. Je vous invite donc à poursuivre dans ce sens la réflexion lancée par le texte examiné aujourd'hui et d'adopter à ce stade une motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi.

Je rappelle par ailleurs que le Gouvernement a évoqué à plusieurs reprises l'ouverture d'un chantier sur la réforme de la DGF. La question de la dotation de base et des territoires ruraux sera l'une des questions à aborder. Nous aurons l'occasion d'interpeller en séance la ministre ou les ministres sur ce sujet.

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