Intervention de Bernard Cazeneuve

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 1er octobre 2013 : 3ème réunion
Loi de finances pour 2014 — Audition de M. Bernard Cazeneuve ministre délégué chargé du budget

Bernard Cazeneuve, ministre délégué :

Je vous présente les excuses de Pierre Moscovici, empêché. Pour laisser place au débat, je vous dispenserai des quelque 87 pages du discours qui m'avait été préparé et j'irai à l'essentiel.

Le projet de loi de finances pour 2014 répond à trois objectifs, étroitement liés : inverser la courbe du chômage, faire revenir durablement la croissance, redresser nos comptes. La croissance ne reviendra pas si nous ne maintenons pas la trajectoire de redressement de nos comptes publics, et nous n'avons aucune chance de renverser la courbe du chômage sans croissance.

Le contexte a changé depuis l'an dernier. L'objectif du projet de loi de finances pour 2013, qui vous avait été présenté par Pierre Moscovici et mon prédécesseur, était de retrouver notre souveraineté en relevant un triple défi : redresser nos comptes pour gagner en crédibilité, rétablir notre compétitivité qui était dégradée, relancer l'investissement et la demande pour créer de la croissance.

Le redressement des comptes, engagé dès le projet de loi de finances rectificative pour 2012, s'est poursuivi dans le projet de loi de finances pour 2013, afin d'atteindre les objectifs d'ajustement structurel que nous avions pris devant l'Union européenne et les objectifs nominaux que nous nous étions fixés. En 2012, grâce aux gels décidés et aux mesures fiscales, le déficit s'est établi à 4,8 % au lieu de 5,3 %. Notre contribution au budget de l'Union européenne nous a notamment empêchés d'atteindre les 4,5 % prévus.

Nous avons mis en oeuvre le pacte de compétitivité, avec le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) ; nous avons réformé le marché du travail grâce à l'accord national interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l'emploi ; nous avons encore réformé en profondeur le financement de notre économie en créant la Banque publique d'investissement (BPI). Le pacte de croissance négocié par le président de la République nous a conduits à mobiliser des fonds structurels européens, à augmenter le capital de la Banque européenne d'investissement (BEI) et à bénéficier ainsi d'une partie des 60 milliards d'euros de prêts proposés aux pays européens. Nous avons pris des mesures de soutien au pouvoir d'achat : coup de pouce au SMIC, revalorisation de l'allocation de rentrée scolaire.

Après un premier trimestre 2013 décevant, le deuxième a enregistré une croissance de 0,5 %. Nos prévisions de croissance sont de 0,1 % pour 2013 et de 0,9 % pour 2014. Le programme de stabilité prévoyait 1,2 % en 2014, et le consensus des économistes s'établissait en juin à 0,6 %. Notre prévision de 0,9 % se situe à mi-chemin. Le Haut Conseil des finances publiques considère cette hypothèse comme plausible. Nous l'estimons prudente, et avons construit notre budget sur cette base.

Celui-ci reflète notre volonté résolue de réduire les déficits. Le déficit nominal a été de 5,3 % en 2011 et de 4,8 % en 2012. Nous escomptons 4,1 % en 2013 et 3,6 % en 2014, et 1,2 % en 2017. Nous procédons, depuis le début du quinquennat, à un effort structurel important et continu : 1,3 % en 2012, 1,7 % en 2013, puis de 1 % pour 2014. Nous faisons en 2014 un effort exceptionnel d'économie en dépenses (9 milliards d'euros pour l'Etat, 6 milliards pour la sphère sociale). Ce dernier chiffre résulte d'abord d'un effort important de maîtrise des dépenses d'assurance-maladie. En 2012 nous avons été à un milliard d'euros en dessous de l'objectif national de dépenses d'assurance-maladie (Ondam) fixé par nos prédécesseurs. En 2013, ce devrait être 500 millions d'euros. L'Ondam croîtra de 2,4 % en 2014, et les économies sur l'assurance-maladie atteindront 3 milliards d'euros. Les mesures que nous avons prises sur le régime général des retraites dégageront 2 milliards d'euros d'économie. Ajoutez à cela un milliard en raison des négociations sur les régimes complémentaires AGIRC-ARCO, ainsi que de la renégociation des contrats d'objectifs et de gestion de certains organismes de sécurité sociale, rendue possible par l'usage des technologiques numériques, ou encore de la négociation entre les partenaires sociaux sur l'Unedic, et nous arrivons à 6 milliards d'euros !

Nous avons engagé avec les ministres la négociation sur le budget 2014 avec pour objectif, non de jouer du rabot pour atteindre arithmétiquement un objectif d'économies fixé, mais d'engager une réflexion très approfondie sur chaque budget et de susciter des réformes d'organisation et de structure, afin d'inscrire ce dialogue dans une perspective de long terme. La modernisation de l'action publique (MAP) nous a considérablement aidés. Par exemple, 50 % des préconisations relatives aux aides aux entreprises ont été intégrées au budget 2014. La réflexion engagée sur les opérateurs de l'État a abouti au plafonnement des taxes affectées aux organismes consulaires et nous a donné une évaluation plus précise de leur niveau de trésorerie, ce qui a dégagé plus de 300 millions d'économies. De même, un meilleur ciblage des exonérations dont bénéficiaient les entreprises situées outre-mer a dégagé 90 millions d'euros d'économies. Le prélèvement de 90 millions d'euros sur le Centre national du cinéma et de l'image animée résulte aussi de la MAP.

Les administrations centrales de l'État voient leurs dépenses de fonctionnement diminuer de 2 % en moyenne. Les mesures catégorielles dont bénéficient les fonctionnaires sont divisées par deux, et le point de la fonction publique reste gelé depuis plusieurs années - reconnaissons que les fonctionnaires fournissent un effort important. Les effectifs sont maîtrisés, même si nous avons procédé à 29 000 recrutements dans les secteurs prioritaires tels que l'éducation nationale, la justice et la police, qui ne sont pas pour autant exemptés de l'effort global d'économie. Nous avons en effet supprimé davantage de postes dans d'autres administrations. Ainsi, en 2014, nous créons 10 979 emplois, tout en en supprimant plus de 13 000 dans d'autres administrations, dont 7 000 au ministère de la défense, et plus de 2 500 au ministère de l'économie et des finances.

A titre d'exemple, trois administrations centrales ont accompli des efforts emblématiques. Le ministère de la justice a économisé 45 millions d'euros en réformant les frais de justice, notamment en modifiant les marchés relatifs aux recherches de traces et en mettant en place une plateforme d'entraide judiciaire. La direction générale des finances publiques dégage à elle seule 50 millions d'euros d'économies grâce à la dématérialisation - y compris dans la procédure budgétaire, où le volume de papier utilisé a été divisé par deux. Aux affaires étrangères, enfin, le regroupement de services culturels et consulaires dans des locaux redimensionnés, a dégagé des économies de fonctionnement d'environ 20 millions d'euros. Ces économies ne se font certes pas sans effort ni sans drame, mais elles ont un sens, une cohérence et s'inscrivent dans la durée.

Les ressources des opérateurs de l'État ont augmenté de 15 % ces dernières années et les dépenses de personnel, de 6 %. Le budget 2014 prévoit une diminution de 4 % de leurs ressources, notamment grâce à des regroupements : nous créons par exemple un opérateur unique de la jeunesse, et les opérateurs de la biodiversité seront regroupés au sein d'une même entité en 2015, afin d'en faire autant à moindre coût. Nous diminuons les budgets de certains opérateurs, qui avaient bénéficié de taxes affectées dont le dynamisme avait alimenté des fonds de roulement devenus fort dodus. Ainsi, le produit des taxes affectées à l'ADEME avait augmenté de près de 70 % en quelques années, et son fonds de roulement était passé de 60 à 300 millions d'euros entre 2003 et 2013. Sans porter atteinte à son action, nous avons pu effectuer un prélèvement. De même, les agences de l'eau subissent un prélèvement qui ne remet pas en cause leur fonctionnement compte tenu du niveau de leur fonds de roulement. Nous avons revu également nos politiques d'intervention et d'investissement, afin d'économiser 3 milliards d'euros.

Nous faisons beaucoup d'efforts pour alléger la fiscalité des entreprises. La mise en place du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) allège les charges nettes qui pèsent sur celles-ci de 10 milliards d'euros en 2014. Au titre du budget 2013, 4,5 milliards d'euros avaient été prélevés sur les entreprises qui ne le seront pas en 2014. Nous ne reconduisons pas la totalité des mesures prises l'an dernier. Outre la mesure de rendement de 2,5 milliards d'euros sur laquelle je reviendrai dans un moment, nous cherchons à trouver un milliard en luttant contre la fraude, notamment grâce à la mise en oeuvre des préconisations du rapport de l'Inspection générale des finances sur les prix de transfert. Le milliard d'euros de cotisations des entreprises destiné à financer la réforme des retraites sera intégralement compensé dans le budget 2014. Par rapport à l'année dernière, l'effort fiscal demandé aux entreprises sera moindre, et bien moindre si l'on tient compte des 10 milliards d'euros d'allègements de charges résultant du CICE. Nous faisons bien tout pour que nos entreprises retrouvent leur compétitivité.

Notre réforme de la fiscalité des entreprises s'inspire de la philosophie suivante : nous avons raisonné sur quatre impôts : l'impôt forfaitaire annuel (IFA) et la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui pèsent sur la production, et l'impôt sur les sociétés (IS) ainsi que l'impôt sur les dividendes ; nous avons écarté une augmentation de la taxe sur les dividendes de 3 % créée l'an dernier, car cela enverrait un signal négatif à ceux qui contribuent au financement de l'économie française en investissant dans les entreprises ; nous avons supprimé l'IFA, parce que les impôts pesant sur la production taxent des entreprises dont le chiffre d'affaires peut être important mais le résultat, faible. Mieux vaut un impôt sur l'excédent brut d'exploitation, même si cette assiette prend en compte les amortissements, ce qui pourrait pénaliser l'investissement. La concertation engagée avec les entreprises se poursuivra à la faveur des assises de l'entrepreneuriat annoncées par le président de la République. Nous sommes ouverts à tous ajustements techniques pour faire en sorte que cet impôt nouveau ne pénalise pas l'investissement.

Nous mettrons en place un nouveau régime pour les plus-values mobilières ainsi qu'un nouveau dispositif concernant les jeunes entreprises innovantes. Le taux réduit de TVA pour la construction de logements sociaux et les petites réparations, le taux réduit de TVA sur la rénovation thermique, que nous introduirons par amendement, le taux réduit de TVA pour le logement intermédiaire réalisé par les institutionnels et le nouveau régime fiscal des plus-values immobilières sont autant de dispositifs servant nos objectifs. Enfin, la contribution énergie-climat financera le CICE.

Nous ne prenons pas de mesures à caractère général envers les ménages, à l'exception de la ré-indexation du barème de l'impôt sur le revenu et de la mise en place d'une décote. Il s'agit de corriger une injustice qui a contribué, avec la remise en cause de la demi-part des veuves, à l'entrée dans le barème de Français qui n'avaient pas vocation à y entrer. Toutefois, le nombre de Français entrant dans ce barème s'est élevé en 2011 à 2,6 millions, en 2012 à 2,9 millions, et à 2,6 millions en 2013. Ces chiffres proviennent de la direction générale des finances publiques, et je vous invite à venir les vérifier sur pièces et sur place. Nous vous communiquerons la totalité des tableaux.

Nous modifions le quotient familial pour combler le déficit de 2,5 milliards d'euros de la branche famille et financer certaines mesures du plan contre la pauvreté, la création de 270 000 places et solutions d'accueil pour les jeunes enfants, l'augmentation de l'allocation de soutien familial et du complément familial. Pour financer la réforme des retraites, nous augmentons la cotisation des salariés et nous fiscalisons la majoration de pension de 10 % pour les familles ayant élevé trois enfants. La mesure sur la fiscalité des complémentaires santé dans le cadre d'un contrat collectif d'entreprise est destinée à la généralisation des complémentaires-santé. Chacune de ces dispositions a pour objectif de sauver le modèle social français.

J'ai réservé les collectivités territoriales pour la fin, puisque nous sommes au Sénat. Nous diminuons les dotations qui leur sont allouées d'1,5 milliard d'euros, ce qui est considérable. Le pouvoir de taux des collectivités locales varie significativement aux termes des différentes lois de décentralisation : celui des communes ou des intercommunalités est fort, celui des régions, plus faible ; les départements, qui en ont encore un peu, font face à de très lourdes dépenses contraintes qui obèrent leur capacité d'action. Nous avons donc fait porter 56 % de l'effort à la strate communale et intercommunale, 32 % aux départements et 12 % aux régions.

Dans le même temps, nous avons décidé de signer un pacte de confiance et de responsabilité avec les collectivités territoriales, afin d'apurer la situation passée. La négociation a bénéficié d'un consensus relatif : avec les départements, nous avons trouvé un accord satisfaisant l'ensemble des participants à la négociation. Ceux-ci devaient faire face à des dépenses contraintes très dynamiques au titre de la prestation de compensation du handicap (PCH), de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et du RSA, alors que la crise avait fait baisser leurs recettes. Il a été décidé de leur transférer des frais de gestion dynamiques adossés à des impôts locaux, ainsi qu'un pouvoir de taux sur les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), faisant passer le plafond de 3,8 % à 4,5 %. Comme l'assiette de ceux-ci sera dynamisée du fait de la réforme des plus-values immobilières, les départements pourront mieux faire face à leurs dépenses.

Pour les régions, nous avons décidé de remplacer la dotation générale de décentralisation « formation professionnelle » par des frais de gestion dynamiques ainsi qu'une part de la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE). Nous avons ainsi souhaité que les collectivités locales ne perdent ni leur autonomie ni leur capacité d'investissement, puisqu'elles représentent 65 % de l'investissement national.

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