A la suite de la conférence nationale qui s'est tenue en décembre 2012, un plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale a été adopté le 21 janvier 2013 ; il définit pour la durée du quinquennat la feuille de route du Gouvernement en matière de solidarité. Ses préconisations sont aujourd'hui largement contenues dans le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur).
Certains constats nous montrent l'ampleur des enjeux auxquels le projet de loi doit répondre : en 2011, 8,7 millions de Français - 14,3 % de la population - vivaient en dessous du seuil de pauvreté, la moitié d'entre eux avec moins de 790 euros par mois. Cela touche en premier lieu les jeunes, les personnes isolées et sans emploi, mais également les familles. Selon l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, un tiers des familles monoparentales et plus d'une famille nombreuse sur cinq vivaient en 2009 sous le seuil de pauvreté. Le mal-logement en est l'un des corollaires : 3,6 millions de Français sont aujourd'hui mal-logés et 150 000 n'ont pas de logement ou sont accueillis dans des structures d'hébergement.
Beaucoup sont hébergés par des proches ou contraints de vivre dans des habitations insalubres ou informelles. Ils sont 1,2 million à attendre un logement social. Or les efforts de construction ne sont pas encore à la hauteur des besoins et demeurent trop peu centrés sur les logements sociaux et très sociaux. L'effort substantiel réalisé au cours des dernières années pour renforcer le parc d'hébergement et en améliorer la qualité n'est pas suffisant face à une demande sans cesse croissante. Ainsi, le baromètre du 115, publié par la fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars) en juillet 2013, indiquait que 76 % des demandes enregistrées ce mois-là n'avaient pu aboutir. Les familles sont de plus en plus nombreuses à s'adresser au 115, tout en étant les premières victimes de l'inadaptation de l'offre d'hébergement. En l'absence de solutions plus pérennes, l'Etat consacre un budget considérable au paiement des nuits d'hôtel, hébergement qui empêche tout accompagnement social adapté et renforce les situations d'exclusion vécues par les personnes.
Face à cette situation, le Gouvernement a d'ores et déjà pris plusieurs mesures fortes. Il s'est engagé à construire 150 000 logements sociaux par an au cours des cinq années du quinquennat et à créer 15 000 places d'hébergement d'urgence supplémentaires dont 5 000 en 2013. Des projets territoriaux de sortie de l'hiver ont été élaborés par les préfets au début de l'année 2013 pour mettre un terme à la « gestion au thermomètre» des ouvertures de places, parfois suivis de diagnostics territoriaux à 360 degrés qui devraient être généralisés d'ici la fin de l'année.
Le présent projet de loi confirme ces avancées et s'articule autour de deux axes forts : anticiper les difficultés susceptibles de conduire à une mise à la rue et assurer la fluidité des parcours.
Deux mesures ne concernent pas directement l'hébergement : l'article 3 encadre l'évolution des loyers dans les zones tendues. Le logement constitue aujourd'hui le premier poste de charges des ménages français ; pour 8,4 % d'entre eux, cela représente plus de 40 % de leurs revenus. La forte augmentation des loyers au cours des dernières années renforce les risques d'impayés. Il fallait donc intervenir.
L'article 8 instaure quant à lui une garantie universelle des loyers (GUL), dont l'objectif est à la fois d'encourager les bailleurs à mettre leurs logements en location et de rétablir une égalité de traitement entre les locataires qui bénéficient de solides garanties et ceux qui n'ont pas la chance d'en disposer. En attendant son entrée en vigueur au 1er janvier 2016, la phase de préfiguration sera l'occasion d'affiner le dispositif et d'informer les bailleurs et les locataires sur son fonctionnement.
Quant aux articles sur lesquels notre commission doit se prononcer, l'article 10 rend systématique, à compter du 1er janvier 2015, la saisine par les bailleurs des commissions départementales de prévention des expulsions locatives (Ccapex) avant celle du juge. L'Assemblée nationale a apporté plusieurs améliorations substantielles à cet article, notamment le principe du maintien des aides personnelles au logement pour les locataires de bonne foi en situation d'impayés, qui permettra de limiter le risque de spirale de l'endettement, préjudiciable au propriétaire comme au locataire.
L'article 11 précise les conditions d'adoption et de suivi des chartes départementales pour la prévention des expulsions créées par la loi du 29 juillet 1998 et renforce le rôle des Ccapex, qui restent consultatives, mais mieux articulées avec le préfet, le bailleur, les organismes payeurs des aides au logement ou le fonds de solidarité pour le logement.
L'article 12 consacre le rôle et les missions des services intégrés d'accueil et d'orientation (Siao) qui n'avaient jusqu'à présent qu'un fondement réglementaire. Placées sous la responsabilité du préfet, ces structures sont chargées, dans chaque département, de réguler l'offre d'hébergement, de coordonner les acteurs, d'assurer la continuité des prises en charge et d'analyser l'évolution des besoins. L'article 12 précise l'ensemble de ces missions : les Siao pourront conclure des conventions, que ce soit avec les organismes gérant les structures d'hébergements, les bailleurs sociaux, les collectivités territoriales ou les agences régionales de santé (ARS). Je vous proposerai de compléter cette liste en intégrant les services pénitentiaires d'insertion et de probation, qui jouent un rôle essentiel pour la réinsertion sociale des anciens détenus. Avec l'article 12, les Siao deviennent les véritables pilotes du dispositif d'accueil, d'hébergement et d'insertion vers le logement. La direction générale de la cohésion sociale nous a indiqué que des moyens supplémentaires substantiels leur seraient alloués dans le projet de loi de finances pour 2014, notamment pour assurer le déploiement d'un système d'information partagé, indispensable à l'analyse de l'évolution des besoins et de l'offre d'hébergement.
L'article 13 étend la compétence du comité régional de l'habitat au domaine de l'hébergement.
L'article 14 crée le plan départemental d'action pour le logement et l'hébergement des personnes défavorisées (PDALHPD), qui résulte de la fusion du plan départemental d'accueil, d'hébergement et d'insertion (Pdahi) et du plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) dans lesquels ils doivent être inclus depuis 2009. Ce document unique, élaboré sous la responsabilité partagée du préfet et du président du conseil général, garantira une meilleure articulation entre les politiques d'hébergement et du logement.
L'article 16 ter, introduit à l'Assemblée nationale, donne aux départements la possibilité de déléguer le paiement des dépenses et le recouvrement des recettes relatives à l'hébergement des publics pris en charge par l'aide sociale à l'enfance. Le cabinet de la ministre m'a assurée que cela permettra de faciliter le travail quotidien des structures chargées d'intervenir auprès de ces publics sans remettre en cause la qualité du soutien apporté.
L'article 17 renforce la participation des personnes à la définition, au suivi et à l'évaluation du dispositif d'accueil, d'hébergement et d'insertion. Des conseils de la vie sociale ou d'autres formes de participation seront ainsi créés dans des structures qui ne rentrent pas dans le champ de la loi du 2 janvier 2002 qui a posé les bases de la participation des usagers pris en charge dans les établissements et services médico-sociaux. C'est une avancée forte.
L'article 18 encadre mieux le dispositif de bail glissant qui permet à un organisme d'intermédiation locative de devenir locataire d'un logement pour le sous-louer temporairement à un ménage dont il assure en parallèle l'accompagnement social. Il étend cette possibilité aux ménages reconnus prioritaires au titre du droit au logement opposable (Dalo). Je m'interroge sur l'opportunité d'une telle mesure qui me semble contraire à l'esprit de la loi du 5 mars 2007 : une personne reconnue prioritaire est, par principe, en mesure d'accéder immédiatement à un logement et de s'y maintenir. Pourquoi créer à travers la sous-location une nouvelle forme de mise à l'épreuve stigmatisante ? Je vous proposerai donc un amendement qui le limite aux personnes reconnues prioritaires au titre du droit à l'hébergement opposable (Daho).
L'article 19 renforce en cette matière les pouvoirs du préfet qui orientera les demandeurs reconnus prioritaires vers le Siao. Si aucune solution n'est proposée dans les temps ou si un organisme refuse de prendre en charge la personne, le préfet pourra procéder d'office à l'attribution d'une place ou d'un logement adapté. Je vous présenterai un amendement prévoyant que l'hébergement proposé présente un caractère de stabilité. Il s'agit ni plus ni moins d'inscrire dans la loi la jurisprudence du Conseil d'Etat en matière d'hébergement.
L'article 20 permet aux commissions de médiation de requalifier un recours Daho en recours Dalo. Jusqu'à présent, seule l'option inverse leur était offerte.
Enfin, l'article 21 porte sur la domiciliation des personnes sans domicile stable. Celle-ci n'est pas un droit en soi, mais la condition de l'exercice de certains droits limitativement définis par le code de l'action sociale et des familles tels que l'affiliation à la sécurité sociale ou l'inscription sur les listes électorales. Les personnes sans domicile doivent se faire enregistrer auprès d'un centre communal d'action sociale (Ccas) ou d'un organisme agréé par le département. Depuis la loi Dalo, une procédure unique s'applique à tous, mais les étrangers non communautaires en situation irrégulière n'y ont en principe pas droit, sauf s'ils souhaitent bénéficier de l'aide médicale d'Etat, s'ils demandent l'asile ou, sous certaines conditions, s'ils peuvent prétendre à l'aide juridictionnelle. L'article 21 aligne ces trois procédures dérogatoires sur celle de droit commun. Je veux pourtant aller plus loin : la domiciliation devient possible pour l'exercice des droits civils, sauf pour les étrangers non communautaires en situation irrégulière. Pourtant, rien ne leur interdit, s'ils ont une adresse, de se marier en France ou d'y ouvrir un compte en banque. Il faut remédier à cette inégalité.
Ce texte n'est pas la grande loi de programmation en matière d'hébergement et de logement accompagné que certains pourraient souhaiter. Il se borne, et c'est déjà beaucoup, à poser les bases d'une meilleure articulation entre les politiques de l'hébergement et du logement et d'une coordination renforcée entre les nombreux acteurs qui interviennent dans ce domaine. L'ensemble des personnes que j'ai pu auditionner ont salué ces avancées.
Il conviendra bien évidemment d'être attentif aux moyens qui seront mis en oeuvre. Mais il s'agit là d'un autre débat, celui du projet de loi de finances que nous examinerons dans les prochaines semaines. Comme vous le savez, le Gouvernement a débloqué il y a maintenant quinze jours 107 millions d'euros afin d'abonder les crédits consacrés cette année à l'hébergement d'urgence, ce qui montre bien les tensions sur ce secteur sous-financé.
Deux éléments me semblent essentiels. D'une part, l'accompagnement social. Sans lui, comment prévenir les ruptures de parcours qui conduisent aux expulsions? Comment envisager une sortie durable de l'hébergement vers le logement ? Il est à ce titre essentiel que les professionnels se sentent encouragés dans leurs actions, qu'ils aient les moyens de mieux se coordonner pour proposer, sur la base d'évaluations sociales partagées, des solutions d'accompagnement individualisées pleinement adaptées aux besoins des personnes.
D'autre part, le développement de solutions innovantes de logement adapté. Afin d'éviter la rue ou le bidonville à ceux pour qui l'accès à un logement autonome est un horizon lointain, il est essentiel de développer les dispositifs existants, comme les logements foyers ou les maisons relais, et de réfléchir sans cesse à de nouveaux modes de prise en charge. Un appel à projets a été lancé en avril dernier pour expérimenter des solutions innovantes auprès de quatre publics : les femmes victimes de violences, les personnes souffrant de troubles psychiques, les jeunes en errance et les personnes sortant de prison. Cette initiative prometteuse doit en amener d'autres qui ne requerront pas nécessairement un accompagnement financier démesuré de la part de la puissance publique si elles s'appuient sur le secteur de l'économie sociale et solidaire. Afin d'alimenter la réflexion sur ce sujet, je vous proposerai de demander au Gouvernement un rapport qui nous permettra de disposer à la fois d'une évaluation des expériences déjà menées et de pistes pour en développer de nouvelles à l'avenir. Ce texte n'en demeure pas moins une étape importante pour faire du logement la porte d'entrée vers une intégration sociale réussie et non pas un facteur d'exclusion et de creusement des inégalités.