Intervention de Yves Krattinger

Mission commune d'information Avenir de l'organisation décentralisée de la République — Réunion du 8 octobre 2013 : 1ère réunion
Adoption du rapport

Photo de Yves KrattingerYves Krattinger, rapporteur :

En préambule, le rapport confirme l'émergence de fortes inégalités territoriales, décrit les destins divers des collectivités face aux contraintes économiques et démographiques, et recherche les moyens les plus efficaces pour établir, non une stricte égalité, mais une équité en fonction de ces contraintes. L'arrivée massive des nouvelles capacités numériques, avec le développement de la très haute définition, permet d'envisager une nouvelle organisation des services publics grâce à une « porte d'entrée » virtuelle. Il s'agit là d'un élément clé pour répondre à l'exigence d'équité. Le rapport souligne combien la principale réforme de la fiscalité locale intervenue ces dernières années, la suppression de la taxe professionnelle au profit de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, a accru les difficultés des territoires fortement industrialisés, déjà touchés par la crise économique.

Pour que l'action publique soit efficace, elle doit être réalisée par des personnes aisément identifiables par nos concitoyens. Le dispositif territorial doit donc privilégier un circuit de décision garantissant responsabilité, efficacité et réactivité. Dans cette perspective, il convient prioritairement de définir les missions qui incombent à chaque niveau de collectivités, et qui conditionnent les compétences qu'elles exercent respectivement. Pour chacun des trois niveaux, la clarification doit s'effectuer conformément au principe de subsidiarité, pour aboutir à satisfaire au plus près les besoins des citoyens.

La République doit concilier unité et diversité : à l'État de garantir l'unité, mais aussi de reconnaître l'existence de spécificités locales, sans qu'elles conduisent à des statuts « ad hominem » pour chaque territoire. Ces spécificités requièrent la possibilité, encadrée, d'adapter la loi aux réalités des territoires. Je pense ainsi que les dispositions de la loi de 2005 sur l'accessibilité des transports publics aux handicapés n'auraient pas rencontré les difficultés d'application que nous connaissons s'il avait été possible d'en moduler la mise en oeuvre, qui ne peut être identique en zone dense et en zone rurale.

Ces réflexions conduisent à préconiser dix axes pour une réforme : tout d'abord, pour assurer une présence optimisée et renouvelée de l'État dans les territoires, faire évoluer ses rapports avec les citoyens, notamment grâce au numérique. La création de nouveaux guichets numériques de l'État suppose la définition préalable d'un schéma d'accessibilité des territoires.

Le deuxième grand axe de notre rapport concerne les régions, que nous souhaitons plus fortes et plus étendues qu'aujourd'hui. Si certaines régions disposent d'une légitimité historique certaine, on constate trop souvent un manque de cohérence globale.

Le niveau régional actuel présente deux défauts majeurs. D'abord, la dimension des régions n'est pas adaptée aux grands choix stratégiques. Comment concevoir par exemple de grands projets d'infrastructures portuaires quand près de la moitié des régions métropolitaines ont accès au littoral ? Les régions souffrent également d'une trop faible visibilité. Moins nombreuses, elles pourraient s'affirmer comme de véritables interlocuteurs pour l'État ou les instances de l'Union européenne.

Aujourd'hui, les régions ont tendance à assurer des compétences de proximité qui devraient relever d'autres niveaux de collectivités, comme les communes ou les intercommunalités. Il faut qu'elles s'en dégagent pour mieux asseoir leurs missions stratégiques de long terme. Cela suppose de donner plus de cohérence et de force à leur rôle en matière économique, de formation professionnelle, de recherche...

Nous n'avons pas souhaité dessiner de nouvelle carte des régions, même si nous avons des idées ! On pourrait sans doute discuter des frontières, mais ce qui compte, c'est d'atteindre un objectif de huit à dix régions.

Le troisième axe du rapport vise à donner un nouvel avenir aux départements. Nous pensons vraiment qu'il faut réaffirmer la pertinence de ce niveau de collectivité, gage de solidarité sociale et territoriale. Dans des domaines comme la protection de l'enfance ou la politique en matière de handicap, les départements constituent le bon niveau d'intervention. Dans les zones rurales, notamment, ils restent irremplaçables. Il est toujours possible d'inventer autre chose, mais on risquerait fort de perdre du temps sans trouver de meilleure solution...

Nous avons donc préféré raisonner à partir de l'existant. Il faut garantir au département un rôle de coordonnateur des intercommunalités rurales. Il doit pouvoir remplir une mission de fédérateur des initiatives quitte, dans certains cas, à s'associer à d'autres départements. Je n'ai rien contre des coopérations intelligentes, voire même des fusions délibérées, mais il importe de conserver la légitimité démocratique des assemblées départementales, dont les citoyens connaissent les élus. Le nouveau mode de scrutin binominal restera local !

Je défends aussi la création de conférences départementales des exécutifs, dont j'ai pu mesurer tout l'intérêt en Haute-Saône. Il est nécessaire de réunir plusieurs fois par an les présidents des intercommunalités et les élus départementaux pour qu'ils travaillent ensemble. Si c'est utile, le préfet peut être associé à ces conférences.

Si les départements doivent donc continuer à jouer tout leur rôle dans les zones rurales, à l'inverse, leur action dans les zones métropolitaines denses peut être débattue.

Notre quatrième axe est celui d'une intercommunalité de nature coopérative. La loi du 16 décembre 2010 a achevé l'intercommunalité, dont plus personne ne conteste vraiment les fondements. Elle permet aux communes de réaliser les projets qu'elles ne pourraient pas mener à bien seules. À moins qu'on ne décide de changer de logiciel et de supprimer les communes, les intercommunalités doivent toutefois rester des coopératives. Je connais un Hollandais qui me dit souvent que son pays compte 400 communes quand le seul département de la Haute-Saône en a 545 ! Mais, en France, nous sommes attachés à nos communes et à cet héritage, que nous voulons préserver. Si l'intercommunalité continue de reposer sur une logique de coopérative, elle devrait continuer à s'enrichir.

En revanche, toute contrainte risque d'être contreproductive et d'entraîner des reculs. Par exemple, rendre obligatoire le PLUi par une loi, alors que dans de nombreux cas, le transfert est en train de s'effectuer de lui-même sous l'impulsion de certaines collectivités, est contraire au principe qui a toujours guidé la mise en place de l'intercommunalité. La coercition ne fonctionne pas en ce domaine.

S'agissant de Paris, nous entérinons la proposition de Philippe Dallier et René Vandierendonck de différencier la zone urbaine dense du reste du territoire francilien. Nous reconnaissons également la difficulté, à terme, du maintien du département dans les zones denses. Nous sommes donc favorables à la création d'une nouvelle collectivité du Grand Paris, en remplacement des quatre départements actuels de Paris et de la petite couronne, à l'horizon 2020.

La question de la place des parlementaires dans la décentralisation est apparue en cours de mission, nous n'y avions pas songé à l'origine. Je suis, personnellement, opposé au non-cumul. Mais nous nous sommes demandé quel rôle joueront les parlementaires dans ce nouveau cadre. Ils risquent de multiplier les contrôles du Gouvernement, et celui-ci voudra alors trouver un moyen de les occuper autrement ! C'est pourquoi nous avons fait quelques suggestions, parfois sous forme de clins d'oeil, qui ont surtout pour objet de mettre en évidence le problème qui risque de se poser. Il faudra réunir les parlementaires dans les territoires, pour leur exposer les questions qui s'y posent, sinon ils seront aveugles...

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