Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 8 octobre 2013 à 14h30
Lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière – procureur de la république financier — Adoption en nouvelle lecture d'un projet de loi et rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi organique dans les textes de la commission modifiés

Christiane Taubira :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui pour l’examen en nouvelle lecture du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, un texte que nous connaissons désormais bien, sur le fond comme dans ses variations. Nous allons examiner les dispositions que la commission des lois a voulu introduire ou maintenir, ainsi que les amendements dont votre Haute Assemblée souhaite débattre.

Le projet de loi part d’une conviction profonde, d’ailleurs formulée par la voix la plus éminente de notre pays, celle du Président de la République, qui a dit sa détermination à lutter avec une énergie totale contre toutes les formes de corruption, de fraude et d’affairisme.

C’est dans cet esprit que le texte a été élaboré. Il a été enrichi grâce aux nombreuses auditions organisées par les commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale. C’est sur la base de ce qu’ont apporté les spécialistes du droit que sont les magistrats, les procureurs de la République et les juges d’instruction que le projet de loi a pu être amélioré par les deux chambres du Parlement en première lecture, puis par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.

Votre commission des lois a réécrit certaines dispositions du texte, et elle en a maintenu d’autres. L’une des mesures importantes, la création du parquet financier, semble avoir fait l’objet d’un vote conforme lors de la dernière réunion de votre commission ; nous y reviendrons.

En vue de traduire la conviction profonde que le Président de la République a exprimée très clairement, le projet de loi aborde le sujet de manière globale. Sous de précédentes mandatures, l’attitude du législateur face à la nécessité de lutter contre la corruption et l’affairisme avait principalement consisté soit à créer des incriminations nouvelles, soit à aggraver les sanctions pénales. La différence essentielle entre ces précédents textes et l’actuel projet de loi réside dans une approche globale. Il s’agit non plus de courir après les nouvelles formes d’incrimination ou de simplement sanctionner plus lourdement, mais bien d’aborder le phénomène de la corruption dans la globalité, depuis la détection de l’incrimination jusqu’à la sanction effective prononcée par le magistrat.

Le projet de loi vise ainsi l’effectivité de la sanction prononcée et l’efficacité, afin que de telles incriminations, une fois détectées, soient stigmatisantes socialement et sévèrement réprimées pénalement.

Les travaux menés par les deux chambres ont permis de stabiliser des dispositions, parmi lesquelles il faut mentionner l’aggravation des sanctions encourues par les personnes physiques et morales, notamment par un alourdissement considérable du montant des amendes.

Le texte prévoit également des mesures de renforcement de la lutte contre la fraude fiscale complexe, celle qui emploie des comptes bancaires et des entités à l’étranger, des méthodes particulières ou des manœuvres dilatoires et dissimulatrices.

Les deux assemblées ont également consolidé la protection des repentis.

Elles ont en outre élargi le champ de compétence de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, en y incluant la lutte contre le blanchiment de la fraude fiscale complexe. Cela permet à l’autorité judiciaire de saisir cette brigade nationale sans avoir à attendre la plainte déposée par l’administration fiscale.

Une telle disposition est extrêmement importante : elle donne plus d’efficacité à l’action de l’autorité judiciaire et s’additionne avec une meilleure coordination des actions respectives de l’autorité judiciaire et de l’administration fiscale.

Nous avons pris des dispositions visant à augmenter la publicité des travaux de la commission des infractions fiscales, au sein de laquelle nous introduisons d’ailleurs des magistrats de l’ordre judiciaire. Le ministre chargé du budget et moi-même nous sommes engagés à mieux coordonner l’action de nos services respectifs, afin de rendre la saisine de l’autorité judiciaire plus pertinente et l’action tant de l’administration fiscale que des parquets plus efficace, et à publier conjointement une circulaire d’application dès que le texte aura été promulgué.

Parmi les dispositions consolidées figure l’aggravation des sanctions pécuniaires et patrimoniales. Les sanctions applicables aux personnes morales sont alignées sur celles qui concernent les personnes physiques : la confiscation de l’entier patrimoine est permise et la résolution pécuniaire, donc en valeur, des assurances-vie est facilitée.

Ces mesures, qui sont essentielles, ne feront pas l’objet de débats aujourd’hui, car elles ont été consolidées dans le texte à l’Assemblée nationale et au Sénat.

En revanche, certaines dispositions extrêmement importantes n’ont pas fait l’objet d’un accord définitif. Je pense notamment à la création du parquet financier, ainsi qu’à la possibilité pour les associations de déclencher l’action publique, c’est-à-dire de se constituer partie civile.

Je le rappelle, le parquet financier est la clé de voûte de l’édifice. C’est lui qui donne toute logique et toute cohérence aux dispositions que nous avons introduites dans le texte. C’est lui qui sera le bras armé de la justice pour traduire en action publique et en sanctions la lutte contre les corruptions et contre la fraude fiscale.

Le procureur de la République financier aura compétence pour lutter contre toutes les atteintes à la probité : toutes les corruptions, toutes les fraudes, les détournements de fonds publics, les prises illégales d’intérêt, le favoritisme, le pantouflage, c’est-à-dire l’interdiction que la loi fait à des fonctionnaires d’intégrer des entreprises avec lesquelles ils ont été en contact lorsqu’ils étaient dans la fonction publique. Il aura également des compétences en matière de lutte contre la fraude fiscale de grande complexité ou à la TVA.

Ce sera un procureur indépendant. Je sais qu’un débat anime les parlementaires sur cette question. Depuis l’entrée en fonction du Gouvernement – c’était également le cas de M. Mercier, ici présent, lorsqu’il officiait place Vendôme –, nous respectons l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Nous avons présenté devant le Sénat et l’Assemblée nationale un projet de révision constitutionnelle visant à inscrire le principe du respect de cet avis conforme dans notre Loi fondamentale. Votre Haute Assemblée n’a pas souhaité l’adopter.

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