Intervention de Alain Anziani

Réunion du 8 octobre 2013 à 14h30
Lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière – procureur de la république financier — Adoption en nouvelle lecture d'un projet de loi et rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi organique dans les textes de la commission modifiés

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui saisis de textes particulièrement importants.

J’évoquerai un chiffre, certes contesté, pour rappeler les enjeux : le phénomène dont nous débattons représente 80 milliards d’euros. En réalité, nous ne savons pas quel est le montant exact de la fraude fiscale – certains disent 40 milliards d’euros, d’autres parlent de 80 milliards d’euros –, mais il s’agit en tout cas d’un vrai scandale pour la justice, d’un boulet pour notre fiscalité et d’un handicap certain pour l’économie, donc l’emploi de notre pays.

Je tiens donc d’abord à saluer ceux qui mènent le combat contre la fraude fiscale. Je pense en particulier aux deux ministres qui assistent aujourd’hui à nos débats. C’est un combat important, et en même temps difficile. L’ennemi est caché – il n’apparaît que rarement –, et il l’est sur les cinq continents, avec des techniques extrêmement sophistiquées. Nous l’avions souligné en première lecture.

Et ne pensons pas que l’évaporation fiscale n’a pas de prix ! L’évaporation fiscale des uns, ce sont des charges supplémentaires pour les autres ou de moindres recettes pour nos services publics ou le financement de l’investissement productif. Nous sommes donc conscients qu’il faut donner à ceux qui mènent ce combat tous les moyens pour une action efficace.

Je vous prie d’excuser l’absence du président de la commission des lois, M. Jean-Pierre Sueur, retenu par des obsèques cet après-midi.

Vous le savez, la commission mixte paritaire s’est réunie le 23 juillet dernier.

Certes, il y a eu des désaccords entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Il y en a même eu un fort sur la création du procureur financier de la République. Je pourrais également mentionner d’autres dispositions adoptées par l’Assemblée nationale et rejetées au Sénat.

Toutefois, même si le procureur financier de la République est évidemment au cœur du dispositif, il ne faudrait pas occulter les accords qui sont apparus sur une trentaine d’articles.

Prenons par exemple les mesures d’alourdissement des peines, qui constituent l’un des éléments importants du texte. Les peines pour fraude fiscale pourront s’élever jusqu’à 2 millions d’euros, contre quelques dizaines de milliers d’euros seulement aujourd’hui. Nous nous donnons ainsi les moyens de frapper véritablement en plein cœur la fraude fiscale.

D’autres dispositifs ont été adoptés ; je pense notamment à la réduction de peine qui est applicable aux repentis en matière de blanchiment. Certes, comme souvent avec ce type de problématiques, la solution envisagée peut donner lieu à discussion. Mais si l’on veut que les repentis collaborent et donnent des éléments pour mieux poursuivre la fraude fiscale, il faut évidemment leur accorder au moins un motif pour cela, en l’occurrence une réduction de peine, au demeurant très encadrée.

J’évoquerai également ce qui a été voté sur les saisies. Je pense notamment à la possibilité – Mme la garde des sceaux vient d’y faire référence – de saisir la totalité du patrimoine.

En première lecture, l’un de nos collègues avait rappelé à juste titre que notre pays avait raison de lutter contre la fraude fiscale, mais que le combat devait avant tout être européen et même mondial. Cette dimension figure dans le texte ; je pense notamment à la possibilité d’inscrire sur la liste des États non coopératifs en matière fiscale ceux qui auraient refusé de s’engager dans un transfert automatique des données bancaires.

Tels sont donc les points d’accord.

L’Assemblée nationale a également repris certaines des modifications que nous avons décidées. Je pense ainsi à la composition de la commission des infractions fiscales, qui vient d’être évoquée. De même, nos collègues députés se sont finalement ralliés à la position très prudente qui était la nôtre sur la prescription des infractions occultes ou dissimulées, en supprimant l’article 9, qui prévoyait l’inscription dans la loi la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation. De notre point de vue, la jurisprudence suffit, et il n’est pas utile de la graver dans le marbre législatif, un marbre d’ailleurs tout relatif…

Sur les trente-six articles qui restent en discussion, sept divergences notables apparaissent.

La première divergence, majeure, porte sur la création du procureur de la République financier. Nous connaissons les positions des uns et des autres sur le sujet. D’ailleurs, elles ont évolué. La semaine dernière, notre commission des lois avait émis un avis favorable sur cette création, conformément au projet du Gouvernement et au texte voté par l’Assemblée nationale ; ce matin, les votes ont été différents, le dispositif ayant été rejeté à une voix près.

Dans le texte que nous vous présentons ainsi au nom de la commission, le procureur financier est supprimé et remplacé par des mécanismes comme l’extension de la compétence reconnue au tribunal de grande instance de Paris à l’ensemble du territoire, ce que notre collègue Michel Mercier souhaitait déjà la semaine dernière. Voilà la position de la commission, que je me devais de vous exposer en tant que rapporteur.

Cela étant, à titre personnel, j’estime que, en refusant le procureur financier, nous passerions à côté d’une belle occasion. La lutte fiscale a besoin d’un bras armé, identifié comme tel. Nous aurons demain un procureur financier européen ; comment imaginer qu’il n’y en ait aucun en France ?

Un tel bras armé doit disposer des moyens identifiés – Mme la garde des sceaux vient de rappeler les créations des postes – et voir son indépendance garantie. Nous avons déjà eu cette discussion en première lecture, et je ne reprendrai pas les arguments que Mme la garde des sceaux a développés. Les positions des uns et des autres sont connues ; inutile de s’y attarder.

Une deuxième divergence concerne la mise en mouvement de l’action publique par des associations agréées, dans des conditions précises. L’association doit avoir cinq ans d’ancienneté au minimum et son objet doit être lié à la lutte contre la corruption sous toutes ses formes, en particulier la fraude fiscale.

Le débat me semble un peu tronqué. J’ai entendu M. Hyest parler de « privatisation de la justice » à propos d’un tel dispositif

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