Intervention de François Pillet

Réunion du 8 octobre 2013 à 14h30
Lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière – procureur de la république financier — Adoption en nouvelle lecture d'un projet de loi et rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi organique dans les textes de la commission modifiés

Photo de François PilletFrançois Pillet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lutte contre l’évasion fiscale répond à double titre à une exigence d’équité.

Équité d’abord par rapport à la politique que nous avons toujours voulu mener, au-delà des clivages politiques : nous montrer intraitables avec la délinquance financière comme avec la délinquance plus commune, qui porte atteinte aux personnes et aux biens. Quand il s’agit de faire respecter la loi, il n’y a pas de privilège.

Équité ensuite par rapport à la participation de chacun à la solidarité nationale et à l’impôt : il s’agit de faire en sorte que chacun s’engage en fonction de ses moyens et contribue à l’effort national, qui, en temps de crise, s’impose à tous. On ne saurait donc tolérer l’attitude coupable de ceux qui cherchent à se soustraire à leur devoir.

Soyons clairs, nous traitons ici d’un moyen important d’éponger notre endettement. En effet, la fraude fiscale représente un manque à gagner, certes impossible à chiffrer, mais incontestablement considérable.

Ces deux considérations fondent à mon sens l’action que nous devons mener. Le gouvernement d’hier a eu à cœur de réguler les flux financiers et les activités bancaires, de développer les conventions d’assistance et de renseignement fiscal, et d’engager une coopération internationale à ce sujet. Il faut d’ailleurs l’admettre, les résultats que nous avons obtenus, bien qu’ils fassent moins de bruit que certaines affaires, ont été plutôt satisfaisants.

Pour autant, nous en avons conscience, la lutte contre la fraude fiscale demande une adaptation permanente.

De tels projets de loi méritent quelques remarques de fond, dont certaines montrent que nous avons une réelle divergence.

Les douanes ont récemment tiré la sonnette d’alarme : les saisies aux frontières d’argent liquide non déclaré fuyant le territoire ont bondi de 500 % en un an. Faisons donc attention à ne pas alimenter un feu que l’on tente d’éteindre. Si rien ne justifie que l’on veuille échapper aux lois de la République, il faut établir un diagnostic complet du problème, pour appliquer les solutions les mieux adaptées.

À ce propos, et je ne l’ai jamais caché au cours des précédentes discussions, il eût été préférable d’attendre les résultats des travaux de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux, qui va rendre son rapport dans moins d’un mois. Les derniers travaux de la première commission sur ce sujet avaient permis, à l’époque, d’obtenir un consensus ; la majorité des propositions qu’elle avait formulées avaient été reprises. J’ai déjà rappelé ma position, et je regrette le choix du Gouvernement, qui a souhaité agir au plus vite. Peut-être ce rapport connaîtra-t-il néanmoins des suites concrètes. En tout cas, je le souhaite !

J’en viens au projet de loi et au projet de loi organique que nous examinons en nouvelle lecture, faute d’un accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat. J’avais initialement fait part d’un certain nombre d’appréhensions sur le projet de loi.

Cela concernait d’abord le délai de prescription attaché à la prise de connaissance de la fraude, délai qui conduisait naturellement à une imprescriptibilité de l’acte délictuel. Il ne me paraissait alors pas compréhensible que nous soyons plus sévères envers la délinquance financière qu’envers les atteintes aux biens ou aux personnes. Nous nous sommes, semble-t-il, accordés sur ce point.

J’étais également interrogatif quant au fait de réserver à l’administration fiscale l’opportunité d’engager les poursuites en saisissant le procureur. J’avais alors salué les efforts et l’intelligence de M. le rapporteur, qui avait ouvert la voie à la transparence. Malheureusement, aucune suite positive n’y a été apportée.

J’ai bien compris le développement de mon collègue Philippe Marini, qui disait veiller à ce qu’une réforme de ce dispositif ne gêne pas les procédures de redressement fiscal en encourageant le développement de mesures dilatoires par les intéressés. Sa proposition de réserver une procédure dérogatoire pour les délits les plus importants, tel que, par exemple, le blanchiment de capitaux, pourrait peut-être constituer un premier pas, voire une expérimentation à développer.

À titre personnel, et sans beaucoup d’originalité tant les critiques furent nombreuses lors de la création de ce curieux organisme, je pense qu’un tel paravent au droit de l’administration de décider de l’opportunité des poursuites crée un obstacle injustifiable à une politique transparente de lutte contre la fraude fiscale et, de ce fait, à une politique compréhensible par les citoyens. Dont acte.

Par ailleurs, j’avais souhaité attirer l’attention du Gouvernement et de mes collègues sur la fraude à la TVA, qui représente des pertes fiscales extrêmement importantes. Je persiste à penser que nous devons mener une réflexion et une action particulièrement vives sur ce plan.

Ma dernière réticence porte toujours sur les lanceurs d’alerte, mesure prise dans l’urgence et le fracas de l’affaire dite « Cahuzac ». Le dispositif présente des risques majeurs en matière d’atteinte au respect de la vie privée. Sur ce point, nous réservons notre opinion, et attendons le résultat des discussions que nous aurons cet après-midi.

Vous l’aurez compris, ces remarques visent à présenter quelques propositions d’ajustement au volet relatif à la lutte contre la fraude fiscale.

Nous ne sommes malheureusement pas du tout sur votre ligne s’agissant de la création d’un procureur de la République financier. Je suis d’accord avec les praticiens, procureurs ou magistrats spécialistes de ces affaires, qui se montrent, pour le moins, très réservés sur une telle proposition.

Encore une fois, quelle sera la plus-value d’un procureur qui, luttant contre la fraude fiscale, devra attendre que le facteur lui remette l’autorisation de poursuivre accordée par la commission des infractions fiscales, celle-ci ayant elle-même attendu que le facteur lui délivre sa saisine par l’administration ?

Plus précisément, je crains qu’un tel dispositif n’entraîne à terme confusion et inefficacité. On ne peut que redouter un conflit de compétences permanent entre les juges du fond, le TGI de Paris, et le procureur de la République de Paris. Convenons-en, nous assisterons à un spectaculaire gâchis d’une énergie monopolisée par le règlement des conflits de compétences, mais aussi à une concurrence des services, qui empêchera toute coopération productive.

Le Gouvernement a souhaité afficher la création d’une telle comme le moyen de régler les problèmes liés à cette matière. Mais les réalités sont là. Il faut en tenir compte pour éviter qu’une impulsion politique ne demeure une vaine utopie.

Il ne s’agit pas là de simples considérations pratiques. Le dispositif bouleverse complètement notre organisation judiciaire. Il ne faudra donc pas sous-estimer à cet égard le risque d’une censure du Conseil constitutionnel. Comment ce dernier devra-t-il interpréter la création d’un procureur de la République financier qui ne sera rattaché à aucune juridiction ? Certains de mes collègues parlaient de procureur « hors sol ». §Ils ont raison, cette notion est complètement étrangère à notre organisation judiciaire.

Mais ce n’est pas tout. Peut-on imaginer qu’il soit réellement possible d’institutionnaliser une autorité hiérarchique du procureur de Paris sur les autres procureurs généraux ?

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