Intervention de Nicolas Alfonsi

Réunion du 8 octobre 2013 à 14h30
Lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière – procureur de la république financier — Adoption en nouvelle lecture d'un projet de loi et rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi organique dans les textes de la commission modifiés

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je ne reviendrai pas sur les raisons obscures et sans intérêt qui ont poussé le Gouvernement à engager la procédure accélérée pour l’examen de ces deux textes. Ce n’est pas parce que les objectifs sous-tendant ces projets de loi font l’unanimité que ces derniers ne méritent pas de bénéficier des apports de la navette, surtout quand il existe des points de désaccord non négligeables entre les deux assemblées.

Je tiens à souligner la position constructive de notre groupe sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Si nous avons exprimé des divergences, nous avons aussi soutenu un certain nombre de dispositions importantes, dont beaucoup ont d’ailleurs fait l’objet d’un consensus entre les deux chambres, puisqu’elles ont été votées en termes identiques.

Je pense ainsi au durcissement des amendes, aux mesures renforçant la lutte contre la fraude fiscale complexe, notamment lorsqu’elle est commise en bande organisée, ou encore à l’élargissement des compétences de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale.

Cependant, malgré ces points positifs, auxquels nous apportons notre soutien, nous considérons depuis le départ que certaines dispositions risquent de se révéler inefficaces, contreproductives, pour ne pas dire dangereuses, voire liberticides.

Je reviendrai ultérieurement sur le procureur financier, qui a déjà été longuement évoqué par mes prédécesseurs à cette tribune. Je rappelle d’abord les autres réserves que nous avons déjà formulées. Elles concernent la possibilité pour les associations de lutte anti-corruption de se constituer partie civile, les lanceurs d’alerte, l’allongement des délais de prescription en matière de fraude, l’utilisation des preuves illicites et, enfin, le renversement de la charge de la preuve en matière de blanchiment, qui a été voté par l’Assemblée nationale.

Je regrette vivement que les députés aient refusé de prendre en compte un certain nombre de modifications présentées par le Sénat dans sa grande sagesse, notamment les améliorations et les sécurisations proposées par notre rapporteur Alain Anziani.

L’Assemblée nationale a ainsi rétabli l’article 2 bis, sur le renversement de la charge de la preuve.

Il en va de même de l’utilisation des preuves d’origine illicite, que ce soit par l’autorité judiciaire ou par les douanes. Notre groupe reste très réservé quant à cette possibilité, qui mérite, dans tous les cas, d’être très encadrée. M. le rapporteur a donc bien fait de rétablir en commission le filtre de l’autorité judiciaire pour l’utilisation de ce type de preuves.

Nous l’avons souligné, des objectifs, aussi louables soient-ils – et, quand il s’agit de lutter contre la fraude fiscale et la délinquance, ils le sont –, ne légitiment pas tout. Nous devons être très vigilants quand nous prenons des mesures susceptibles de bouleverser les fondements de notre droit et de notre système judiciaire.

De même, il est heureux que notre commission ait de nouveau supprimé l’article 11 sexies, qui avait été rétabli à l’Assemblée nationale suite à l’adoption d’un amendement écologiste. Il est utile de rappeler la position qui a été celle de Mme le rapporteur pour avis Sandrine Mazetier.

Au-delà de toute considération partisane, ces différentes dispositions ont été adoptées par notre commission des lois dans un relatif consensus. J’espère que nos collègues députés auront la sagesse de suivre nos préconisations.

Pour terminer, je confirmerai notre position défavorable à la création d’un procureur financier compétent sur l’ensemble du territoire national pour les affaires économiques et financières de « grande complexité », comme l’a rappelé à l’instant Michel Mercier.

Nous restons très sceptiques quant aux apports d’une telle disposition. Le principal argument du Gouvernement pour justifier cette création est la lisibilité qui en résulterait. Nous partageons cet objectif, mais nous pensons que le législateur doit privilégier l’efficacité de l’action judiciaire sur la lisibilité.

La nouvelle architecture sera-t-elle plus efficace ? Nous en doutons fortement. Je l’ai déjà dit, le temps médiatique n’est pas le temps judiciaire. Il nous semble qu’une telle institution irait à l’encontre de la nécessaire transversalité en matière de fraude fiscale et de blanchiment et qu’il existe des risques de conflits d’intérêt persistant malgré les améliorations du dispositif.

Sans vouloir être cruel, je souligne que, parmi les soixante engagements du candidat François Hollande, il y avait des propositions de moindre importance et que la création du procureur financier n’y figurait pas.

La création de toute loi a des causes et des prétextes. Distinguons les deux. On ne modifie pas l’architecture judiciaire et le fonctionnement des parquets à partir d’un fait divers. Car c’est bien de cela qu’il s’agit !

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