Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons cet après-midi a connu quelques infortunes depuis l’annonce initiale par le Gouvernement d’une refonte globale de notre arsenal de lutte contre la délinquance fiscale et financière.
Mais j’en resterai au seul volet fiscal pour constater, tout d’abord, que le projet de loi est devenu une sorte de quasi-collectif budgétaire, de projet portant diverses dispositions d’ordre fiscal, avec d’ailleurs une série de mesures techniques utiles qui pourraient faire l’objet d’un large consensus.
Permettez-moi, mes chers collègues, d’attirer quelques instants votre attention sur trois points.
Premier sujet, la recevabilité des preuves illicites. Il s’agit d’un apport majeur du texte : l’administration fiscale pourra désormais se fonder, pour réaliser ses contrôles et ses redressements, sur des preuves d’origine douteuse ou illicite. Pour le dire plus clairement, elle pourra s’appuyer sur des listes similaires à la « liste HSBC », une liste de comptes non déclarés qui avait été portée voilà quelques années à la connaissance de l’administration compétente.
Néanmoins, se pose la question de la définition des conditions précises de la recevabilité de telles preuves.
Nous sommes nombreux à la commission des finances à considérer que nos collègues de la commission des lois ont adopté, en vertu d’analyses plus que légitimes, une position trop restrictive et qu’il ne faudrait pas limiter une telle recevabilité aux seuls cas où les preuves seraient communiquées par l’autorité judiciaire ou dans le cadre de l’assistance administrative internationale.
Pourquoi faudrait-il que l’unique moyen de transmettre au fisc une liste de fraudeurs soit de passer par à peu près n’importe qui, à l’exception du fisc ? Je comprends les raisons qui ont poussé notre rapporteur pour avis François Marc à déposer un amendement visant à permettre l’utilisation de ces preuves, sans considération des modalités de leur transmission. À titre personnel, j’y suis entièrement favorable.
Cependant, dans le cas où une telle solution ne serait pas retenue, et afin de rapprocher les points de vue de la commission des finances et de la commission des lois, je vous propose, comme en première lecture, un amendement de compromis ou de repli, qui vise à rétablir le texte voté par l’Assemblée nationale. Il s’agit de maintenir la condition de transmission régulière chère à la commission des lois, mais en l’élargissant à l’ensemble des droits de communication de l’administration fiscale, soit une quarantaine de procédures au total. Avec un tel dispositif, les détenteurs de listes volées n’auront que l’embarras du choix pour exercer leur devoir civique, auquel nous devons les appeler.
Deuxième sujet, la rénovation de la notion d’abus de droit, qui, vous le savez, souffre d’une lacune majeure : seuls sont visés les montages à but « exclusivement » fiscal.
Pour pallier cette faiblesse, j’ai déposé au mois de juin une proposition de loi dont l’objet est d’élargir l’abus de droit aux montages à but « essentiellement », et non plus « exclusivement », fiscal. Le groupe CRC et moi-même avions déposé des amendements en ce sens, devenus l’article 11 bis DA du présent projet de loi.
L’Assemblée nationale a préféré supprimer cet article, au profit de l’engagement pris alors par le Gouvernement de créer un groupe de travail où nous pourrions, tous ensemble, travailler à l’amélioration du dispositif. Je me réjouis de l’attention portée à ce sujet, tout en souhaitant que puissent participer à ce groupe les sénateurs à l’origine d’une telle initiative.
Mes chers collègues, j’estime que la réflexion sur le sujet doit continuer de progresser. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement visant non plus à élargir l’abus de droit en lui-même, mais à le compléter par un second dispositif, plus facile à mettre en œuvre, ciblé sur les entreprises multinationales, qui sont à l’origine des montages susceptibles de se révéler les plus dommageables. Les petites et moyennes entreprises et la gestion de patrimoine privé bénéficieraient ainsi d’une plus grande sécurité juridique.
Troisième sujet, que j’avais également abordé dans ma proposition de loi, les prix de transfert.
J’avais transformé en première lecture les éléments correspondants de ma proposition de loi en un amendement au présent texte. Malheureusement, il n’avait pas été adopté. Il visait à inverser la charge de la preuve dans le cas d’un transfert de fonctions ou de risques à l’étranger, ce que l’on appelle pudiquement une « restructuration d’entreprise ». Il incombait alors au contribuable de prouver que le transfert n’est pas anormal.
Ma proposition n’a pas prospéré dans ce texte, mais j’ai relevé qu’elle était devenue, sous une forme plus précise, l’article 15 du projet de loi de finances pour 2014. C’est donc dans ce cadre que nous aurons le nécessaire débat sur les prix de transfert. Rassurez-vous, je ne demanderai pas de droit d’auteur au Gouvernement…
Chacun le comprend bien, nous n’aurons pas raison de l’évasion fiscale en une seule fois et par ce seul texte. Ce projet de loi n’est qu’une pierre de l’édifice qu’a contribué à bâtir la majorité précédente et que la majorité actuelle continue de compléter.
Mes chers collègues, je déterminerai mon vote en fonction de ce que deviendra ce texte avec les adjonctions et suppressions qui découleront de notre débat de cet après-midi. Comme tous les membres de mon groupe, je suis extrêmement hostile à la création d’un procureur financier. Si je peux envisager d’accepter certaines mesures, il s’agit exclusivement de celles qui peuvent techniquement faire progresser la lutte contre la fraude fiscale. §