Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le traité sur le commerce des armes, ou TCA, dont je vous invite à autoriser la ratification, est le premier grand traité universel du XXIe siècle dans le domaine de la sécurité internationale et de la maîtrise des armements. Je m’étais engagé devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées à faire en sorte que la France soit l’un des premiers pays à ratifier ce traité et à œuvrer pour que votre assemblée, que je sais très attentive à ce sujet, soit la première à décider.
Je souhaitais que notre pays témoigne ainsi de son soutien à ce traité. Je vous remercie tous, et en particulier M. le président Carrère, d’avoir permis, en acceptant que ce texte soit examiné lors de la semaine d’initiative parlementaire, que cet engagement soit respecté.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la maîtrise des armements, quels qu’ils soient, constitue la première condition de la sécurité du monde. C’est pour la France plus qu’une conviction : c’est un engagement de nature historique. Sans doute parce que notre pays a été le théâtre de nombreuses guerres, nous avons été et nous sommes l’une des principales puissances favorables au désarmement, tant il est évident que l’existence d’armes porte le risque de leur utilisation. C’est pourquoi je veux saisir l’occasion de ce débat, quitte à vous retarder quelques minutes, pour passer en revue nos positions passées et actuelles sur le désarmement.
Cet engagement a porté prioritairement sur les armes les plus dangereuses, celles que l’on appelle généralement « non conventionnelles ». Il faut se souvenir, car cela ne manque pas de rappeler l’actualité, que la première tentative d’éliminer l’emploi des armes chimiques remonte au XVIIe siècle, avec la signature, le 27 août 1675, entre la France et le Saint Empire romain germanique, de l’accord dit de Strasbourg qui visait à interdire l’utilisation de balles empoisonnées lors des conflits. La France, depuis cette date, a continué de montrer la voie avec son engagement pour le désormais fameux protocole de Genève de 1925 – que nous avions quelque peu oublié, mais que M. Bachar Al-Assad a tristement rappelé à nos mémoires – et pour la convention sur l’interdiction des armes chimiques de 1993.
En matière de désarmement nucléaire, cet engagement, pour être évidemment plus récent, n’en est pas moins constant. Après avoir réduit de moitié notre arsenal depuis vingt ans, supprimé la composante terrestre, réduit d’un tiers la composante océanique, nous avons atteint l’an passé le seuil de réduction d’un tiers de la composante aérienne. Nous avons démantelé de manière complète et irréversible nos sites d’essais nucléaires. Nous avons fait preuve de transparence en étant le premier État doté à communiquer des données précises sur le nombre total de nos têtes nucléaires, inférieur à trois cents.
Ce bilan nous permet aujourd’hui d’être exigeants. Évidemment, le traité de non-prolifération nucléaire, ou TNP, est le socle du désarmement et de la non-prolifération nucléaires. Nous avons été l’un des premiers États doté de l’arme nucléaire à signer, ratifier et mettre pleinement en œuvre le traité d’interdiction complet des essais nucléaires. Nous sommes engagés en faveur de son entrée en vigueur qui sera une étape importante pour marquer un coup d’arrêt au renforcement de ces armes. Reste devant nous le chantier de la négociation, trop longtemps retardée, du traité d’interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires.
Au-delà, les crises actuelles montrent de manière souvent dramatique la nécessité du désarmement. En utilisant massivement, en août dernier, des armes chimiques contre son propre peuple, tout en refusant de reconnaître qu’il en disposait, le régime de Damas a violé les lois et transgressé tous les interdits. L’horreur chimique en Syrie constitue un nouvel appel à la mise en œuvre universelle de l’interdiction des armes chimiques. C’est pourquoi le Président de la République a demandé récemment à l’Assemblée générale des Nations unies que les pouvoirs d’enquête en la matière du secrétaire général de l’ONU soient renforcés. Nous pouvons nous réjouir que la résolution adoptée à New York à la fin du mois de septembre, sur l’initiative de la France notamment, affirme que l’emploi d’armes chimiques constitue une « menace à la paix et à la sécurité internationale ». De la sorte, le Conseil de sécurité pourra se saisir à l’avenir de toute situation où l’emploi de ces armes est en cause. Le désarmement chimique de la Syrie est engagé, il devra aller à son terme.
Notre position sur la prolifération nucléaire dans le cas de l’Iran s’inscrit dans la même logique : nous disons oui à la technologie nucléaire civile et non à la prolifération nucléaire militaire. Depuis de trop nombreuses années, Téhéran poursuit un programme nucléaire militaire en violation des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et du Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA. Comme l’attestent les rapports récents de l’AIEA, le programme iranien continue : accélération des activités d’enrichissement, notamment à 20 %, sur le site de Fordow longtemps dissimulé à la communauté internationale, installation de centrifugeuses de nouvelle génération à Natanz, poursuite des activités liées à l’eau lourde avec le développement du réacteur plutonigène d’Arak, refus de coopérer pour clarifier les questions non résolues liées à la possible dimension militaire du programme.
En rencontrant récemment à New York le président iranien, M. Rohani, le Président français a donné une chance aux volontés d’ouverture du nouveau régime. Des paroles ouvertes sont utiles, mais elles ne suffisent pas. Nous attendons des gestes concrets, vérifiables et vérifiés par l’AIEA. Le groupe « E3+3 » a fait cette année des propositions de mesures de confiance à l’Iran : celles-ci restent sur la table. Il n’y a de notre part aucune naïveté sur les intentions du régime iranien : nous savons que, pendant que nous discutons, les centrifugeuses continuent de tourner. Cependant, après des années de blocage, nous devons saisir toute occasion de relancer ces négociations. Les discussions vont reprendre le 15 octobre à Genève : nous verrons alors si l’Iran cherche seulement à gagner du temps ou s’il fait, comme nous le souhaitons, le choix d’une négociation réelle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le désarmement et la non-prolifération des armes de destruction massive sont une nécessité. Mais il faut aller au-delà. Le désarmement général et complet dans ce domaine doit être accompagné d’avancées s’agissant des armes dites « classiques ».
Au Sahel, la dissémination des armes classiques a été un important facteur de déstabilisation de la région. Les matériels en provenance des entrepôts abandonnés par le précédent régime libyen ont contribué à alimenter les groupes armés radicaux contre lesquels la France a été amenée à intervenir au Mali. L’action de notre pays pour juguler cette crise a été déterminante. Il faut maintenant, au-delà de l’urgence, traiter les causes profondes à l’origine de la déstabilisation de toute la région du Sahel. La question des armes reste décisive. C’est pourquoi le Président de la République et moi-même avons souhaité convier à Paris l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement d’Afrique, du 5 au 7 décembre prochain, pour un sommet consacré précisément à la sécurité du continent africain. Les Africains veulent et doivent pouvoir répondre eux-mêmes, rapidement et efficacement, aux tumultes qui menacent les équilibres régionaux et la sécurité de pays appelés à devenir des moteurs de la mondialisation dans les prochaines décennies. Il est de la responsabilité de la France de les accompagner.
Nous devons rappeler, à cette occasion, notre position sur les armes dites classiques. La France a agi pour que, dans toutes les enceintes, la communauté internationale prenne ses responsabilités. Elle a soutenu de multiples initiatives, s’engageant à respecter les normes les plus exigeantes. Elle l’a fait, même lorsque ces normes n’étaient pas observées par d’autres. La France a ainsi procédé à la signature de la convention sur l’interdiction des mines antipersonnel, dite convention d’Ottawa, dès le premier jour, en 1997. Elle a souscrit à la convention d’Oslo sur les armes à sous-munitions en décembre 2008, figurant parmi les premiers États à le faire.
En ce qui concerne les armes légères et de petits calibres, nous appelons au renforcement du programme d’action des Nations unies sur la lutte contre le trafic illicite de ces armes, encore juridiquement non contraignant. Nous avons également été à l’origine d’un processus ayant abouti à l’adoption par les Nations unies, en 2006, d’un instrument international sur le traçage et le marquage et nous avons pris des mesures pour sécuriser les transports de ces armes par voie aérienne et maritime sur notre territoire.
Au-delà de ces régimes de limitation ou d’interdiction de certaines armes, la maîtrise des armements passe par la lutte contre la dissémination des armes classiques, plus difficile à appréhender. Cette nouvelle dimension de la maîtrise des armements constitue une question de sécurité et même de droits de l’homme.
La dissémination incontrôlée d’armes classiques menace, en effet, gravement de nombreuses populations. Les habitants des pays en voie de développement, des civils, essentiellement des femmes et des enfants, en subissent les conséquences.
Chaque année, on estime que ces armes provoquent la mort de 500 000 personnes, soit 1 500 à 2 000 personnes par jour, pour la plupart dans des pays très pauvres. En République démocratique du Congo, par exemple, plus de 5 millions de personnes ont été tuées par les armes à feu depuis 1998.
Les armes ne sont pas utilisées que pour tuer. Elles menacent, elles contraignent, elles permettent que soient commis des actes de torture, des viols, des enlèvements, des déplacements forcés et de nombreuses autres formes de violence. Les armes disséminées en dehors de tout contrôle détruisent la société et toute forme organisée d’État. En l’absence de sécurité et donc de stabilité, rien ne peut se construire durablement. Les échanges d’armes non réglementés constituent une grave entrave à la construction d’un monde plus humain et plus sûr.
Le commerce non régulé des armes nourrit aussi, en l’absence de toute norme commune, des trafics. La corruption liée à ces échanges est évaluée à plusieurs milliards d’euros chaque année. Cela fournit des moyens dévastateurs à toutes les formes de criminalité. Depuis les années quatre-vingt-dix, ce phénomène s’accroît de manière inquiétante. Il concerne des armes de plus en plus meurtrières et performantes. Il frappe tous les pays, même ceux qui se croyaient épargnés. L’absence de contrôle engendre des tueries imprévisibles, des guerres civiles sanglantes, des actes de terrorisme politique.
Pour toutes ces raisons, nous avions besoin de nouveaux instruments afin de compléter l’architecture traditionnelle fondée sur le désarmement. La menace de la dissémination des armes classiques met en jeu un grand nombre d’acteurs et défie l’autorité des États. Elle ne peut se régler que par une action durable et mondiale. Le traité sur le commerce des armes est précisément à la mesure d’un problème devenu aujourd’hui transnational.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai voulu, ne serait-ce que pour laisser une trace qui sera – je l’espère – écoutée au-delà de cette enceinte, retracer l’action de la France en matière de désarmement. On entend, en effet, sur ce sujet, beaucoup d’inexactitudes. Je voulais, devant votre Haute Assemblée, rétablir la réalité.
Le traité sur le commerce des armes, dont je soumets la ratification à votre décision, apporte une réponse à la menace croissante de la dissémination des armes classiques. Il est novateur pour au moins trois raisons.
D’abord, par la place qu’il accorde aux droits de l’homme et au droit international humanitaire. Ce traité prévoit, en effet, l’interdiction absolue de toute exportation d’armement s’il existe un risque que les matériels exportés soient utilisés pour commettre des actes de génocide, des crimes contre l’humanité ou de graves violations des conventions de Genève de 1949. Cela lui confère une valeur renforcée par rapport à tous les instruments existants.
Il est novateur, ensuite, parce qu’il engage pour la première fois la responsabilité de l’État vendeur d’armements. Le traité insiste sur la transparence nécessaire dans les transferts d’armes. Les États parties s’engagent à contrôler leurs exportations. Ils devront prendre en compte tous les usages possibles des armes vendues. Ils seront tenus de produire régulièrement des rapports sur la mise en œuvre du traité et sur les mesures intervenues pour prévenir le détournement des armes.
Il est novateur, enfin, parce qu’il pose une nouvelle norme mondiale. Ce traité est le premier instrument de droit international qui met en place un régime universel régulant le commerce mondial des armes. Il a été négocié entre tous les États membres des Nations unies. Il porte sur tous les types d’armes classiques, ainsi que sur leurs munitions, les pièces et les composants. Les tentatives précédentes d’une ampleur comparable dans ce domaine avaient échoué.
La France, avec ses partenaires européens, a beaucoup œuvré pour que ce traité soit adopté avec des exigences élevées. Notre objectif premier, à nous Européens, a été de responsabiliser les exportations d’armement. C’est le sens d’un texte que j’avais publié en juillet 2012, avec mes homologues allemand, britannique et suédois, dans lequel nous affirmions ensemble notre détermination à faire adopter à l’ONU un traité fort et efficace.
Nous avons dû mener un travail de conviction en tenant compte de l’enjeu, mais aussi des réticences exprimées par certains de nos partenaires. Tout le monde le reconnaît, la France a joué un rôle important, voire central. Elle a agi conformément à ses principes, en lien avec l’ensemble des organisations internationales concernées. Je tiens, ici, à rendre hommage à celles-ci, car on peut estimer que, sans elles, et sans toute une série d’organisations non gouvernementales, ce traité n’existerait pas. Ce travail collectif a permis l’introduction dans le texte du traité de critères exigeants de respect des droits de l’homme, du droit international humanitaire et du développement durable.
Grâce à cette mobilisation collective, nous sommes parvenus, en mars 2013, à faire accepter un texte juridiquement contraignant pour tous les États. Le résultat, ce traité sur le commerce des armes a été adopté le 2 avril 2013 à une majorité écrasante par l’Assemblée générale des Nations unies. Le texte est, en réalité, bien plus exigeant que celui qui était initialement prévu en juillet 2012 : les munitions y sont incluses, le champ des armes y est plus large. C’est donc un succès pour tous les défenseurs du désarmement conventionnel. Je pense que c’est le cas de tous les groupes de la Haute Assemblée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, chacun le sait, la France est un des principaux pays exportateurs d’armes. Il faut, dès lors, poser la question : n’y a-t-il pas contradiction, voire hypocrisie, à ratifier un tel traité ?