Le 2 avril 2013, l’Assemblée générale des Nations unies, à une très large majorité, a adopté le traité sur le commerce des armes : 155 voix pour, 3 voix contre – il n’est pas indifférent de les citer, la Syrie, la Corée du Nord et l’Iran –, 22 abstentions ; 13 pays n’avaient pas pris part au vote. La France l’a signé le 3 juin dernier et il est aujourd’hui soumis à l’approbation sénatoriale. C’est en effet à la Haute Assemblée qu’il est soumis en premier lieu.
Nous nous réjouissons que ce texte de ratification ait été si rapidement déposé sur le bureau de notre assemblée, monsieur le ministre.
Pour commencer, je voudrais faire un rapide rappel de la genèse du traité sur le commerce des armes. Dès la fin des années quatre-vingt-dix, des ONG se positionnent en demandant un instrument universel de régulation du commerce des armes. Parallèlement, en 1997, l’ancien président du Costa-Rica et prix Nobel de la paix, Oscar Arias, accompagné de sept autres prix Nobel, lance un appel pour un code international de conduite juridiquement contraignant sur les transferts d’armes. Au début des années 2000, un collectif d’ONG, « Contrôlez les armes », est créé afin de promouvoir la création de cet instrument.
Le Royaume-Uni a été le premier des États membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU à soutenir ce projet. Il a été rapidement suivi de l’ensemble des États membres de l’Union européenne, au premier rang desquels se trouvait la France.
L’année 2009 marque un tournant, puisque les États-Unis se joignent au soutien à ce traité. La même année, 153 États membres des Nations unies votent pour la mise en place d’un processus officiel qui inclut cinq réunions d’un Comité préparatoire en vue de la conférence de négociations sur ce traité.
Celle-ci se déroule en juillet 2012 mais n’aboutit finalement pas à l’adoption du traité. En effet, certains pays, au premier rang desquels les États-Unis, souhaitent un délai supplémentaire afin de parfaire la rédaction du traité.
Une nouvelle conférence diplomatique a été convoquée en mars 2013, qui s’est conclue sur la signature du traité le 2 avril. Parmi les pays abstentionnistes, on trouve la Chine, qui s’est abstenue pour une question de procédure, paraît-il : le contournement de la règle du consensus. La Russie, l’Inde et certains pays arabes ont, quant à eux, également opté pour l’abstention, mais en raison du contenu même du traité : ils estimaient, en effet, que ce traité, tel qu’il était soumis au vote, comportait trop de lacunes et ne prenait pas assez en compte certaines préoccupations, en particulier des importateurs.
Ce texte est un événement majeur : les États signataires s’accordent sur la création d’une norme internationale visant à encadrer le commerce légal des armes et à prévenir le commerce illicite.
Le champ d’application du traité est visé à l’article 2. Ainsi, les armes classiques entrant dans le champ d’application sont les chars de combat, les véhicules blindés de combat, les systèmes d’artillerie de gros calibre, les avions de combat, les hélicoptères de combat, les navires de guerre, les missiles et lanceurs de missiles, les armes légères et armes de petit calibre. Les dispositions des articles 6 et 7 s’appliquent également, vous l’avez précisé, monsieur le ministre, aux munitions et pièces et composants. Elles ne s’appliquent pas, en revanche, aux armes dédiées au maintien de l’ordre.
Les activités, quant à elles, regroupent l’exportation, l’importation, le transit, le transbordement, et le courtage. Elles n’englobent pas le transport international par un État partie ou pour son compte d’armes destinées à son propre usage.
Les activités non explicitement commerciales, comme les dons, cessions et prêts d’armes, ne sont pas couvertes par le champ d’application du traité sur le commerce des armes. Il s’agit là d’une lacune que soulèvent certaines ONG, arguant qu’ainsi une grande partie des opérations échappent à cette vigilance. Ce n’est pas faux. Nous avons, d’ailleurs, auditionné des représentants d’ONG qui s’intéressent de très près à ces questions.
Le point central du traité est la consécration du droit international humanitaire, qui devient le critère à respecter dans l’évaluation d’une demande d’exportation.
Ainsi, l’article 6 prohibe toute exportation d’armement, armes classiques, munitions, pièces et composants, lorsque l’exportation violerait les obligations de l’État exportateur au regard des mesures prises par le Conseil de sécurité des Nations unies – c’est le cas, notamment, des mesures d’embargos sur les armes.
L’article 6 prohibe également toute exportation d’armement, armes classiques, munitions, pièces et composants lorsque celle-ci violerait les obligations internationales résultant des accords auxquels l’État exportateur est partie, notamment concernant le transfert et le trafic illicite d’armes classiques.
Cette prohibition s’applique, enfin, lorsque l’exportation permettrait la commission de génocides, crimes contre l’humanité, attaques contre des civils, crimes de guerre, et violations graves des conventions de Genève.
Néanmoins, l’application reste difficile, comme l’indiquait la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, dans son avis sur l’avant-projet de traité en date du 21 février 2013 : comment prouver l’intention d’un État de commettre un génocide, par exemple ?
L’article 7 considère que, pour toute demande d’exportation n’entrant pas dans le champ des exclusions de fait, l’État exportateur doit procéder à une évaluation objective, non discriminatoire, mais la plus complète possible, de l’utilisation de ces armes.
L’État receveur de la demande doit, en particulier, estimer si une exportation d’armes porterait atteinte à la paix et à la sécurité, et pourrait servir à : commettre une violation grave au droit international humanitaire ou au droit international des droits de l’homme, ou en faciliter la commission ; commettre une infraction, ou en faciliter la commission, au regard des conventions ou protocoles internationaux relatifs au terrorisme ou à la criminalité transnationale auxquels l’État exportateur est partie ; commettre ou faciliter la commission d’actes graves de violence fondés sur le sexe, ou contre les femmes et les enfants.
S’il apparaît que tel est le cas, alors l’État doit chercher à atténuer les risques possibles. In fine, s’il considère qu’il existe un risque prépondérant de commission des actes précités, il ne doit pas autoriser l’exportation.
Cet article, en posant explicitement le principe du droit international humanitaire et celui du droit international des droits de l’homme, place ceux-ci au cœur du dispositif d’évaluation. Si nous ne pouvons que nous en réjouir, les termes employés laissent parfois perplexes.
Il en est ainsi de l’adjectif « prépondérant », qui suscite des controverses. La procédure même d’évaluation des risques, par étape, se conclut sur l’expression de « risque prépondérant », qui doit empêcher l’exportation. Or, la notion de risque prépondérant, en droit international, n’existe pas. Certains États, pour clarifier cette terminologie, ont d'ailleurs déclaré qu’ils l’interpréteraient comme étant un risque substantiel.
Également, quid des mesures d’atténuation des risques possibles ? Elles ne sont pas explicitement énoncées, si ce n’est des « mesures de confiance ou des programmes élaborés et arrêtés conjointement par les États exportateurs et importateurs ».
Monsieur le ministre, nous souhaiterions plus de précisions sur l’interprétation que fera la France des termes de cet article.
Autre règle essentielle : la transparence. Les États parties doivent fournir, dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur du traité, un rapport initial détaillé précisant les mesures qu’ils ont prises pour sa mise en œuvre. De même, les États rendent compte des mesures jugées efficaces pour lutter contre le détournement des armes classiques. Ils ont également l’obligation de fournir un rapport annuel concernant les importations et les exportations d’armes classiques.
Enfin, sont aussi prévues par le traité des mesures d’assistance et coopération entre États parties dans la mise en œuvre du traité, la possibilité de l’amender lorsqu’il sera entré en vigueur, ou encore la création de structures chargées de sa mise en œuvre.
L’intégration en droit interne ne posera aucun problème. Le droit européen et le droit français étant déjà très avancés en matière de législation sur le commerce des armes, le présent traité s’intégrera de façon fluide, d’autant plus que le champ d’application de la position commune, qui couvre l’ensemble des équipements militaires de la liste commune de l’Union européenne, est plus vaste que les catégories couvertes par les articles du traité.
En matière de transparence, le traité prévoit la rédaction de rapports ; or, la France, par son rapport annuel au Parlement sur les exportations d’armements, met déjà en œuvre cette transparence.
De même, concernant nos accords, le droit français intégrant par définition, et de façon plus étroite, les avancées du traité, les autorisations en cours ont d’ores et déjà été accordées à l’aune des critères du traité.
La ratification revêt une importance majeure : la France avait fait de l’adoption de ce traité l’une de ses priorités ; l’enjeu est désormais son universalisation. À ce jour, 113 pays l’ont signé et sept l’ont déjà ratifié – nous devrions être le huitième. Notons que les États-Unis l’ont signé le 25 septembre dernier.
Mes chers collègues, soyons honnêtes, ce traité n’est pas parfait ; il contient quelques lacunes ou failles dans sa rédaction. J’ai évoqué la question du risque prépondérant ; on peut également citer l’article 26, qui est une des failles du texte : en vertu de celui-ci, l’application du traité ne porte pas atteinte aux obligations souscrites par les États parties en vertu d’accords internationaux, actuels ou futurs, pour autant que ces obligations soient compatibles avec le traité.
Soyons clairs, c’est du charabia qui permet de dire à la fois une chose et son contraire ! Les ONG nous ont fait part de leurs craintes que cette disposition ne provoque une lecture dérogatoire du traité. Pour ce qui nous concerne, nous rendrons cette lecture la plus vertueuse possible, afin que le traité ne soit pas vidé de son sens.
Malgré ces imperfections, un texte améliorable est préférable à l’absence de texte ! C’est une bonne base de départ, les ONG l’ont parfaitement compris. Rappelons que selon les données recueillies auprès d’Amnesty International, chaque minute, une personne est tuée par arme dans le monde, quinze sont blessées, et 80 % des victimes de conflits armés sont des civils.
Ce sera tout à l’honneur de la France que d’être parmi les premiers pays à ratifier le traité sur le commerce des armes. C’est pourquoi votre commission des affaires étrangères, qui a adopté le projet de loi à l’unanimité, vous recommande d’autoriser la ratification de ce traité. §