Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la paix et la sécurité collective sont les premiers biens publics que l’humanité doit préserver et la lutte contre toutes les formes de prolifération doit nécessairement animer la politique internationale des États. Plus qu’un axe de travail, c’est notre devoir et notre responsabilité d’élus de la nation qui est en jeu.
La prolifération est trop souvent lue sous son seul angle nucléaire, biologique ou chimique, et on le comprend. Cependant, nous faisons face ici à un paradoxe majeur de notre droit international. La communauté internationale s’est dotée à raison d’un arsenal juridique et politique sophistiqué pour prévenir la prolifération des armes de destruction massive. Elle s’est également indignée, à juste titre, dès les premières conventions de Genève, de l’emploi d’armes violant ouvertement le droit de la guerre, comme on disait à l’époque, à l’image des gaz asphyxiants ou toxiques.
Pour autant, ce sont les armes les plus basiques et les plus répandues qui font peser les plus graves menaces, les plus grands troubles sur la paix et la sécurité internationale. Vous avez cité les chiffres, qui sont impressionnants : plus de 800 millions d’armes dans le monde, responsables de plus de 500 000 morts par an. Autrement dit, plus de 90 % des victimes d’un conflit international sont le fait d’armes dites « conventionnelles ». Préserver la paix et la sécurité internationale, ou en tout cas s’en rapprocher, c’est avant toute chose parvenir à la maîtrise des armes classiques et conventionnelles.
Un rapide tour d’horizon des plus récentes crises internationales, où l’usage des armes légères contribue chaque jour à l’escalade de la violence, suffit à s’en convaincre. Peut-être sont-elles là les véritables armes de destruction massive, celles qui troublent le plus les consciences au regard de leur macabre efficacité.
Le débat international, les prises de position, les avancées sur les mines procèdent d’ailleurs de la même logique, et des mêmes progrès lents et difficiles. Je cite l’exemple des mines parce que l’on constate tout de même peu à peu, y compris par rapport à des conflits récents, des progrès concrets.
Cette prolifération représente non seulement un danger pour la sécurité internationale, mais aussi un risque pour la sécurité des États. En effet, un commerce des armes sans réglementation contraignante, c’est un commerce qui permet à n’importe qui de se doter par des voies plus ou moins légales de fusils d’assaut, par exemple.
C’est la porte ouverte à toutes les formes de prolifération, à tous les trafics, à toutes les mafias et donc à toutes les entreprises transnationales de déstabilisation – de la criminalité organisée au terrorisme, en passant par les actes isolés de folie meurtrière. Je pense aux drames d’Utøya en Norvège, en 2011, ou encore d’Aurora, en 2012, qui ont aussi été rendus possibles par la facilité de se procurer des armes basiques mais néanmoins capables de tuer, en l’occurrence massivement.
Au plan régional, les exemples se bousculent. On sait déjà comment la chute de l’URSS a conduit à armer les mafias et les groupes terroristes pendant les années quatre-vingt-dix. On sait également comment la dissémination des stocks d’armes libyens en 2011 a contribué à la déstabilisation de l’ensemble des pays de l’Afrique du Nord et du Sahel, en armant les trafiquants et les groupes fondamentalistes islamistes des pays frontaliers – les deux sont d’ailleurs très imbriqués.
Dès lors, il est essentiel d’agir non seulement sur la régulation des flux de transferts internationaux de ces matériels afin de garantir le monopole et la garantie des États, mais aussi, bien sûr, à l’intérieur des États, pour sécuriser les stocks laissés à l’abandon.
Il était donc temps que le paradoxe juridique des armes conventionnelles soit résolu par le droit international et que la communauté internationale se dote de l’appareillage technique pour y faire face.
La ratification du traité sur le commerce des armes est venue répondre à ce défi pour la paix.
Premier traité négocié sur la question dans l’enceinte des Nations unies depuis 1996, ce dispositif viendra épauler notre législation nationale et européenne déjà particulièrement contraignante – sans doute plus que dans d’autres continents, y compris les pays très développés outre-Atlantique.
En effet, la France, en tant que cinquième exportateur mondial de matériels de défense, s’est toujours fait un devoir de lutter contre les risques de prolifération de ses armes conventionnelles, de ses munitions ou de tout instrument pouvant être employé à cette fin. Cette préoccupation nationale a été renforcée dès 2011 au plan européen par la transposition des directives TIC et MDCS, qui ont permis de fluidifier le marché européen de la défense tout en garantissant à l’ensemble des États des contrôles réguliers et approfondis des transferts concernés.
D’une certaine manière, le traité que nous nous apprêtons à ratifier s’inscrit dans cette perspective et empreinte à d’autres traités ou directives récentes des outils juridiques modernes à la hauteur de l’enjeu.
Le présent traité s’inscrit également dans une démarche volontariste en faveur de la sécurité collective, en conditionnant la décision par les États vendeurs de transférer des armes classiques au respect des droits de l’homme par les États acheteurs. Un tel garde-fou, déjà pratiqué de fait par les États de l’Union européenne, devrait faciliter la stabilisation de la sécurité internationale en endiguant peu à peu la prolifération des armes classiques.
Ce traité est-il suffisant ? Je pose la même question que le rapporteur ; j’évoque les mêmes interrogations que le ministre. Bien sûr, nous pouvons en douter. Nous sommes réalistes et nous voyons bien ce qui se passe sous nos yeux. Les circuits commerciaux entre les États proliférants et les États acquéreurs resteront puissants. Le présent texte doit donc être adopté pour ce qu’il est : un point d’étape, une avancée substantielle, mais pas une destination finale, d’autant que la ratification de ce traité par l’ensemble des États de la planète reste un défi en soi.
C’est donc dans cet état d’esprit, monsieur le ministre, mes chers collègues, que les sénateurs du groupe UDI-UC, suivant la position de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, affirmeront, en votant en faveur du présent projet de loi, leur engagement pour la paix et la sécurité internationale.