Intervention de Pierre de Villiers

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 octobre 2013 : 2ème réunion
Rémunération des militaires — Audition pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes

Pierre de Villiers, major général des armées :

Tout d'abord, permettez-moi de remercier les membres de la commission des finances du Sénat de me donner l'occasion de m'exprimer en même temps que le secrétaire général pour l'administration et le directeur du budget et de pouvoir ainsi partager avec vous sur un sujet particulièrement sensible.

En second lieu, je voudrais souligner la grande qualité de l'enquête de la Cour des comptes sur la rémunération des militaires de 2009 à 2012 qui constitue, à mes yeux, une remarquable base de travail pour envisager et construire l'avenir. Elle repose en effet sur une analyse exhaustive et sincère du système de rémunérations des militaires. Elle met en exergue les principaux dysfonctionnements ou difficultés liés à ce système et propose des recommandations que j'approuve dans leur grande majorité.

Le thème de la rémunération des militaires est un sujet d'une sensibilité extrême car il touche aux bases même de la condition des femmes et des hommes des armées. Il appelle donc la plus grande prudence, d'autant que le ministère est engagé depuis plusieurs années dans un processus de réformes sans précédent, qui sollicite au quotidien l'ensemble du personnel.

Mon intervention s'articule autour de deux axes : je vous ferai part de quelques éléments de contexte puis de réponses au constat établi par la Cour des comptes, avant, dans un deuxième temps, de vous indiquer un certain nombre de propositions qui sont en passe d'être mises en oeuvre au sein du ministère et qui vont dans le sens des recommandations du rapport.

Il importe tout d'abord de bien comprendre dans quel contexte nous nous situions entre 2009 et 2012 : c'est celui des réformes, des opérations et une évolution des limites d'âge.

La période considérée a été caractérisée par une déflation sans précédent de 45 000 hommes.

Ces années ont aussi été celles des 40 grands chantiers issus de la révision générale des politiques publiques (RGPP) qui ont généré des réformes en profondeur au sein du ministère de la défense avec leur lot de restructurations. À cet égard, je rappellerai que la règle était de respecter la courbe de déflation des effectifs et la mise en oeuvre d'une clause de sauvegarde qui permettait de ne pas compenser la hausse de la masse salariale par des déflations supplémentaires.

Dans le même temps, les armées ont conduit, avec le succès et les sacrifices que l'on connaît, des opérations extérieures majeures, que ce soit en Afghanistan, jusqu'à la manoeuvre complexe de désengagement de 2012, ou encore en Côte d'Ivoire, en Libye et, plus récemment, au Mali. À l'heure où je vous parle, ce sont de l'ordre de 8 000 soldats qui sont engagés sur des théâtres d'opérations. Le moins que l'on puisse dire est que la situation a été complexe et bousculée par la multiplicité des missions opérationnelles pendant cette période.

De façon concomitante, les limites d'âges ont été allongées, ce qui s'est traduit mécaniquement par un effet de thrombose sur les effectifs.

Fort de ces éléments, je prends acte des critiques de la Cour des comptes dans ce rapport, mais je souhaite que le contexte que je viens d'évoquer soit pris en compte, afin de mieux objectiver la problématique. Nous n'étions pas dans un long fleuve tranquille ces quatre dernières années.

S'agissant plus particulièrement de la contradiction relevée par la Cour des comptes entre la diminution des effectifs et la hausse de la rémunération des militaires, je souhaite apporter quelques explications.

La politique gouvernementale menée de 2008 à 2012 instaurait le principe d'un juste retour de 50 % des économies générées par la réforme au profit de la condition du personnel. Dans la pratique, ce taux a été légèrement inférieur et le montant des dépenses catégorielles s'est élevé à 308,1 millions d'euros sur la période.

Un autre élément d'explication a trait aux vicissitudes liées à ce que l'on appelle l'écosystème Louvois. Je ne m'appesantirai pas sur ce sujet car j'attends avec intérêt le rapport complet de la Cour. Je note toutefois que lorsque l'on retire les surcoûts générés par les désordres de Louvois, tels qu'ils sont estimés à ce stade, la hausse constatée de la masse salariale globale n'a pas été de 5,5 % mais d'un peu plus de 3 %.

Troisième facteur, un repyramidage généré par une typologie des restructurations, notamment des fermetures de sites, qui ont mécaniquement détruit davantage d'emplois de militaires du rang que de postes d'officiers supérieurs. De surcroît, la réduction des flux de recrutement a occasionné un vieillissement moyen de deux ans de la population, ce qui s'est traduit par un GVT positif. J'ajoute que la gestion des pécules d'accès à une deuxième carrière aurait pu être plus optimale pour la catégorie des officiers supérieurs. Nous allons nous employer à corriger ce point, comme je vous l'indiquerai plus tard.

Toutes ces mesures s'inscrivaient dans un contexte très particulier qui a nécessité d'accompagner les profondes réformes de structures par des actions en faveur du personnel, soit sous forme de revalorisation indiciaire, soit par une dynamique professionnelle plus attractive et volontaire.

Aussi, plutôt que de me livrer à un exercice critique de cette gestion et encourager les divisions entre armées, voire entre ministères ou encore entre civils et militaires, je voudrais défendre l'intérêt général et éviter toute polémique inutile sur le constat que nous partageons globalement. Le terme qui me vient spontanément à l'esprit est « l'Union Sacrée » chère à Clémenceau, compte tenu de l'ampleur de la difficulté.

Dans cette logique de fédération des volontés, et en tant que responsable de programme par suppléance, je privilégie le triptyque « un chef, une mission et des moyens » dans le contexte global de modernisation des armées.

En matière de gouvernance, il est urgent de faire preuve de volontarisme et je suis favorable à l'abandon d'une logique uniquement comptable des réformes et des restructurations qui a trop longtemps prévalu au sein de la RGPP, pour privilégier au contraire une approche raisonnée de simplification qui prenne en compte les spécificités de notre modèle d'armée et de ses ressources humaines.

Par ailleurs, en termes de rémunération, il me semble pertinent de poursuivre les comparaisons avec les autres corps de la fonction publique d'État, d'une part, et avec les armées étrangères, d'autre part, notamment britannique et allemande.

En revanche, je voudrais, avec la plus grande clarté, dénoncer l'idée d'une fiscalisation de l'indemnité pour charges militaires, qui serait perçue comme une attaque directe contre la communauté militaire pour qui cette indemnité est la juste compensation des sujétions du métier des armes. Le contexte actuel me semble par ailleurs totalement inadapté à ce type d'éventualité en raison de ses répercussions inévitables sur le moral du personnel déjà largement sollicité.

Si je résume ma pensée, passée l'analyse du constat et des éléments de contexte, ce qui est important à mes yeux c'est de se mettre en ordre de marche le plus vite possible pour être aux rendez-vous de 2015, 2019 et, en fond de tableau, de 2025 - aboutissement du modèle d'armée. Il s'agit bien de trouver des pistes d'amélioration, de les mettre en oeuvre et d'avancer.

La première piste est de simplifier la gouvernance. Comme le préconise le rapport, le ministère de la défense s'est déjà aligné sur le principe « un chef, une mission, des moyens » pour simplifier la gouvernance des ressources humaines.

La responsabilité des dépenses de personnel est dorénavant confiée aux gestionnaires d'armées sous l'autorité fonctionnelle du DRH-MD qui devient le responsable de la maîtrise des crédits du titre 2 pour le ministère. Un programme unique « titre 2 » sera confié au secrétaire général pour l'administration (SGA) à partir de 2015.

Cette nouvelle gouvernance est particulièrement adaptée au pilotage de la masse salariale, et donc des ressources humaines du ministère. En particulier, elle recrée la corrélation entre la gestion des ressources et des crédits. Elle privilégie sur ce plan la responsabilité des chefs d'état-major d'armées, des directions et des services, en charge de leurs budgets opérationnels de programme (BOP) respectifs.

Le chef d'état-major des armées, en tant qu'employeur et responsable du programme 178, conserve la maîtrise de la modélisation des armées, c'est-à-dire de leur organisation générale.

En complément, un certain nombre de dispositifs encadrants ont été élaborés conjointement entre le ministère de la défense et le ministère des finances.

Il s'agit notamment d'une gestion de la masse salariale fondée sur le principe d'auto assurance et de la mise en place d'un contingentement des effectifs militaires par grade, fixé par arrêté interministériel annuel, qui permet de placer sous contrôle le dépyramidage des effectifs et d'éviter toute dérive en la matière.

Sur ces bases, il nous appartient d'intégrer ces dispositifs encadrants et de réfléchir à l'optimisation de notre « modèle RH » hérité à certains égards encore de l'armée de conscription. Il s'agit de revisiter les grands déterminants de notre « politique RH » : recruter, former, soutenir, équiper, promouvoir, reconvertir, afin de conférer au modèle une plasticité compatible avec les besoins RH de demain. Les mots d'ordre sont innovation et détermination, tout en s'appuyant sur trois prérequis : le respect du statut général des militaires, l'intégration des spécificités inhérentes aux trois armées et la cohérence par rapport au contrat opérationnel inscrit dans le livre blanc. Ne pas évoluer, c'est la certitude d'avoir à dégrader les deux leviers habituels de gestion : le recrutement, indispensable pour garantir la jeunesse de nos personnels, l'avancement, créateur de dynamique professionnel indispensable à toute organisation.

Pour y parvenir nous avons déjà identifié plusieurs pistes. Les nouvelles déflations de 24 000 postes entre 2014 et 2019 porteront en priorité sur les états-majors et les organismes de soutien plutôt que sur les forces (avec une proportion de deux tiers pour les premiers et d'un tiers pour les seconds). Cette préservation des forces est une volonté de notre ministre, Jean-Yves Le Drian et nous y souscrivons pleinement pour respecter le contrat opérationnel.

La politique de dépyramidage se poursuivra avec comme objectif au niveau du ministère un taux de 16 % pour les officiers. À cet égard, je note que les armées sont déjà en-dessous de ce volume, ce qui milite en faveur d'un partage de l'effort au niveau ministériel quelle que soit la catégorie de personnel.

Un grand plan de la condition du personnel sera lancé conformément aux annonces très récentes du Président de la République et du ministre de la défense. Il sera axé sur la simplification de l'arsenal des indemnités versées aux militaires, ainsi que sur les notions de responsabilisation et de mérite. Dénommé « SDIM » pour simplification du dispositif indemnitaire des militaires, ce chantier prolonge le projet de refondation du système indemnitaire des militaires (RSIM) porté par les armées depuis près de trois ans. Par ailleurs, la rénovation de la concertation au sein des armées fera partie des attendus de la 90ème session du conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) prévue fin 2013. Le chantier vient aussi d'être lancé par le chef des armées il y a quelques jours.

Parallèlement, plusieurs leviers d'action seront mis en oeuvre pour optimiser notre modèle de ressources humaines : une adaptation du volume de recrutement, estimé dans le projet de loi de finances 2014 à 17 000 par an, ainsi que du taux de contractuels, afin de rendre le modèle plus souple ; un meilleur phasage des départs parmi les populations de militaires en fin de contrat ou de carrière, pour les adapter aux conditions économiques du moment, accroître la plasticité de notre modèle et maintenir des flux d'avancement attractifs pour les personnels, notamment en haut de la pyramide de chaque catégorie, ce qui constitue une mesure très importante pour le moral des troupes ; une diminution du nombre d'officiers brevetés de l'école de guerre ; une meilleure adéquation pour tout le personnel entre les grades détenus et les responsabilités effectivement exercées ; une politique volontariste en matière de haut encadrement militaire, en s'appuyant sur l'identification et le suivi des hauts et très hauts potentiels ; un renforcement des dispositifs de reconversion pour le personnel militaire et de reclassement dans les fonctions publiques, ainsi que des mesures financières d'incitation au départ, alors qu'aujourd'hui 1 500 militaires par an peuvent bénéficier de ces aides.

Sur un plan plus général, nous venons d'élaborer un plan stratégique actualisé des armées, associé à une cartographie des risques, qui fixe les grandes orientations pour 2020, afin d'être au rendez-vous du modèle à horizon 2025. Conformément au projet de loi de programmation militaire, un mécanisme de révision est prévu fin 2015.

En conclusion, vous l'aurez compris, nous sommes déjà en mouvement. Nous avons lancé trente chantiers, sous l'impulsion du ministre de la défense, destinés à identifier les effectifs pour une déflation qui porte sur près de 34 000 emplois. Ce que je viens de vous décrire au sujet du modèle des ressources humaines entre dans cette démarche, qu'il s'agisse de la diminution du nombre et du volume des états-majors, du contingentement et du dépyramidage.

Ce rapport de la Cour des comptes est une opportunité pour nourrir les projets en cours d'élaboration dans les armées et inscrits dans le projet de loi de programmation militaire déposé le 2 août 2013.

Parmi les maîtres mots de cette loi de programmation militaire, il y a différenciation et mutualisation, que je résume en rationalisation. Cette rationalisation est déjà largement commencée ; elle vise à la fois, comme l'a déclaré le Président de la République dans le Livre blanc de 2013, à maintenir le niveau d'ambition de défense du pays et en même temps à transformer profondément le ministère. Notre modèle de ressources humaines et la masse salariale qui lui est associée évolueront dans ce sens et j'espère vous avoir convaincus que nous nous y attelons au quotidien et avec force.

Nous sommes parfaitement conscients des enjeux que représente cette loi de programmation militaire, qui est le meilleur compromis entre la souveraineté de notre défense et la souveraineté économique et budgétaire de notre pays. En d'autres termes, il s'agit de faire ensemble, autrement et au mieux.

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