Merci de me donner l'occasion de m'exprimer sur ce sujet très sensible pour le ministère.
Comme l'a dit le major général des armées, nous ne parviendrons à remettre les choses d'aplomb et obtenir le meilleur pilotage de la masse salariale que si nous le faisons ensemble, de manière plus approfondie que cela n'a été le cas jusqu'à présent. Je reprendrai quelques éléments de complexité du dispositif décrit par la Cour des comptes, avant de présenter dans un premier temps les orientations d'ores et déjà mises en oeuvre à l'heure actuelle.
Le rapport de la Cour des comptes établit un constat partagé et apporte des éléments d'explication qui font consensus.
Je souhaite tout d'abord revenir sur la complexité du dispositif pendant la période examinée. L'architecture actuelle du dispositif est issue de réformes successives qui n'ont pas permis un pilotage optimal des ressources humaines et de la masse salariale.
Tout d'abord, la mise en oeuvre de la LOLF a conduit à multiplier le nombre des acteurs, avec d'un côté les employeurs responsables de programmes ou de budgets opérationnels de programme (BOP), qui expriment les besoins et gèrent les effectifs et la masse salariale qui leur sont alloués, et de l'autre les gestionnaires organiques qui disposent des principaux leviers concrets de pilotage de la masse salariale. Pour ma part, je suis responsable du programme 212 relatif au soutien des politiques de la défense. Au sein de ce programme, les directions qui mettent en oeuvre les différentes politiques emploient un peu plus de 9 000 agents civils et 3 600 agents militaires. Je n'ai aucune maîtrise du recrutement, de l'avancement des personnels qui me sont ainsi affectés. J'exprime des besoins aux directions des personnels qui sont les gestionnaires organiques et m'affectent ces personnels, mais ce sont ces directions qui maîtrisent, par exemple, l'avancement. Nous bâtissons donc des budgets en évaluant des dépenses sans avoir entre nos mains l'ensemble des leviers nécessaires. Dans ce contexte, le dialogue de gestion est extrêmement complexe. Les instances de dialogue ministérielles doivent à la fois rassembler les responsables de programmes et les responsables organiques, et force est de constater que leur fonctionnement n'est pas optimal, ne serait-ce que, ainsi que l'a reconnu la Cour des comptes, parce que nous ne disposons pas de restitution satisfaisante. Certes, nous y travaillons, notamment avec le ministère du budget et grâce à CHORUS, par exemple en ce qui concerne la gestion des indemnités.
Un deuxième élément de contexte est que, pendant la loi de programmation militaire, nous avons principalement suivi une logique quantitative pour atteindre les réductions d'effectifs qui avaient été programmées. Dès la première année de la LPM, nous avons été en avance de 1 500 ETP par rapport aux réductions de postes prévues, et cette avance s'élève aujourd'hui à 3 500 ETP. Le ministère a donc respecté l'objectif quantitatif, mais a rencontré plus de difficulté s'agissant des aspects qualitatifs.
Cette préoccupation quantitative lors de l'élaboration de la loi de programmation militaire s'est traduite par la clause de sauvegarde. En effet, pendant la préparation de la loi de programmation militaire, nous avons eu des discussions pour déterminer les conséquences financières de l'évolution des effectifs avec, reconnaissons-le, certaines imprécisions. La clause de sauvegarde est apparue progressivement au fil des discussions et, dirais-je, a été arrachée compte tenu des imprécisions dans la détermination de la masse salariale et de sa possible évolution.
Pendant la période écoulée, l'évolution de la masse salariale a été conditionnée par les décisions qui avaient été prises, comme la revalorisation de la rémunération des militaires à travers de nouvelles grilles indiciaires. Ces grilles avaient été annoncées officiellement avant l'élection présidentielle de 2007, et nous avons alors dû les mettre en oeuvre. Alors que nous avions prévu une application des nouvelles grilles sur l'ensemble de la durée de la loi de programmation militaire, le calendrier a été accéléré et la mise en oeuvre s'est opérée sur trois ans, ce qui répondait à une forte demande du Conseil supérieur de la fonction militaire. Les graphiques qui vous ont été montrés ont illustré les conséquences sur les rémunérations. Par exemple, un capitaine a disposé de 1,2 mois de solde supplémentaire par an.
Il convient d'observer un autre mécanisme difficile à gérer en ce qui concerne les grilles indiciaires. Lorsque les policiers obtiennent une amélioration de leur situation, les gendarmes réclament, et en général obtiennent, une amélioration similaire. Il se pose alors la question de savoir ce que nous faisons pour les sous-officiers des différentes armes. Durant la loi de programmation militaire, les nouvelles grilles venaient tout juste d'être établies lorsque les policiers et les gendarmes ont obtenu une amélioration de leur situation indiciaire. Le ministère de la défense avait alors recommandé de traiter les demandes des policiers et des gendarmes sous un angle indemnitaire et non indiciaire, en observant qu'un traitement indiciaire conduirait à étendre aux sous-officiers des armées ce qu'auraient obtenu les sous-officiers de gendarmerie. Nous avons d'ailleurs bloqué pendant plusieurs mois l'examen par le Conseil supérieur de la fonction militaire du projet de texte sur la gendarmerie. Nous voulions obtenir, au niveau interministériel, une évolution de la grille des sous-officiers. Il y a eu un mécanisme d'échelle de perroquet, selon un enchaînement de décisions qui n'était absolument pas prévisible lors de l'élaboration de la loi de programmation militaire.
Comme l'a évoqué la Cour des comptes et rappelé le major général des armées, le retour catégoriel vers les militaires d'une partie des économies réalisées a atteint 50 % au cours des deux premières années. Mais la moyenne ne s'établit qu'à 38 % sur l'ensemble de la période, compte tenu des difficultés ensuite rencontrées dans la maîtrise des dépenses.
La question a été posée des conséquences que pourraient avoir des mesures prises au niveau de l'ensemble de la fonction publique. Au sein du ministère, les mesures bas salaires concernent environ 3 600 civils et 64 500 militaires. On considère que les mesures bas salaires ont eu un impact de 230 millions d'euros entre 2009 et 2012.
Le major général des armées a donné des explications en ce qui concerne le repyramidage. Celui-ci doit être ramené à de justes proportions. Selon le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Contrôle général des armées (CGA), les conséquences du repyramidage ont été évaluées à 114 millions d'euros entre 2008 et 2012.
La Cour des comptes a évoqué les difficultés du ministère de la défense à entrer dans le dispositif de contingentement. Il est vrai que le contingentement n'a été mis en place qu'à partir de 2012, après des discussions avec la direction du budget en 2006 et 2007 qui n'avaient pas abouti. Le contingentement a des effets extrêmement concrets, avec une réduction des tableaux d'avancement, par rapport à 2012, de 23 % pour les colonels de l'armée de terre et de 15 % pour les capitaines de frégate et les commandants de l'armée de l'air.
S'agissant des difficultés liées à Louvois, les causes de ces situations sont multiples et nous partageons l'analyse de la Cour des comptes. Une autre cause doit cependant être évoquée : depuis quinze ans, le logiciel a été principalement développé en interne et y a connu plusieurs échecs successifs. Il a été dit que la décision de raccordement de l'armée à Louvois aurait été prise rapidement et sans tenir compte du système de paiements doubles, lequel a engendré des délais de plus de neuf mois pour l'armée de terre. Il faut aussi tenir compte de la fermeture des centres chargés de la gestion de la solde, notamment dans l'armée de terre, qui aurait été un peu rapide. La fermeture des centres territoriaux d'administration et de comptabilité a été décalée de deux ans pour tenir compte des difficultés qui auraient pu être rencontrées.
Mais l'obligation que nous avions de réduire les effectifs a amené à la prise de certaines décisions par l'ensemble des responsables, les chefs d'état-major et mon prédécesseur au poste de secrétaire général pour l'administration, puis le ministre et son cabinet, en ayant pris soin de recueillir l'accord de l'ensemble des partenaires concernés.
Il n'en demeure pas moins que Louvois a eu des effets directs tout à fait regrettables pour les personnels militaires, ainsi que des conséquences sur la consommation des crédits de masse salariale. Reprenant l'estimation qu'avaient établie l'IGF et le CGA, la Cour des comptes estime le montant des indus à 133 millions d'euros. Suivant les travaux actuellement menés avec la direction du budget, nous réévaluons le montant des indus à 72 millions d'euros au titre de l'année 2012 et 64 millions d'euros en 2013. Par ailleurs, une surconsommation des crédits a résulté du mécanisme des avances pour assurer la paie du personnel, à titre dérogatoire, et nous sommes en train d'évaluer les conséquences de ces avances pour l'année 2013. Le titre 2 a donc bien sûr été fortement perturbé par le déploiement de Louvois.
Compte tenu de ces éléments de contexte, où en sommes-nous et qu'envisageons-nous de faire ? Le major général des armées a rappelé que nous sommes à nouveau engagés, avec le projet de loi de programmation militaire, dans des réductions d'effectifs impliquant un taux d'effort équivalent à celui de la précédente loi de programmation militaire : dès 2014, nous devrons supprimer 7 881 emplois. Toutes les populations du ministère sont concernées, mais suivant un double mouvement de dépyramidage. La part des officiers dans la population militaire, qui avait augmenté de 16 % à 17 %, doit être amenée à 16 %. Par ailleurs, la moitié des officiers ne sont pas employés dans les armées, mais dans des services comme la direction générale de l'armement. En outre, il existe une volonté de « civilianiser » des emplois dans les postes de soutien, où les militaires effectuent aujourd'hui souvent une deuxième partie de carrière. Il faut donc bien cibler les départs et disposer de tous les outils d'incitation qui figurent dans la loi de programmation militaire. Je rejoins en tout cas l'avis du major général selon lequel il ne faut pas opposer les militaires aux civils, ni les populations des services à celles des forces. Nous devons être volontaristes, mais également très attentifs aux difficultés qui peuvent se présenter.
En matière de primes, nous sommes conscients d'une nécessaire simplification. L'évaluation du coût d'une réforme du dispositif indemnitaire, estimé à 300 millions d'euros, n'est bien sûr pas supportable au regard de la situation du titre 2 du ministère. L'exercice devra donc être étalé dans le temps et poser un certain nombre de questions en termes de ressources. En 2014, le ministère disposera d'un peu plus de 40 millions d'euros de crédits au titre des mesures catégorielles. Or lorsque nous regardons l'impact actuel des mesures bas salaires qui sont à l'étude et de la revalorisation des personnels de catégorie B, il n'est déjà pas possible de les mettre en oeuvre. S'engager dès à présent dans une remise à plat du dispositif indemnitaire apparaît extrêmement difficile.
Préalablement, un important travail d'étude doit être conduit, répondant aux six questions posées par la Cour : la restriction des droits et libertés, la mobilité, l'absence, la précarité, l'exposition au risque et les interventions dans des environnements défavorables. En termes de primes, quatre éléments de gestion doivent être pris en compte : le recrutement, les compétences, la mobilité professionnelle et les départs. C'est sur ces bases que nous devrons construire un nouveau système indemnitaire.
Il existe effectivement 174 primes à l'heure actuelle, mais dont plus d'une vingtaine sont totalement obsolètes et dont la suppression est presque anecdotique. Nous devons aller beaucoup plus en profondeur pour mettre à plat le dispositif, en élaborant un système unique de ressources humaines à l'échelle du ministère. La Cour des comptes appelle de ses voeux l'achèvement d'un tel chantier qui est en cours.
J'appelle votre attention sur le fait que la remise à plat d'un système indemnitaire sans dépenser un euro supplémentaire est tout bonnement impossible.
En ce qui concerne la gouvernance, je m'associe pleinement aux propos du général de Villiers. La direction des ressources humaines va disposer d'une autorité fonctionnelle renforcée, qui ne correspond pas à une autorité hiérarchique mais à la possibilité de disposer des principaux éléments de la politique des ressources humaines : nous aurions un droit de regard sur les flux de recrutement, leur composition par catégorie de personnel et leur répartition au cours de l'année, en fonction des missions opérationnelles des armées. Nous devrons travailler étroitement avec la direction des affaires financières du ministère pour traduire l'impact de ces décisions sur la masse salariale.
Nous avons lancé un groupe de travail sur la gestion de crédits de titre 2 et la création d'un programme unique de crédits de personnel, dont le secrétariat général pour l'administration devrait être responsable, dans le cadre du renforcement de l'autorité fonctionnelle de la direction des ressources humaines.
D'ores et déjà, nous voyons apparaître un système de gouvernance à deux niveaux. Au niveau politique du ministre, en comité exécutif, nous devrons nous réunir avec les chefs d'état-major et les majors généraux des armées. Une réunion est déjà programmée sur le modèle des ressources humaines du ministère à l'horizon 2025. Cette réunion sera coprésidée, afin de montrer que c'est au chef d'état-major des armées de définir leur format et au secrétariat général pour l'administration d'en assurer la mise en oeuvre. Par ailleurs, un niveau de gouvernance technique relève de la direction des ressources humaines du ministère et des directions des différentes armées pour assurer le suivi des mesures prises.
En conclusion, nous essayons de tirer tous les enseignements du rapport de la Cour des comptes pour une meilleure maîtrise de la masse salariale dans le cadre d'une nouvelle gouvernance du ministère.