Intervention de Julien Dubertret

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 octobre 2013 : 2ème réunion
Rémunération des militaires — Audition pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes

Julien Dubertret, directeur du budget :

D'une manière générale, la direction du budget souscrit largement, elle aussi, à la pertinence d'ensemble du diagnostic fait par la Cour des comptes. La loi de programmation militaire de 2009 prévoyait bien que la moitié des économies sur les dépenses de personnel permettraient d'améliorer la condition militaire, et que l'autre moitié viendrait nourrir les dépenses d'équipement. Finalement, ce n'est pas la moitié mais la totalité de ces économies qui sont restées sur la masse salariale, c'est-à-dire bien au-delà des seules dépenses catégorielles au sens strict. L'objectif prévu par cette loi de programmation militaire de nourrir les dépenses d'équipement par la baisse de la masse salariale a donc échoué.

Je voudrais toutefois, comme l'a fait le général de Villiers, relativiser l'échec en matière de maîtrise de la masse salariale que nous évoquons aujourd'hui, en signalant que des réformes ont été faites par ailleurs. Les effectifs ont baissé et les réorganisations sont intervenues de manière remarquable. Si je puis me permettre ce commentaire de la direction du budget, où nous avons une vision d'ensemble des effectifs de l'Etat : la réorganisation du ministère de la défense a été exemplaire par rapport à d'autres ministères, à ce point près que la masse salariale n'a pas du tout été maîtrisée.

Quels facteurs expliquent cela ? Ils me semblent avoir été bien résumés par la Cour des comptes. Je voudrais seulement vous donner mon appréciation personnelle sur le poids respectif de ces différents facteurs. En préalable, je voudrais tout de même faire une remarque sous la « sous-budgétisation initiale » dont on entend souvent parler : je rappelle que la masse salariale du ministère de la défense a été « rebasée » de 300 millions d'euros sur la période - avant même les ouvertures en gestion -, soit 200 millions d'euros en loi de finance initiale pour 2010 et 100 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2011, c'est-à-dire assez tôt dans la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire. Je pense que ceci est de nature à nuancer l'idée d'une sous-budgétisation massive initiale. Cela montre - c'est le premier facteur - qu'il existait des dynamiques internes au sein du titre 2, mal repérées et mal identifiées. L'importance des « rebasages », qui sont intervenus très vite, a montré la réactivité de la communauté financière au sein de l'Etat face à ce problème.

Le deuxième facteur est le poids considérable des facteurs organisationnels. Il ne faut pas l'oublier. La Cour des comptes constate que les responsables de budgets opérationnels de programme (BOP) ne gèrent pas tout le personnel qu'ils emploient ni n'emploient tout le personnel qu'ils gèrent. Au-delà, la question est celle de l'existence d'un pouvoir suffisant de coordination, d'animation et de rendu-compte autour de la politique RH et financière du ministère de la défense. C'est, depuis plusieurs années, une préoccupation constante du ministère du budget vis-à-vis d'un certain nombre de ministères, et particulièrement du ministère de la défense. J'ai la conviction profonde que si l'organisation était plus simple et plus efficiente, le diagnostic aurait pu se faire plus vite, et les remèdes auraient pu être mis en place plus rapidement.

Il y a - il ne faut pas le cacher - un certain nombre de facteurs liés à la gestion des personnels, des statuts, des carrières. Vous avez par exemple noté qu'il n'y a pas eu d'accroissement de sélectivité alors que les créneaux d'avancement étaient élargis. Plutôt que de rester autour d'un âge moyen d'avancement en élargissant l'écart-type de façon à faire des choix plus adaptés à la carrière des agents et à leur mérite propre, on a plutôt procédé à un accroissement du GVT (glissement vieillesse technicité). De la même manière - et il était temps que ce constat soit complètement partagé avec le ministère de la défense -, les aides au départ mises en place dans le cadre des grandes restructurations de la période 2009-2012 ont parfois été utilisées de manière inadéquate. L'effectif d'officiers a diminué deux fois moins qu'il n'a été attribué de pécules, et l'effectif d'officiers supérieurs a même augmenté alors même que des pécules étaient attribués... Dans ma conception des choses, un pécule doit permettre un départ définitif, il ne doit pas servir à accroitre le GVT. Maintenant, le constat est fait, mais je me permets de souligner à quel point ceci a pesé dans le « repyramidage ». Celui-ci est lié, certes, au fait que la déflation pesait beaucoup plus sur les effectifs des grades inférieurs que sur ceux des grades supérieurs. Mais le phénomène a été malheureusement amplifié par cette utilisation fautive des systèmes de départ.

Il va maintenant falloir s'atteler à la problématique de long terme, même si cela peut être couteux et demande donc beaucoup de précautions : le système indemnitaire du ministère de la défense est incroyablement complexe. Certes, la complexité se trouve dans aussi dans les ministères civils. Mais il n'empêche que le rapport de la Cour des comptes qui fait un constat chiffré très éclairant : avec 174 indemnités pour un total 3,2 milliards d'euros, le système indemnitaire représente le tiers de la rémunération globale des militaires. Le système de rémunération de l'armée britannique est par exemple très différent, avec une pris en compte bien moindre de la variation de l'activité (et notamment des opérations extérieures), d'où un écart du nombre de dispositifs indemnitaires - 174 contre 19 - qui interpelle et appelle manifestement une réaction.

En ce qui concerne Louvois, il s'agit d'un sujet sui generis, comme les rapporteurs spéciaux l'ont souligné, qui n'est pas forcément au coeur du sujet d'aujourd'hui. Il est néanmoins préoccupant. Une partie des difficultés de Louvois sont liées aux autres difficultés que nous venons de mentionner, et particulièrement à la complexité du système de rémunération. A l'évidence, cette complexité, cumulées avec la disparition progressive des centres experts de calcul de solde, a contribué à rendre encore plus délicate la manipulation des données qui alimentent le logiciel. J'y vois une leçon pour l'avenir et pour l'Opérateur nationale de paie (ONP), projet qui a vocation à couvrir à terme l'ensemble de l'Etat, comme une sorte d'homologue de Louvois. A l'évidence, un outil qui doit être stable ne peut pas prendre en charge des règles de calcul d'une infinie complexité infinie et d'une forte variabilité.

Voilà pour les constats. En ce qui concerne le plan d'action, je comprends de nos discussions avec le ministère de la défense qu'il comporte trois grandes lignes : un renforcement du pilotage RH et financier ; une réforme de la nomenclature budgétaire ; enfin, des réformes de fond en matière de déterminant de la masse salariale.

Sur la gouvernance, je ne peux que me réjouir de la réorganisation des RH au sein du ministère de la défense au travers de deux actions clairement lisibles : d'une part, la suppression d'une DRH-Etat-major des Armées qui permettra à la DRH du ministère (DRH-MD) d'être en prise directe avec les DRH de chacune des armées ; d'autre part, la création d'une autorité fonctionnelle renforcée, qui place clairement la DRH-MD sous l'autorité du secrétaire général. Le fait que cette DRH-ministère de la défense soit située à côté de la direction des affaires financières (DAF) sous l'autorité du même secrétaire général est pour moi un gage extrêmement important de succès dans la réforme du pilotage du titre 2 du ministère de la défense. Il est indispensable que la coordination entre DAF et DRH-MD soit extraordinairement étroite. La direction du budget plaide en ce sens depuis la mise en oeuvre de la LOLF.

La modification de nomenclature budgétaire est le corollaire de ce qui précède. Le fait de rassembler l'ensemble des crédits de personnel sur un seul programme me paraît pertinent et conforme à l'esprit de la LOLF. Les emplois sont votés par le Sénat et l'Assemblée nationale sur le périmètre de chaque ministère, contrairement aux crédits qui sont votés par programme. Ceci a un sens clair, confirmé par la pratique gestionnaire : le ministère est le périmètre pertinent pour gérer la masse salariale de manière fiable, précise, avec un vrai pouvoir du gestionnaire central. Ces évolutions de gouvernance vont dans le sens des règles qui ont été codifiées par le décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (RGBCP).

Je passerai rapidement en revue les réformes de fond, auxquelles j'adhère et qui ont été, pour certaines, mentionnées par le général de Villiers. C'est tout d'abord le principe d'auto-assurance, qui en pratique a clairement joué jusqu'à présent. C'est aussi un pilotage en fonction d'un modèle d'armées cibles, définies par grade de façon précise, ce qui correspond à une demande de mon prédécesseur et de moi-même depuis de nombreuses années. Et puis, dans la mesure du possible, c'est une simplification d'ensemble du cadre indemnitaire.

Pour terminer, je voudrais répondre à l'interpellation du rapporteur spécial Yves Krattinger : que fait la direction du budget qu'a-t-elle fait et que fera-t-elle ? D'abord, j'aime à pense que le ministère du budget et la direction du budget ne sont pas totalement étrangères à la baisse du retour catégoriel qui a été évoquée, face à une tension croissance sur le titre 2. J'ajouterai que si le retour catégoriel au sens strict est d'environ 38 %, on parvient à un niveau sûrement à 38 %, si ce n'est supérieur à 50 %, si l'on inclut le repyramidage - et notamment le repyramidage non maitrisé -, qui est en fait lui aussi une forme de mesure catégorielle. Deuxième ligne d'action : dès 2009, le ministère du budget a agi pour responsabiliser le ministère de la défense, comme le montrent les « rebasages » du titre 2 financés par des redéploiements internes.

Troisième point important, le ministère de la défense a demandé depuis 2011 une revue du mode de pilotage autour de l'idée d'armées cibles, définies par grades : les échanges ont pris un peu de temps, mais je suis heureux que nous nous retrouvions tous aujourd'hui sur ce point. Ces réformes de gouvernance s'inscrivent parfaitement dans l'action de la direction du budget, qui vise à renforcer le pouvoir gestionnaire au sein des ministères et accroître la coordination. Il n'y avait pas d'absence de pouvoir gestionnaire au sein du ministère de la défense, mais un éclatement. Ces réformes s'inscrivent dans la logique du décret de 2012, qui refonde le décret de 1962 sur la comptabilité publique et pose clairement la nécessité d'un pilotage central du personnel et des crédits. Ces outils avaient commencé à se mettre en place mais ont maintenant un fondement réglementaire, pour les RH comme pour appelle le document prévisionnel de gestion des effectifs et des crédits, qui conduit chaque ministère à présenter en début d'année à la direction du budget une prévision mensualisée de consommation des crédits et des emplois, afin de s'assurer que l'autorisation parlementaire sera in fine respectée.

Voilà. Nous ne sommes pas au bout de nos peines, mais l'ampleur des mesures prises au sujet des les conditions de pilotage laisse penser que c'est le bon degré de réformes qui a été choisi, face à des dérapages qui ont été non moins considérables.

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