Intervention de Didier Migaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 octobre 2013 : 3ème réunion
Projet de loi de finances pour 2014 — Audition de M. Didier Migaud président du haut conseil des finances publiques

Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques :

Prudent, plausible, aléa baissier, aléa haussier : dans chacun de nos avis, nous examinons les aléas à la hausse comme à la baisse. S'agissant de 2014, il nous apparait que les aléas à la baisse sont supérieurs aux aléas possibles à la hausse sans pour autant les exclure. Nous n'avons pas exclu la possibilité que la croissance soit supérieure à 0,9 % ainsi que le propose le Gouvernement. C'est pour cela que nous avons retenu le terme « plausible ». Si nous avions distingué entre 2013 et 2014, nous aurions dit que la prévision pour 2013 est « prudente » et sur 2014 « plausible », c'est-à-dire réaliste et crédible.

Nous avons insisté sur certains risques et aléas car il faut conserver à l'esprit que la crise est exceptionnelle et que nous ne sommes pas encore dans une phase de reprise classique. Des risques importants continuent de peser sur la croissance mondiale et européenne.

Des freins à la croissance subsistent sur le plan intérieur : des résultats dégradés pour les entreprises et un taux d'utilisation des capacités de production très bas, ce qui pèse sur l'investissement, une progression modeste du pouvoir d'achat et un effort structurel de réduction des déficits publics moindre qu'en 2013 mais encore substantiel.

Nous avons aussi exprimé des interrogations sur le scénario macro-économique car si l'hypothèse de croissance paraît plausible, son contenu en termes d'emplois peut être plus décevant que ne le pense le Gouvernement.

Nous avons un retard en productivité et des marges faibles. La reprise risque donc de se produire d'abord par un rattrapage de la productivité et la reconstitution des marges, avant même la création d'emplois. Dans les dernières prévisions de l'Unedic, on retrouve le même raisonnement.

L'emploi non-marchand dépendra quant à lui du programme volontariste du Gouvernement et des moyens consacrés pour atteindre les objectifs. Par ailleurs, l'évolution de l'emploi marchand peut aussi être déterminante.

Voilà pourquoi, compte tenu d'un contexte international qui n'est pas sorti de la crise, nous avons signalé l'ensemble des aléas pesant sur la trajectoire du solde structurel.

S'agissant de votre question sur les mesures ponctuelles et temporaires, nous avons estimé nécessaire que leur périmètre soit établi de façon claire et précise. Dans notre avis publié en mai dernier, nous avions considéré que la vente des licences de fréquences hertziennes, dont le produit s'est élevé à 2,6 milliards d'euros - une somme non négligeable -aurait dû être traitée comme une mesure ponctuelle et temporaire, à l'instar par exemple de ce qui a été fait en dépenses s'agissant de la recapitalisation de Dexia. Le Gouvernement lui a donné un statut différent, ce qui peut avoir des conséquences dans l'appréciation du solde structurel.

Nous avons saisi la direction générale du Trésor ainsi que la direction du Budget. Pour le moment, personne n'a eu le temps, semble-t-il, de travailler sur ces sujets - ce qui peut être expliqué par la préparation du projet de loi de finances. C'est un chantier que nous devons reprendre avec le Gouvernement et en liaison avec la Commission européenne. Nous devons tous avoir les mêmes définitions. Manifestement, des voies d'amélioration sont possibles pour dégager une doctrine sur ce sujet. La France pourrait se doter d'un corpus de règles en la matière. Je pense qu'il serait aussi utile que nous puissions harmoniser le vocabulaire au niveau européen.

Vous m'avez également interrogé sur la situation économique des Etats-Unis. Le mandat du Haut Conseil est de donner un avis sur les prévisions macro-économiques de la France. Et c'est bien évidemment dans cette perspective que nous suivons la conjoncture aux Etats-Unis. Le fait d'ailleurs que nous identifions un certain nombre d'aléas à la baisse compte tenu d'un contexte international montre qu'il faut que nous suivions les analyses sur la situation d'un certain nombre de pays.

On peut constater que l'activité a accéléré aux Etats-Unis au second semestre 2013. Elle devrait rebondir en 2014 après le ralentissement de 2013 qui a été induit par un effort budgétaire conséquent. Le Gouvernement français prévoit une croissance américaine de 1,4 % pour 2013 et 2,6 % pour 2014, soit une prévision plus prudente que celle du scénario central de la Fed, publié le 18 septembre dernier.

On peut dès lors penser que la demande intérieure peut soutenir la croissance en 2014. L'inflation pourrait se redresser graduellement tout en restant modérée. Malgré ces fondamentaux, qui s'améliorent, nous appelons l'attention sur le fait que les risques qui entourent les perspectives de croissance américaine ne doivent pas non plus être sous-estimés.

Il y a d'abord la question monétaire. Peut-être que la nomination de la nouvelle présidente de la Fed peut conduire à une appréciation optimiste sur la politique monétaire qui sera conduite par la banque centrale américaine. Mais ces choses-là sont fines : la détermination du bon moment pour resserrer les conditions de la politique monétaire n'est pas une tâche facile. Une sortie trop rapide pourrait être néfaste à la reprise. Une sortie trop lente peut faire craindre des prises de risques excessives sur les marchés financiers.

Nous constatons aussi des incertitudes en ce qui concerne la politique budgétaire. Nous voyons bien la situation actuelle des Etats-Unis. Plus l'accord qui doit être trouvé au niveau Congrès américain tarde, plus les conséquences récessives peuvent être importantes pour les Etats-Unis et, partant, pour la croissance mondiale et européenne.

La dernière question portait sur les hypothèses de croissance tendancielle des dépenses publiques. Là aussi, le Haut Conseil ne produit pas ses propres prévisions. Ce n'est pas sa mission et ce n'est, en tout cas, pas le texte que vous avez voté. Nous ne sommes pas l'INSEE et nous n'en n'avons d'ailleurs pas les moyens. Nous sommes là pour apprécier une cohérence des prévisions. Les hypothèses macro-économiques sont-elles ou non crédibles ? Cette cohérence se mesure par rapport à tout un ensemble d'éléments et en particulier la loi de programmation. Telle est notre mission. Nous n'avons pas capacité à examiner les écarts avec d'autres textes que la loi de programmation. La loi organique est très claire sur ce point.

Sur les hypothèses d'élasticité, pour 2013, l'élasticité finale n'a pas été celle prévue et le décalage est relativement important puisqu'il est de l'ordre de 0,5 point. Pour 2014, l'élasticité prévue se situe entre 0,9 et 1 point, proche du PIB. Là encore, nous considérons que cette hypothèse peut être optimiste, à partir du moment où elle peut sous-estimer la mauvaise conjoncture de 2013. Il peut donc y avoir un risque que, en 2014, l'élasticité soit encore inférieure au PIB.

À la question du président Marini, je vous répondrais qu'il ne m'appartient pas de commenter la déclaration d'un membre du Gouvernement. Ce n'est pas ma qualité et je ne souhaite pas m'élever au-dessus de ma condition...

Ce que dit le Haut Conseil relève du constat. Nous faisons d'autant plus facilement ce constat - et nous l'aurions fait de toute manière - que le Gouvernement fait état de ce décalage par rapport à la loi de programmation.

Nous ne pouvons pas dire autre chose sur ce décalage compte tenu de la référence qui est la nôtre - la loi de programmation. Bien évidemment, celle-ci peut changer. Mais il ne nous appartient pas de suggérer sa modification. Nous apprécions une situation par rapport à un texte donné. S'il est actualité, nous devons en tenir compte.

Ce que je constate, c'est que le rapport économique, social et financier avance déjà des éléments complémentaires par rapport à ceux qui nous ont été transmis. Il confirme que la France ne remet pas en cause l'objectif d'équilibre structurel de nos comptes en 2016. Mais il existe une marge de souplesse - ou d'erreur - que reconnaît d'ailleurs la Commission européenne, à savoir 0,25 point.

Dans le rapport économique, social et financier, ce n'est plus 0 qui est prévu, comme dans la loi de programmation, mais 0,2, d'où un effort structurel qui n'est pas aussi important que celui que nous avions identifié par référence à la loi de programmation. Mais il reste plus important que celui prévu dans la loi de programmation elle-même. Autrement dit, en 2015 et en 2016, il faudra faire un effort structurel plus important que celui prévu par l'actuelle loi de programmation.

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