Intervention de André Vallini

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 8 octobre 2013 : 1ère réunion
Loi de programmation militaire 2014-2019 — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de André ValliniAndré Vallini, rapporteur délégué (judiciarisation) :

Le chapitre 4, dont vous avez bien voulu nous charger, avec Marcel-Pierre Cléach, qui m'a prié de l'excuser, lutte contre la judiciarisation inutile de l'action militaire.

Le Président de la République a pris, dès mai 2012, à la suite de la décision très commentée de la Cour de Cassation dans l'affaire d'Uzbeen, l'engagement de ne pas soumettre les militaires engagés en opérations à un risque juridique excessif, qui viendrait paralyser leur action : « Nos militaires qui assurent la protection de la Nation méritent en retour que la Nation les protège, notamment d'une judiciarisation inutile de leur action » a-t-il dit à l'époque. Le recours croissant au juge dans les rapports sociaux n'est pas spécifique à l'action militaire ; c'est une évolution générale de la société. Pourtant, la situation d'un militaire en opérations étant différente de celle d'un chirurgien ou d'un médecin urgentiste, il convient de prévoir des dispositions pénales particulières.

Le militaire est naturellement amené à faire usage de la force ; en opérations, l'urgence est son lot commun. Il exerce parfois son métier dans des conditions extrêmes. La mort, dont l'acceptation figure en toutes lettres, sous le terme de « sacrifice suprême », dans le statut général des militaires, est la conséquence ultime d'un engagement, et non un dommage causé à une victime. L'application du droit commun n'est pas totalement adaptée à ces circonstances très particulières. Pour autant, « On est citoyen avant d'être soldat » disait Napoléon, et l'accès des victimes au juge est un principe constitutionnel qui ne peut souffrir que des exceptions limitées.

Conciliant au mieux ces deux impératifs contradictoires, les propositions du groupe de travail entre les ministères de la défense et de la justice reprennent la réflexion menée dans le cadre de la commission Denoix de Saint Marc en 2004 sur le statut général des militaires, qui nous avait conduits à adopter diverses dispositions législatives en 2005.

Il convient tout d'abord de souligner le caractère très spécifique de la mort au combat, dont la cause n'est, en principe, ni suspecte ni inconnue, pour éviter ainsi que certains événements graves mais inhérents à la nature des opérations militaires, ne soient immédiatement appréhendés sur le terrain judiciaire. Le projet de loi met ainsi fin au déclenchement automatique de l'enquête pour recherche des causes de la mort dans le cadre de combats. Les magistrats pourront décider s'il y a lieu à enquête. De plus, le parquet aura le monopole de la mise en mouvement de l'action publique en cas de crimes ou délits commis par un militaire à l'étranger, dans le strict cadre d'une opération militaire et dans l'accomplissement de sa mission.

L'excuse pénale pour le militaire qui, dans le cadre d'une opération militaire se déroulant à l'extérieur du territoire français, exerce des mesures de coercition ou fait usage de la force armée, ou en donne l'ordre, « lorsque cela est nécessaire à l'accomplissement de sa mission », s'appliquera aussi pour des interventions militaires ponctuelles de type libération d'otages, évacuation de ressortissants ou police en haute mer, et pas seulement pour les OPEX stricto sensu. La responsabilité pénale des militaires ne pourra être engagée pour des faits de violence involontaires qu'après prise en compte par la justice d'un certain nombre de circonstances inhérentes aux difficultés particulières de l'action militaire.

Enfin, la spécialisation des juridictions de droit commun en charge des affaires pénales concernant les militaires se poursuit, d'où la concentration du contentieux pour les infractions commises sur le territoire national sur un plus petit nombre de juridiction - elles passeront de 33 à moins d'une dizaine. La concentration et la spécialisation sont nécessaires ; nous l'avions dit dès 2011 lorsque nous avions supprimé le tribunal aux armées de Paris.

Ce volet de la loi de programmation est très attendu de la communauté militaire, et il est bien reçu aussi bien par le ministère de la justice, que par les avocats et magistrats que nous avons rencontrés. De façon générale, on constate un certain rapprochement entre deux mondes qui étaient soit étrangers soit hostiles l'un à l'autre. Nous avons insisté auprès de la chancellerie et des magistrats sur la formation des juges à la chose militaire, et ce dès l'École nationale de la magistrature, et auprès du ministère de la défense sur l'impératif de professionnaliser la prévôté, de renforcer le conseil juridique auprès des chefs de corps mais aussi d'informer et d'accompagner les familles des victimes, car les proches ne partagent pas toujours l'engagement du soldat victime au combat. En cas d'événement grave, des maladresses ont pu être commises par le passé, qui ont précipité la judiciarisation.

La question la plus sensible est celle du monopole des poursuites pour les événements survenus en OPEX. Le filtre du parquet est justifié non seulement en raison du risque d'instrumentalisation des prétoires contre la politique de défense, que Robert Badinter mettait en avant dès 1982, mais aussi à cause des conséquences opérationnelles de la judiciarisation. Le risque pénal inhibe le commandement, alors que l'audace et la prise de risque calculé font partie de la manoeuvre militaire, suivant la devise : « Qui ose gagne ». Avec le risque de judiciarisation, les chefs voudront se couvrir et leur main pourrait passer de l'épée au parapluie. Le risque pénal fragilise la chaîne d'exécution de l'ordre, alors que la discipline et l'obéissance fondent l'efficacité militaire, surtout dans l'armée française, caractérisée par une prise de responsabilité à tous niveaux, notamment dans les forces spéciales.

Le gouvernement nous proposant un bon point d'équilibre, je ne vous présenterai que des amendements de précision.

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