J'évoquerai aujourd'hui le « un pour un » ou « moratoire de la réglementation », en le resituant dans l'exercice plus large de la simplification.
En octobre 2012, lors des États généraux de la démocratie territoriale, le Président de la République a annoncé ce dispositif du un pour un, que nous mettons en oeuvre aujourd'hui.
Il y a, en cette période, un intérêt politique au plus haut niveau pour la politique de simplification. Je résumerai la ligne tracée par le Président de la République de la manière suivante : la simplification est une réforme structurelle, qui doit se poursuivre dans la durée. Elle doit viser la simplification des procédures et l'amélioration de leur efficacité sans renoncer à la protection des droits auxquels on tient en France : droits des salariés, protection de l'environnement, protection de la santé, etc.
Cet engagement politique fort, caractéristique de la période actuelle, répond à un mouvement dans la société que les collectivités territoriales ont été les premières à manifester. La simplification n'est pas une idée neuve ; ce qui est neuf, c'est le « ras-le-bol normatif ». Le fait que celui-ci s'exprime aussi fortement oblige les administrations et les responsables politiques à agir. La cause de l'inflation normative est dans notre culture politique et administrative, c'est un problème qui n'est pas partisan. Mais l'État est comme un lourd paquebot, lui faire changer de direction ne se fera pas en un jour.
Notre rôle au Secrétariat général du Gouvernement est d'impulser, de coordonner, d'animer et d'aider les administrations. Celui de la Commission est de « challenger », ce qui est tout à fait utile. Il faut que des organismes indépendants ou des représentants des collectivités, des entreprises, de la société, nous aiguillonnent et maintiennent une certaine pression. Sans cela, la mobilisation actuelle pour la simplification risque de rapidement retomber. Donc, pour répondre à M. le ministre Alain Lambert, nous regardons les décisions de la Commission non avec inquiétude mais avec intérêt.
Le chantier de la simplification est immense. Il faut fixer des priorités en s'attaquant aux « noeuds de complexité », ces législations sectorielles qui sont certes très complexes par elles-mêmes, et qui le sont encore plus parce qu'elles se cumulent entre elles et créent de véritables obstacles dans l'engagement de projets publics ou privés. Ainsi, l'urbanisme, l'environnement, le droit du patrimoine, constituent un tel « noeud de complexité », donc un champ privilégié de simplification.
Le choc de simplification consiste à agir à la fois sur le stock et sur le flux. Agir sur le stock est nécessaire, mais très difficile. Les différents rapports sur la simplification - notamment celui de MM. Alain Lambert et Jean-Claude Boulard - l'ont montré. Agir sur le flux, c'est l'opportunité d'introduire des simplifications au fil de l'eau. Et c'est bien la logique du un pour un : à chaque fois que l'on réglementera, on simplifiera.
Pour mettre en oeuvre le choc de simplification, le Gouvernement a décidé en juillet dernier d'un programme de simplification, qui se traduira notamment par des projets de loi de simplification mettant en oeuvre des mesures prioritaires. Le Sénat et l'Assemblée nationale ne désirent peut-être pas la multiplication de projets de lois d'habilitation. Mais il est nécessaire de marquer tout de suite des avancées et donc d'aller vite par rapport à des calendriers parlementaires chargés. À cet égard, le Gouvernement a pris l'engagement, sur les différents projets de lois de simplification, que les ordonnances qui seraient prises feront l'objet d'une information et d'une concertation avec les parlementaires, de sorte que ceux-ci ne soient pas exclus du processus de simplification du stock.
Au-delà de ces mesures urgentes et prioritaires, il y a des chantiers de moyen-terme, qui se dérouleront sur trois ans. Car, si on veut mettre en place des mesures ambitieuses, il faut se donner du temps, ainsi qu'une démarche participative, qui associe les collectivités, les entreprises, les usagers et les services, notamment les services déconcentrés, qui sont - au moins autant que les collectivités - en première ligne de la complexité du droit. Et il faut des expérimentations, car un certain nombre d'idées innovantes ont été émises, mais il nous semblait meilleur de tester leurs conditions de succès sur le terrain, plutôt que de faire une énième réforme qui ne fonctionnerait pas ensuite. C'est notamment le cas des rescrits ou de la fusion des procédures d'autorisation, que l'on va tester très prochainement dans plusieurs régions.
L'ensemble des propositions ainsi mises sur la table, largement convergentes, ont nourri le programme de simplification.
Venons-en maintenant au moratoire de la réglementation. Lorsqu'il a été annoncé par le Président de la République, beaucoup se sont demandés si cela signifiait qu'il serait nécessaire de supprimer un décret pour tout nouveau décret publié ou encore si le décompte se ferait ligne à ligne. Nous avons choisi de retenir une approche financière, et ceci pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il s'agit de celle retenue par l'autre pays qui a mis en place cette démarche, le Royaume-Uni. Ensuite, parce que, tout comme la CCEN, nous croyons que l'évaluation des impacts financiers, même si elle n'est pas scientifique, permet de prendre conscience du coût de la mesure et partager cette information avec le public, aussi bien s'gissant des charges créées que des allègements.
C'est pourquoi désormais, chaque texte réglementaire, dont les ordonnances, qui créerait des charges pour les collectivités territoriales, les entreprises ou les usagers, devra faire l'objet d'un gage, c'est-à-dire d'un allègement équivalent. L'intérêt de cette mesure est de restreindre le flux normatif, mais aussi à chaque fois qu'une administration présentera un texte, de l'obliger à opérer une simplification. Il s'agit ainsi que la production normative, le flux, contribue positivement à apurer le stock. Ce dispositif est mis en oeuvre depuis le 1er septembre. À ce stade, son ambition est raisonnable de par son champ d'application. Il ne concerne que les textes réglementaires ; par ailleurs les textes transposant le droit européen ne seront pas concernés, car la transposition constitue une obligation, de même pour les textes réglementaires qui font application pour la première fois d'une loi nouvelle. Le champ d'application du « 1 pour 1 » ne concerne donc pas toute la production réglementaire. Il nous a semblé raisonnable de démarrer ainsi, et peut-être un jour de l'étendre à la production législative.
L'appréciation du gage entre un texte qui crée des charges et un texte qui crée des allégements est principalement quantitative. Elle prend en compte, non seulement les coûts de procédure, par exemple de production d'un dossier de demande d'autorisation administrative, mais également les coûts de mise en conformité, qui sont souvent bien supérieurs. En outre, l'appréciation ne sera pas purement quantitative mais intégrera des éléments qualitatifs. Ainsi, la création de charges par certains peut se traduire par l'allégement de charges pour d'autres destinataires de la norme. En outre, une simplification par un ministère peut ouvrir un crédit pour créer une charge dans d'autres domaines. Enfin, il n'est pas possible parfois de chiffrer l'impact de simplifications pourtant utiles et que le bon sens amènerait à accepter en gage de charges nouvelles.
Ce nouveau dispositif du « un pour un » se traduit par la mise en place d'un modèle unique de fiche d'impact, quel que soit le destinataire du texte. Cette nouvelle fiche permettra de vérifier que les consultations ont bien été opérées. En effet les textes intéressant les collectivités territoriales doivent faire l'objet d'une consultation systématique des associations les représentant. Désormais, plus aucun texte ne sera validé s'il n'a pas fait l'objet d'une consultation appropriée.
L'évaluation de l'impact financier est renforcée. Sont désormais pris en compte également les impacts financiers sur les administrations de l'État. En effet, un texte peut imposer des obligations de contrôle qui ne peut pas toujours se faire à moyens constants. La description des impacts économiques et sociaux sera également plus détaillée. Enfin, la fiche d'impact met l'accent sur la proportionnalité de la mesure, dans la droite ligne des conclusions du rapport de MM. Boulard et Lambert. Tout d'abord, la règle de droit doit laisser des marges de manoeuvre à ceux qui sont censés la mettre en oeuvre. C'est pourquoi la considération d'alternatives à la réglementation et les réflexions autour d'un droit souple fait partie intégrante du processus d'évaluation. Par ailleurs, une règle n'aura pas le même impact sur une grande ou sur une petite collectivité. Il en est de même entre une grande entreprise et une PME, ce qui conduit à chercher à la proportionner, à la moduler selon ses destinataires. Toutefois, cela nous amène à nous interroger sur l'application du principe d'égalité, auquel notre tradition juridique est attachée.
Enfin, la nouvelle fiche d'impact continuera de présenter une évaluation détaillée des impacts des normes sur les collectivités territoriales, ce qui est important pour la CCEN. Le contenu des rubriques reste identique : dépenses d'intervention, investissements, dépenses de fonctionnement ainsi qu'un détail quantitatif en termes d'ETP, mais en reprenant des terminologies comptable.
La mise en place du « un pour un » nécessitera un temps d'apprentissage. Les ministères disposeront d'un tableau pour suivre leur débit ou crédit, lequel sera publié tous les six mois. Des supports méthodologiques sont mis en ligne et le secrétariat général du Gouvernement proposera un appui pédagogique avec le Contrôle général économique et financier (CGEFI) pour aider chaque administration à calculer l'impact financier d'un texte. Ce changement doit être intégré par les administrations. Ainsi, il y a fort à croire qu'au démarrage, les fiches d'impact ne seront pas parfaitement renseignées, mais qu'un processus d'amélioration continue va s'enclencher. De notre côté, en fonction du retour d'expérience, nous nous engageons également à modifier et améliorer le dispositif lorsque cela sera nécessaire. Je vous remercie de votre attention.