Intervention de Jean Germain

Réunion du 10 octobre 2013 à 15h00
Réforme de la dotation globale de fonctionnement — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Jean GermainJean Germain, rapporteur :

Ces questions simples, nous les entendons.

L’inquiétude de ces élus se manifeste aujourd’hui dans un contexte particulier : projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, programmes locaux d’urbanisme intercommunaux, difficultés financières nées de la réforme des rythmes scolaires...

Alors même que, dans quelques mois, auront lieu les élections municipales, une telle inquiétude des élus et, à travers eux de leurs administrés, ne doit pas être sous-estimée, et il importe que nous soyons particulièrement attentifs à ce qu’aucun territoire n’ait le sentiment d’être un laissé-pour-compte.

Nous sommes tout à fait conscients de cette inquiétude, de ces difficultés des territoires ruraux. C’est dans ce contexte qu’ont pu poindre des critiques sur le mode de calcul de la dotation de base de la dotation globale de fonctionnement.

La dotation de base est, je le rappelle, une composante de la dotation forfaitaire, au sein de la DGF des communes. C’est une dotation significative, puisque son montant total s’élève à 6, 8 milliards d’euros en 2013 ; elle représente donc plus d’un quart de la DGF des communes.

Selon le code général des collectivités territoriales, la dotation de base est destinée à « tenir compte des charges liées à l’importance de [la] population ». Aussi, chaque commune bénéficie d’une dotation de base dont le montant par habitant est d’autant plus important que la commune est peuplée : les communes de moins de 500 habitants perçoivent 64 euros par habitant, tandis que les communes de plus de 200 000 habitants bénéficient du double, soit 128 euros par habitant. Ces simples chiffres sont souvent avancés pour illustrer le sentiment qu’éprouvent certains d’être défavorisés.

Cependant, si le montant par habitant exact dont bénéficie chaque commune est déterminé par un coefficient logarithmique – sa valeur varie entre 1 et 2, en fonction de la population –, le fait qu’il soit logarithmique permet au coefficient de croître, d’abord très rapidement avec la population, puis de moins en moins vite.

Par conséquent, l’on constate que les écarts de dotation par habitant diminuent rapidement. Ainsi, l’écart entre une commune de 20 000 habitants et une commune de 200 000 habitants est non plus de 2, mais de 1, 2.

Si l’on raisonne en masses, on observe que la moitié de la population habitant dans les communes les moins peuplées se partage 43 % de la dotation de base.

La proposition de nos collègues du groupe communiste, républicain et citoyen vise à atténuer « les inégalités de traitement entre les collectivités », grâce à « la disparition progressive des écarts de dotation de base… »

L’article 1er prévoit ainsi d’aligner à la hausse le montant de dotation de base par habitant pour toutes les communes de moins de 20 000 habitants sur celui qui est actuellement perçu par les communes de 20 000 habitants. Cet alignement serait étalé sur cinq ans.

Par conséquent, entre 2013 et 2018, le montant minimum par habitant perçu par une commune de moins de 500 habitants passerait de 64 à 104 euros, celui d’une commune de 10 000 habitants de 96 à 104 euros.

J’estime le coût de cette mesure à 150 millions d’euros la première année, avant une montée en charge progressive pour atteindre un coût annuel de 889 millions d’euros à partir de 2018. À titre de comparaison, cela équivaudrait à un doublement de la dotation de solidarité rurale. Cela correspond aussi au montant de la quote-part d’effort demandée aux communes et aux intercommunalités dans le projet de loi de finances pour 2014, sur lequel nous reviendrons dans quelques semaines.

Il faut le souligner, la réforme bénéficierait essentiellement aux communes de moins de 3 500 habitants, qui percevraient près de 80 % de l’augmentation de la dotation.

Néanmoins, en termes d’augmentation moyenne par commune, l’impact serait assez faible pour les communes de moins de 500 habitants, avec une augmentation de l’ordre de 9 600 euros environ. Pour les communes dont le nombre d’habitants est compris entre 3 500 et 10 000, l’augmentation moyenne serait plus importante, de l’ordre de 70 000 euros.

Il est proposé, pour financer cette mesure, de relever le taux de l’impôt sur les sociétés ; les recettes procurées compenseraient à due concurrence la charge nouvelle ainsi créée. Il s’agit en quelque sorte « d’extraire » de la DGF et de l’enveloppe normée la hausse proposée de la dotation de base, afin d’éviter que les collectivités elles-mêmes ne la financent.

Or le financement d’une telle mesure doit être compatible avec les objectifs en matière de prélèvements obligatoires, de dépense et de déficit publics, définis dans le cadre du redressement des comptes publics et du retour à la croissance. Ainsi, le mode de financement proposé n’est pas envisageable.

Un financement par l’État ne paraît pas d’avantage envisageable, dans un contexte de réduction des dépenses publiques de près de 8, 5 milliards d’euros, l’État ayant dû demander aux collectivités de participer à cet effort.

De même, la participation des collectivités elles-mêmes au financement de ce dispositif selon les modalités « traditionnelles » de compensation de la hausse des dotations de base paraît inopportune. En effet, les collectivités doivent participer, en 2014, à un effort de maîtrise des dépenses publiques qui se traduit notamment par une réduction de 1, 5 milliard d’euros des concours de l’État. La répartition de cet effort a abouti à un accord au sein du Comité des finances locales, concrétisé dans le pacte de confiance et de responsabilité présenté par le Premier ministre le 16 juillet 2013. Il serait tout aussi inopportun de remettre en cause cet accord.

Au-delà de la question du financement, la commission des finances appelle tout particulièrement votre attention, mes chers collègues, sur le fait que l’appréciation de la situation financière des communes rurales ne saurait se limiter à leur dotation de base.

En effet, la dotation de superficie et, surtout, la dotation de solidarité rurale prennent d’ores et déjà en compte certaines spécificités des communes rurales.

Ainsi, l’objectif de la DSR, énoncé par la loi, est de « tenir compte, d’une part, des charges qu’elles supportent pour contribuer au maintien de la vie sociale en milieu rural, d’autre part, de l’insuffisance de leurs ressources fiscales ». Les parts « péréquation » et « cible » de la DSR sont notamment réparties sur la base de critères de charges reconnues comme particulièrement importantes pour le monde rural : il s’agit de la longueur de voirie classée dans le domaine public communal et du nombre d’enfants âgés de trois à seize ans. Les autres critères utilisés pour répartir le montant de la DSR entre communes éligibles sont le potentiel financier et l’effort fiscal, ce qui permet de prendre également en compte les marges de manœuvre fiscales et la richesse des communes.

Or, il faut le noter, sur les dix dernières années, le montant de la DSR a plus que doublé, puisqu’elle a augmenté de 130 %.

Or, malgré cette augmentation et la création de la fraction « cible » de la DSR, l’efficacité de cette dotation est faible, en raison de son saupoudrage : près de 95 % des communes bénéficient de la DSR, et 97 % des communes de moins de 10 000 habitants la perçoivent. Ainsi, la moitié des communes éligibles à la DSR perçoivent une dotation de 9 600 euros, ou moins.

En plus de la DSR, les communes rurales bénéficient de la dotation de superficie, qui est presque doublée en zone de montagne, passant de 3, 22 euros par hectare en zone « normale » à 5, 37 euros par hectare dans les communes situées en zone de montagne. D’un montant total de 225 millions d’euros, la dotation de superficie est répartie pour 99 % de son montant entre les communes de moins de 20 000 habitants.

La DSR et la dotation de superficie sont donc spécifiquement conçues pour tenir compte des particularités des communes rurales et leur sont favorables.

Par ailleurs, il faut reconnaître qu’il existe des charges liées à la population, les « charges de centralité ». La prise en compte de ces charges est ancienne et, dès la création, en 1985, d’une dotation calculée à partir du nombre d’habitants, un coefficient de pondération avait été mis en place.

Le montant de ces charges de centralité est en revanche difficile à évaluer. Le choix, en 2004, de retenir un écart de dotation de base par habitant compris entre 1 et 2 avait fait l’objet de débats importants au sein du Comité des finances locales. Il est difficile aujourd’hui de se prononcer sur la pertinence de ce rapport de 1 à 2 ; cependant, il me semble qu’il demeure indispensable de prendre en compte les charges de centralité. Les auteurs de la présente proposition de loi pointent cette difficulté, il faut le reconnaître, mais ils ne la résolvent pas.

Enfin, il faut le reconnaître également, l’effort fiscal des communes de moins de 500 habitants est inférieur à la moyenne nationale. Cet effort croît en effet progressivement avec la population, jusqu’aux communes de 50 000 habitants, et il est maximal pour les communes dont le nombre d’habitants est compris entre 100 000 et 200 000, avant de redescendre au-delà de ce seuil.

S’il convient de prendre en compte les spécificités du monde rural, ne faut-il pas considérer aussi son hétérogénéité, ses spécificités internes, si l’on veut vraiment parler de « justice financière » ?

En effet, « l’appellation » de territoire rural recouvre une grande diversité de situations, entre les communes touristiques, les communes situées à proximité de grands centres urbains ou les communes les plus isolées.

À ce titre, les communes les moins peuplées, notamment celles de moins de 1 000 habitants, se caractérisent par une grande diversité en termes de revenu moyen par habitant.

Parmi les communes de moins de 20 000 habitants, les 10 % de communes les plus pauvres disposent d’un revenu par habitant moyen plus de deux fois inférieur à celui des 10 % de communes les plus riches, à l’intérieur d’une même strate de population.

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