Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec la création, en 1938, de la SNCF, société anonyme détenue à 51 % par l’État et regroupant les anciennes compagnies de chemin de fer, et sa transformation en établissement public à caractère industriel et commercial, ou EPIC, en décembre 1982, la France s’est dotée d’un grand service public ferroviaire.
Le fait que le réseau soit détenu par l’État et que le service soit assuré par une entreprise publique a permis de conserver un grand réseau et de le développer, avec la réalisation, à ce jour, de 1 884 kilomètres de lignes nouvelles à grande vitesse et la construction en cours de plus de 700 kilomètres supplémentaires.
La cohérence du choix du service public a également permis de faire preuve de créativité, et même d’audace, et de conforter l’industrie ferroviaire française, devenue leader, notamment dans le domaine de la grande vitesse.
Grâce à l’action de l’ensemble des personnels, les prestations fournies sont globalement d’un excellent niveau, ce qui explique que nos concitoyens soient attachés au service public ferroviaire, au-delà des réactions de mécontentement des usagers, lors des inévitables incidents intervenant dans l’exploitation du réseau.
Ce rappel me permet d’affirmer que le service public ferroviaire doit être non seulement préservé, mais aussi conforté, dans un contexte caractérisé par un légitime besoin de mobilité, qui n’avait jamais atteint un tel niveau dans notre nation, ce dont il convient d'ailleurs de se réjouir.
La défense du service public ferroviaire est donc un enjeu majeur pour la France, alors que son organisation est inadaptée et qu’il doit faire face à trois principales menaces.
Les Assises du ferroviaire, organisées en 2012, ont confirmé un constat largement partagé, à savoir l’inadaptation du système d’organisation mis en place en 1997 et reposant sur la séparation entre la gestion des infrastructures et l’exploitation ferroviaire. Certes, tant les personnels de RFF que ceux de la SNCF ont œuvré de leur mieux pour faire fonctionner, malgré tout, un schéma d’organisation séparant artificiellement des fonctions et entraînant des difficultés parfois importantes au quotidien.
Le service public ferroviaire doit en outre faire face à trois grandes menaces.
Les audits réalisés en 2005 et 2012 par l’École polytechnique fédérale de Lausanne ont confirmé que les investissements dans le ferroviaire avaient porté essentiellement sur la construction de lignes à grande vitesse, au détriment du réseau classique, dont le vieillissement entraîne une détérioration de la qualité des transports du quotidien et peut se traduire par une diminution de la sécurité des circulations.
La deuxième menace est le corollaire de la première, à savoir le manque de moyens financiers pour assurer tout à la fois la régénération du réseau à un rythme suffisant et la réalisation d’infrastructures nouvelles. Il manque ainsi 1, 5 milliard d’euros chaque année pour assurer l’équilibre économique du système ferroviaire.
La troisième menace tient à la vision de la Commission européenne et du Parlement européen, qui voudraient imposer une stricte séparation entre le gestionnaire d’infrastructures et l’exploitant ferroviaire et qui privilégient une organisation ferroviaire européenne fondée sur l’idéologie de la concurrence « pure et parfaite ».
Face à cette situation, les groupes CRC et socialiste du Sénat ont eu l’occasion, à plusieurs reprises, de formuler un certain nombre de propositions visant à assurer l’avenir du service public ferroviaire. Tel a été notamment le cas, lors de notre débat en séance publique, le 24 janvier dernier.
Il en a été de même au cours de la précédente mandature, au sujet du fret ferroviaire – qui ne relève pas directement du service public –, lors d’une table ronde organisée par la commission des affaires économiques du Sénat et d’un débat en séance publique.
Les régions ont également pris la mesure des enjeux, en investissant massivement dans le renouvellement du matériel roulant et, pour certaines d’entre elles, dans la modernisation des lignes.
Quant au Gouvernement, sur l’initiative de Frédéric Cuvillier, il a parfaitement pris conscience de la nécessité de mettre en place un schéma d’organisation cohérent, « eurocompatible » et renforçant le service public, avec un projet de loi créant un pôle public ferroviaire qui devrait être soumis prochainement au Parlement. La réforme envisagée a également pour objectif d’apporter des réponses à la question du financement du système ferroviaire.
Quant à la qualité du réseau, cette question n’a pas non plus échappé au Gouvernement, qui a demandé à RFF d’accélérer l’action de régénération des infrastructures avec le grand plan de modernisation du réseau doté de 2, 5 milliards d’euros par an sur la période 2013-2020, et de consacrer en outre 2, 3 milliards d’euros par an à la maintenance, donnant ainsi la priorité aux transports du quotidien.
Toutefois, la différence d’approche entre les libéraux, d’une part, et le gouvernement français et les groupes parlementaires français de gauche, d’autre part, ne repose pas seulement sur une vision différente des priorités, elle est aussi idéologique. Ainsi, le gouvernement Ayrault, comme la gauche parlementaire française, rejette la vision ultra-libérale de la commission européenne qui risque de faire disparaître le service public ferroviaire. C’est dans ce contexte que le groupe CRC a déposé la proposition de résolution tendant à la maîtrise publique du système ferroviaire national que nous examinons ce soir.
Quel est l’avis du groupe socialiste sur cette proposition de résolution ? Nous sommes globalement en phase avec ses orientations. En effet, ce texte contient des dispositions très positives. Toutefois, deux dispositions nous paraissent devoir être formulées différemment.
Je consacrerai tout d’abord quelques mots aux points faisant consensus.
Ainsi, notre groupe est très favorable à l’inscription rapide du projet de loi de réforme ferroviaire à l’ordre du jour du Parlement. C’est d’autant plus nécessaire que la réforme doit impérativement être votée avant l’adoption du quatrième paquet ferroviaire. Après l’adoption de celui-ci, il ne sera plus possible de créer de nouvelles structures ferroviaires intégrées dans les États membres.
Le maintien d’une structure ferroviaire verticalement intégrée et à statut intégralement public, autre demande du groupe CRC, correspond bien à notre attente, mais aussi aux objectifs de la réforme. D’ailleurs, tel est le choix effectué par le Gouvernement avec la création d’un pôle public ferroviaire, constitué de trois EPIC : un gestionnaire d’infrastructures, un exploitant ferroviaire et un EPIC de tête.
Quant à la cession par l’État d’une partie du capital de la SNCF, il n’en a jamais été question, à ma connaissance !
Le groupe CRC demande aussi que le renforcement du rôle des régions ne se traduise pas par un désengagement de l’État et une remise en cause de l’unité du réseau national. Il s’agit d’objectifs partagés et sur lesquels nous devrons être vigilants, non seulement lors de l’examen du projet de loi de réforme ferroviaire, mais aussi, et surtout, lors de la discussion du troisième projet de loi relatif à la modernisation de l’action publique territoriale.
Pour ma part, je suis profondément attaché à l’unité du réseau ferré national. La seule question qui pourrait se poser en la matière concerne quelques lignes à voie métrique.
Le groupe CRC demande également de déclarer le wagon isolé comme une activité d’intérêt général, ce qui permettrait d’attribuer des aides publiques, facilitant ainsi la circulation de trains de fret sur des lignes à faible trafic dans une logique d’aménagement du territoire.
La question de l’euro compatibilité de cette proposition est posée. Toutefois, cette idée n’est pas propre au groupe CRC. À titre personnel, je la défends également depuis de nombreuses années.
La résolution affirme aussi la volonté de doter de recettes supplémentaires l’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transports de France. Le groupe socialiste a la même position, afin de permettre à cette agence de disposer de moyens plus importants pour améliorer les réseaux et contribuer à un nécessaire rééquilibrage entre les différents modes de transports.
Voilà pour les principaux points de la proposition faisant consensus.
J’en viens aux deux dispositions qui nous paraissent devoir être rédigées différemment.
Le groupe CRC considère que les États membres doivent repousser le quatrième paquet ferroviaire, dont l’objectif est l’ouverture totale à la concurrence dans le secteur ferroviaire. Pour justifier ce refus, il considère, à juste titre, que là où la concurrence a déjà été engagée, pour le fret ferroviaire, par exemple, ce mode de transport n’a pas connu un véritable essor. En France, le fret de proximité a même été quasiment abandonné.
En outre, aucun bilan précis n’a été réalisé sur les conséquences des trois premiers paquets pour lesquels le groupe CRC demande un moratoire.
Dès lors, l’adoption par le Parlement et la Commission européenne d’un quatrième paquet ferroviaire ouvrant à la concurrence l’ensemble du système ferroviaire, n’est effectivement ni souhaitable ni opportune.
Cela étant, il ne faut pas se faire d’illusions ! Le quatrième paquet ferroviaire sera très vraisemblablement adopté après les élections européennes du printemps prochain.
Dès lors, ne nous voilons pas la face ! Si la Commission européenne et le Parlement européen persistent dans leur volonté d’adopter un quatrième paquet ferroviaire, ouvrant totalement à la concurrence le secteur, se contenter de déclarer que les États membres doivent repousser ces dispositions, n’est-ce pas, en réalité, renoncer à mener le combat de la défense du service public ferroviaire ?
Le groupe socialiste considère donc, dans l’hypothèse, très vraisemblable, de l’ouverture à la concurrence, qu’il convient plutôt d’œuvrer avec détermination pour faire valoir l’absolue nécessité d’encadrer très fortement cette ouverture, de manière que ni l’opérateur historique, ni ses personnels, ni les usagers, ni les contribuables ne soient lésés. Il importe que les opérateurs ferroviaires ne puissent pas pratiquer l’écrémage en se concentrant sur les lignes les plus rentables au détriment des autres, laissant finalement à la puissance publique le financement de ces lignes.