Intervention de Jean-Vincent Placé

Réunion du 10 octobre 2013 à 15h00
Maîtrise publique du système ferroviaire national — Rejet d'une proposition de résolution

Photo de Jean-Vincent PlacéJean-Vincent Placé :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’idée d’ouvrir à la concurrence le transport européen n’est pas nouvelle.

Cette conception s’est concrétisée dans l’Union à mesure que la Commission européenne est montée en puissance. Après un premier paquet ferroviaire en 1998 visant l’ouverture du trafic international de fret, puis un nouveau en 2002 concernant le trafic national du fret et le transport international de voyageurs, en 2004, les règles ont encore été renforcées pour inciter les États membres à passer le cap.

Aujourd’hui, le Parlement européen travaille sur le quatrième paquet visant à ouvrir à la concurrence le transport national de voyageurs. Il n’en est heureusement qu’au début du processus !

Il est donc d’autant plus important que nous soyons vigilants, dès maintenant, afin d’influencer les négociations européennes qui auront un impact majeur sur notre conception du service public ferroviaire « à la française ». Aussi, je remercie très sincèrement le groupe CRC et, en particulier, notre collègue Mireille Schurch, d’avoir pris l’initiative d’amorcer le débat dans cet hémicycle.

Les écologistes rejoignent la résolution à de nombreux égards. Ainsi, nous considérons que la concurrence, loin de permettre des miracles, se révèle en réalité négative pour le ferroviaire.

À l’étranger, la privatisation de British Rail – l’équivalent de la SNCF – est devenue le symbole de ce que les privatisations peuvent avoir de désastreux ! En effet, comme l’explique très bien notre collègue Roland Ries dans son excellent rapport, l’ouverture à la concurrence n’est pas une solution miracle, bien au contraire.

En France, nous avons l’exemple bien connu du transport de marchandises, évoqué, notamment, par Michel Teston. Or le constat est accablant : loin d’avoir permis un report modal de la route vers le rail, l’ouverture à la concurrence a renforcé la complexité du pilotage et le renchérissement des coûts. Dominés par une logique marchande et faute de disposer d’investissements publics, les transporteurs ont préféré se tourner vers la route, plus rentable sur le court terme.

Aujourd’hui, le fret est à 90 % routier. Comble du ridicule, la SNCF est, par sa filiale, l’acteur principal du fret routier ! La part du fer et du fluvial a, d’ailleurs, diminué d’environ 30 % en trente ans.

Pourtant, nous savons que, écologiquement, pour une tonne de marchandise transportée sur un kilomètre, l’émission de C02 est de deux grammes pour un train entier, deux cents grammes pour un semi-remorque et jusqu’à mille grammes pour un camion de trois tonnes et demie ou un avion fret courte distance.

L’objectif théorique d’ouvrir le marché ferroviaire pour le rendre plus compétitif n’a visiblement pas été atteint. Nous avons, avant tout, besoin d’investissements publics et de volonté politique.

Le transport de voyageurs n’échappera pas à cette logique. Qui s’occupera des lignes non rentables reliant les zones périphériques ? L’État va-t-il accepter de laisser se creuser encore davantage l’écart entre les zones urbaines et les zones rurales ?

C’est la raison pour laquelle la notion de service public doit rester la pierre angulaire des politiques de transports, justifiant – Michel Teston l’a très bien dit – la création d’un pôle intégré SNCF-RFF, tel qu’il est défendu par les syndicats, comme par nombre d’observateurs et d’acteurs de la vie ferroviaire, mais également le choix par l’État ou les régions, en tant qu’autorités organisatrices des transports, ou AOT, de son opérateur. Les deux sujets, le pôle intégré SNCF-RFF et la possibilité pour les régions, notamment en tant qu’AOT, de choisir l’opérateur, sont essentiels dans la discussion qui s’ouvre.

Il semblerait que le projet européen se dirige davantage vers une séparation stricte de l’opérateur et du gestionnaire d’infrastructure. J’y insiste : la séparation de RFF et de la SNCF ne fonctionne pas ! Elle n’a pas permis, en France, de régler la question de la dette, ni de rendre plus efficient le système ferroviaire.

Pour avoir été vice-président chargé des transports de la région Île-de-France, j’ai rencontré des représentants de la SNCF et de RFF. Je connais les affres de la vie quotidienne de ceux qui pâtissent des difficultés des transports. Je vois, madame Assassi, que vous connaissez bien, vous aussi, ces effets sur le réseau francilien, qui sont patents aussi bien dans votre département, la Seine-Saint-Denis, que dans le mien, l’Essonne.

La puissance publique, dans son rôle de stratège, est garante de la solidarité nationale et territoriale. Nous devons préserver le pouvoir des politiques régionales – chefs de file pour les transports – qui assurent la justice sociale pour les usagers. Les écologistes ne peuvent pas accepter que l’accès à la mobilité à moindre coût pour toutes et tous, l’excellence en matière de sécurité et le respect des acquis sociaux soient remis en cause par l’uniformisation européenne.

Les droits des salariés, en particulier, ne peuvent constituer la variable d’ajustement de l’ouverture à la concurrence.

C’est pourquoi les parlementaires européens écologistes, notamment mon collègue et ami Karim Zéribi, se battent pour faire valoir les obligations de service public, l’inclusion des régions dans la gouvernance, ou encore le respect des conventions collectives nationales et le transfert obligatoire des personnels.

Développer le ferroviaire et favoriser le report modal de la route vers le fer est une impérieuse nécessité au regard des enjeux écologiques, sociaux et territoriaux. Dois-je rappeler les sombres diagnostics du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, à savoir une élévation de température jusqu’à 4, 8 degrés pour la période 2081-2100 ? Le transport est l’une des variables essentielles de la transition écologique.

L’Europe peut, bien évidemment, être une chance, mais l’ouverture à la concurrence, telle qu’elle se dessine, en se fondant uniquement sur des logiques théoriques et marchandes, ne permettra pas d’améliorer l’attractivité du ferroviaire. Pis, elle pourrait la dégrader en complexifiant le modèle, en délaissant les lignes non rentables, pourtant bien utiles à nos populations, et en méprisant les conditions sociales et de sécurité difficilement maintenues aujourd’hui au regard des politiques menées sur le plan budgétaire, notamment à l’égard des personnels de la SNCF.

Parce que nous estimons tout à fait légitimes les inquiétudes, revendications et propositions émises par cette résolution, le groupe écologiste votera cette proposition de résolution. Il fait confiance au Gouvernement pour agir efficacement en faveur d’une politique publique ambitieuse des transports ferroviaires.

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