Madame la sénatrice, le Gouvernement a la volonté de faire de cette réforme du système ferroviaire une grande réforme du service public. C’est une nécessité, compte tenu de de son organisation, des dysfonctionnements et des problèmes de sécurité auxquels il a à faire face. Nous devons également envoyer un signal aux cheminots, à la famille cheminote, qui ne doit plus douter de la nécessité d’un service public fort, respectueux de l’aménagement du territoire.
Monsieur Capo-Canellas, sachez que le Conseil d’État vient de rendre son avis sur le projet de loi, et celui-ci sera donc présenté dès la semaine prochaine en conseil des ministres. J’aurai l’occasion de m’exprimer demain à son sujet devant un certain nombre d’acteurs du ferroviaire.
De quoi s’agit-il ? Il s’agit de construire un service public renforcé, qui sera, plus qu’il ne l’est actuellement, piloté par l’État, lequel doit avoir un rôle de stratège et définir le rôle du ferroviaire dans l’aménagement du territoire. Et je sais que le Parlement ne manquera pas d’apporter des améliorations à ce projet de loi.
Notre objectif est de constituer un grand groupe public industriel intégré. Cela a été dit, le système ferroviaire, c’est le patrimoine de la Nation. Il faut donc que ses représentants s’approprient cet enjeu stratégique et que leur rôle soit renforcé. Il sera donc proposé de créer un Haut comité du ferroviaire associant élus, régions, entreprises et organisations syndicales. La représentation nationale sera régulièrement saisie pour débattre de l’avenir du système ferroviaire, de sa pertinence, de sa trajectoire financière et des orientations qu’il aura prises. C’est indispensable.
Les différents orateurs, en particulier Michel Teston, ont décrit la répartition des rôles entre la SNCF et RFF. Celle-ci est extrêmement confuse. La loi de 1997 a voulu distinguer l’opérateur ferroviaire et le gestionnaire du réseau, tout en maintenant entre l’un et l’autre des solidarités financières et en créant entre eux un enchevêtrement des procédures. Aussi, aujourd’hui, nous ne savons pas très précisément qui est chargé de quoi. D’où les difficultés que nous rencontrons dans le processus décisionnel et dans l’entretien et la modernisation du réseau.
C’est pourquoi, comme je l’ai indiqué, le projet de loi crée un grand groupe ferroviaire, constitué d’un établissement public à caractère industriel et commercial de tête « mère » et de deux EPIC « filles » : le gestionnaire d’infrastructure et l’exploitant ferroviaire.
Par principe, un EPIC est incessible : il ne peut donc être question, madame Schurch, d’ouverture du capital ou de privatisation.
Certains ont proposé la réunification en une seule entité juridique de l’ensemble des acteurs, SNCF et RFF. Cette solution se heurte à des obstacles juridiques, que ce soit la jurisprudence communautaire ou bien la directive dite « recast », qui impose que les décisions concernant la répartition des sillons et la tarification soient prises par une entité indépendante des entreprises ferroviaires sur les plans juridique, organisationnel et décisionnel.
Par conséquent, le meilleur des systèmes, me semble-t-il, c’est celui que nous allons présenter, car il sera conforme aux exigences juridiques européennes tout en permettant une pleine efficacité industrielle. C’est extrêmement important, et l’efficacité de cette nouvelle organisation sera au cœur de la réforme.
Madame la sénatrice, vous avez également soulevé la question du fret ferroviaire, qui est un enjeu industriel. J’ai d’ores et déjà pris deux initiatives : le lancement des autoroutes ferroviaires, jusqu’alors en suspens, Côte d’Opale-Le Boulou et Dourges-Tarnos, dont les mises en service sont prévues respectivement en 2015 et en 2016 ; la réunion de l’ensemble des professionnels du secteur – gestionnaires d’infrastructures, entreprises ferroviaires, salariés, chargeurs, chambres de commerce – autour de cinq groupes de travail chargés de réfléchir à la relance du fret. Il ne s’agit pas de lancer un énième plan à mon nom, cela ne m’intéresse pas ; ce qui m’intéresse, c’est de voir comment l’on peut adapter les infrastructures, adapter l’offre à la demande, c’est d’être efficace.
En effet, dans un certain nombre de secteurs industriels – la sidérurgie, la chimie, l’automobile –, les entreprises souhaitent pouvoir disposer d’une offre de fret ferroviaire, parfois même de wagons isolés, comment pouvons-nous réorganiser et mobiliser à cette fin les moyens qui seront mis à la disposition de l’entreprise ferroviaire ? Pour ce faire, Michel Teston l’a rappelé, le Gouvernement a demandé à RFF d’accélérer la régénération des infrastructures avec le grand plan de modernisation du réseau doté de 2, 5 milliards d’euros par an sur la période 2013-2020, et de consacrer en outre 2, 3 milliards d’euros par an à la maintenance.
Je ne sais pas s’il serait utile, sur le plan économique, de déclarer le wagon isolé d’intérêt général et quelle serait la valeur ajoutée d’une telle mesure. D’autant qu’un tel service serait coûteux et que ni les collectivités ni même l’État n’auraient les moyens ne serait-ce que de soutenir financièrement ce secteur, qui a lui-même été libéralisé.
Nous y reviendrons lors du débat parlementaire autour de la réforme ferroviaire, mais, sincèrement, remettons les choses en ordre. La libéralisation est probablement inéluctable – j’indiquerai quelle sera la position de la France.
Toutefois, force est de constater que mes prédécesseurs ont libéralisé le fret avant même que d’organiser l’acteur public historique. C’est l’inverse qu’il faut faire, d’un point de vue tant social qu’industriel et économique. Nous avons fait le choix de prendre part à la discussion portant sur le quatrième paquet ferroviaire, qui n’a pas encore commencé, même si le projet de texte en est déjà à un stade avancé. Le Gouvernement s’est mobilisé pour aboutir à un système adaptable.
À cet égard, je vous rappelle que, initialement, ce projet de quatrième paquet devait, par exemple, imposer la séparation institutionnelle et empêcher toute réforme allant dans le sens d’un système intégré. Grâce aux discussions informelles que nous avons menées avec les commissaires européens, avec les parlementaires européens, nous avons pu faire évoluer la doctrine et guider tant soit peu la plume des rédacteurs de ce projet pour introduire un principe de subsidiarité dans l’organisation et la gouvernance. D’où l’utilité d’être un acteur.
Vous auriez pu vous méfier de ce quatrième paquet si nous en étions encore à la période où le gouvernement français n’était pas un acteur pleinement impliqué dans le débat européen... C’est ce qui nous a valu la libéralisation que nous subissons aujourd’hui.
Pour ma part, je serai présent, comme je l’ai été jusqu’à présent, dans la discussion, en soulignant, si nécessaire, les dégradations industrielles que peut causer le libéralisme. Voyez le fret : depuis qu’il a été libéralisé, ce sont dix-huit acteurs qui occupent le marché. Résultat : sa part diminue dans le transport de marchandises et l’on n’assiste à aucun report modal ! Au contraire, nous devons disposer des moyens nécessaires pour financer ces infrastructures.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous ferai grâce d’arguments supplémentaires. Permettez-moi simplement de vous dire que nous devons disposer d’un système aussi intégré que possible, selon une logique industrielle, et avec un régulateur qui veillera à ce que les missions essentielles soient assurées en toute indépendance, conformément aux règles en vigueur.
En ce qui concerne les aspects sociaux, comme dans tous les domaines du transport et plus généralement dans tous les domaines de la politique gouvernementale, nous nous battrons contre le dumping social. Il faut que nous puissions avoir des règles claires applicables à tous, sinon une concurrence déloyale qui portera atteinte aux structures existantes se mettra en place.
Les organisations sociales, les partenaires sociaux auront part à la discussion. C’est nécessaire pour pouvoir arriver à la fois à un décret, mais aussi à des accords de branche, des accords d’entreprise, une déclinaison, ainsi qu’à une hiérarchie des normes. Nous avons commencé cette discussion.
Je souhaiterais enfin revenir sur la question de l’endettement. La situation financière de notre système ferroviaire est extrêmement dégradée. RFF a une dette de 32 milliards d’euros, et il s’agit presque d’une dette galopante. En effet, le service de la dette s’élève actuellement à 1, 5 milliard, voire 2 milliards d’euros, lesquels, chaque année, alourdissent automatiquement, indépendamment de tout investissement, la dette existante. Nous devons nous attaquer à cette situation.
L’État n’est pas en situation aujourd’hui de reprendre la dette, ainsi que vous le demandez. En revanche, nous allons travailler à stabiliser le système. Il s’agit également d’un postulat : pour reprendre une dette, encore faut-il que le système soit stabilisé. Nous devons donc stabiliser la dette.
Nous devons faire en sorte, par l’organisation, par l’efficacité économique, ce qui inclut les efforts que l’État prendra à son compte, de stabiliser cette situation, et ne pas nous jeter dans cette course en avant et à l’aventure dont nous avons fait l’expérience, étant donné que nos prédécesseurs ont, à crédit, lancé les grands chantiers de la grande vitesse – quatre en même temps ! –, en laissant la charge du financement à leurs successeurs, et plus généralement aux générations qui viennent.
Je rappelle les chiffres : quatre lignes à grande vitesse, ou LGV, 1, 5 milliard d’euros par an de déficit. Ces quatre LGV sont financées à crédit, puisque deux d’entre elles nous conduiront, pendant vingt ans, à payer 25 millions d’euros chaque année. Je vous fais grâce également de cette démonstration.
Soyez assurée, madame Schurch, que cet enjeu du financement et l’équilibre économique du système ferroviaire est au cœur des préoccupations du Gouvernement.
Votre texte réclame un service public ferroviaire renforcé et modernisé. Nous souhaitons pouvoir vous l’assurer par un projet de loi, qui vous sera présenté. Vous souhaitez un État qui soit stratège, qui soit fort, qui soit celui de l’aménagement du territoire, je souhaite pouvoir vous présenter cette position.
C’est là le sens de toutes les décisions qui ont pu être prises, celui des orientations, mais aussi des investissements qui ont été arrêtés par le Premier ministre à la suite du rapport de la commission « mobilité 21 ». Croyez-le bien : votre serviteur se mobilise pour faire en sorte que nous ayons une politique complémentaire des transports !