Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier chaleureusement mon collègue et ami Éric Bocquet, qui, avec le soutien de la commission des affaires européennes, a su une nouvelle fois mettre les projecteurs sur un sujet brûlant : la situation des travailleurs détachés en Europe.
La protection dont bénéficient ces travailleurs est très insuffisante. Elle illustre malheureusement le dogme européen de la concurrence libre et non faussée. Le rapport souligne à juste titre que la proposition de directive d’exécution concernant le détachement de travailleurs présentée par la Commission européenne le 21 mars 2012 n’est pas à la hauteur des défis à relever. En l’état, les mesures proposées ne permettraient pas de mettre un terme aux dérives constatées.
Ces sujets de droit du travail sont au cœur des préoccupations de la commission des affaires sociales. Je remercie donc notre collègue d’avoir bien voulu nous présenter le fruit de ses travaux le 15 mai dernier. Compte tenu de la qualité de son rapport d’information et de l’unanimité réalisée autour de la résolution au sein de la commission des affaires européennes, je me réjouis que la présidente du groupe CRC ait demandé que ce texte soit examiné par le Sénat, conformément aux dispositions de notre règlement, et je me félicite que la conférence des présidents ait fait droit à cette demande. L’ensemble des sénatrices et des sénateurs auront ainsi connaissance des travaux de la commission des affaires européennes et pourront s’exprimer sur les difficultés soulevées par le détachement des travailleurs en Europe.
La Direction générale du travail estime que plus de 144 000 salariés ont été détachés en 2011, soit vingt fois plus qu’en 2000. S’y ajoutent un très grand nombre de travailleurs en situation illégale, les travailleurs « soldés » – pour ma part, je n’aime pas l’anglicisme low cost ! –, véritables esclaves des temps modernes ; le ministère du travail estime qu’ils sont entre 220 000 et 300 000 par an. Nous constatons tous, dans nos départements, cette explosion du nombre de travailleurs européens sur les chantiers, dans les exploitations agricoles, ou encore dans l’industrie.
Il ne s’agit pas, bien évidemment, de condamner tous les détachements de salariés, qui permettent aussi, chaque année, à 300 000 de nos compatriotes de travailler dans des pays voisins et à un grand nombre d’Européens de travailler en France de manière légale. Cependant, les règles actuelles posent problème et les abus sont nombreux.
Les enjeux du détachement de travailleurs sont essentiels.
Il y va de l’égalité de traitement entre tous les salariés, qui est prévue par l’article L. 1262-4 du code du travail. Le noyau dur de la législation sociale s’applique à tous les salariés, sans distinction de nationalité, dès lors qu’ils travaillent sur le sol français. On ne peut tolérer les conditions de travail et d’hébergement indignes qui sont imposées à certains travailleurs détachés.
Il y va également de la compétitivité de nos entreprises, en particulier de petite taille, qui sont parfois confrontées à une concurrence déloyale. Le principe du maintien de l’affiliation au régime de sécurité sociale du pays d’accueil pénalise mécaniquement les entreprises françaises et ne permet pas aux salariés d’accéder à la meilleure protection sociale. Enfin, les abus constatés en matière de détachement de travailleurs sapent la confiance de nos concitoyens dans nos institutions européennes et nationales et nourrissent insidieusement la xénophobie, la peur de l’autre et le repli sur soi.
Je ne souhaite pas reprendre l’ensemble de l’analyse de notre collègue Éric Bocquet, mais je voudrais, dans le temps qui m’est imparti, vous faire part de mes réflexions sur les implications pour notre pays des débats relatifs au détachement de travailleurs en Europe.
Premièrement, à mon sens, le cadre législatif actuel en matière de sous-traitance est trop permissif. Bien souvent, les agents de contrôle constatent avec dépit l’existence de sous-traitance en cascade, avec parfois cinq ou six échelons, voire davantage.
Quelle est le plus souvent la finalité de tels montages juridiques, si ce n’est, pour le donneur d’ordre, d’accroître ses bénéfices au détriment des conditions de travail et d’emploi des salariés à l’autre bout de la chaîne ? De même, les auteurs du rapport soulignent avec raison qu’il existe une véritable « prime à l’obstacle » récompensant les montages juridiques complexes afin d’éluder les droits des salariés.
C’est pourquoi j’appelle de mes vœux une révision ambitieuse de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance. Celle-ci n’est en principe possible que si l’entreprise principale rencontre une surcharge de travail ou ne possède pas l’expertise technique suffisante, mais ces cas de recours sont souvent mis de côté, et la sous-traitance se généralise, hélas, sans répondre à d’autres justifications que financières.
Aujourd’hui, la loi autorise par exemple la sous-traitance de la totalité d’un contrat, ce qui n’est guère acceptable. Il faudrait surtout limiter la chaine de sous-traitance à trois échelons au maximum, à l’instar de ce qu’ont décidé les législateurs allemand et espagnol, dont nous pourrions nous inspirer.
Vous voyez, monsieur le ministre, que je m’inspire moi aussi de l’exemple de l’économie allemande… §