Si de grands États européens ont réussi à lutter contre la sous-traitance en cascade, pourquoi notre pays ne le pourrait-il pas, lui aussi ? Ce chantier législatif est devant nous, et je suis certaine que les parlementaires, soucieux de défendre les droits des salariés, sauront se mobiliser le moment venu sur cette question.
Deuxièmement, la responsabilité solidaire du donneur d’ordre, pourtant prévue en droit français, reste trop souvent lettre morte.
L’article L. 8222-2 du code du travail impose bien la responsabilité solidaire des donneurs d’ordre et des maîtres d’ouvrage en cas d’infraction de travail dissimulé. Ceux-ci doivent alors payer tout ou partie des rémunérations, indemnités et charges des salariés concernées, contribuer aux impôts, taxes et cotisations obligatoires, mais aussi supporter les pénalités et majorations afférentes et rembourser, le cas échéant, les aides publiques perçues. Cette responsabilité s’impose quels que soient le secteur d’activité concerné et le degré de sous-traitance choisi. Vous le voyez, mes chers collègues, la législation française semble dissuasive et protectrice des droits des salariés.
Malheureusement, ces dispositions sont trop rarement appliquées à cause, là encore, de la complexité des montages juridiques utilisés. En tout état de cause, l’article 12 de la proposition de directive d’exécution du 21 mars 2012, qui limite la responsabilité solidaire au seul secteur de la construction et au sous-traitant direct, n’est pas acceptable en l’état, car il serait très en retrait par rapport à notre législation.
Troisièmement, la lutte contre le travail illégal est insuffisamment ciblée sur les détachements de travailleurs. Il est important de rappeler au préalable que les salariés détachés illégalement sont en position de victimes, comme tout employé qui subit un travail illégal.
Ces salariés, malgré parfois l’obstacle de la langue, doivent être en mesure de faire valoir leurs droits une fois l’infraction relevée. J’observe que le nouveau plan de lutte contre le travail illégal pour la période 2013-2015, présenté le 27 novembre 2012, se fixe comme objectif n° 2 de « renforcer la lutte contre les fraudes aux détachements dans le cadre des prestations de services transnationales ». Les secteurs prioritaires en matière de contrôle seront le bâtiment et les travaux publics, les transports routiers de marchandises et l’agriculture. Reste à savoir si cet objectif sera tenu.
Le renforcement de la lutte contre le travail illégal passe également par une meilleure coordination des actions de contrôle menées par l’inspection du travail, l’URSSAF, la MSA, la gendarmerie et les douanes, notamment, et par une augmentation des effectifs de ces corps. Je pense en particulier aux effectifs de l’inspection du travail, qui, de notoriété publique, sont insuffisants.
Le ministère du travail a annoncé voilà quelques mois une réforme du corps des contrôleurs du travail, lequel a vocation à disparaître, et a mis en place un plan exceptionnel visant à transformer 540 postes de contrôleurs en postes d’inspecteurs du travail entre 2013 et 2015. Nous veillerons à ce que cette réforme aboutisse non pas à un simple redéploiement à effectifs constants entre contrôleurs et inspecteurs, mais à un véritable accroissement du nombre d’agents de contrôle.
La coordination des agents de contrôle doit également être renforcée au niveau européen, au moyen des bureaux de liaison. La coopération vient souvent, hélas, buter contre la mauvaise volonté de certains États membres. Or seul un contrôle poussé dans les pays d’origine pourrait permettre de détecter les entreprises « coquilles vides » ou simples « boîtes aux lettres », ainsi que les systèmes de double contrat de travail et de double bulletin de salaire.
On ne peut donc qu’approuver la commission des affaires européennes de s’opposer à la logique de l’article 9 de la proposition de directive, qui institue une liste fermée de mesures de contrôle dans le pays d’accueil. L’adoption de cette disposition aurait pour conséquence d’entraver l’action de nos services de contrôle et d’empêcher le pouvoir législatif et réglementaire de leur confier de nouvelles prérogatives dans les années à venir. On voit bien la logique à l’œuvre à la Commission européenne : le principe demeure la libre concurrence et tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à une entrave à ce principe doit être banni.
Nos collègues députés Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron, membres de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, se sont également penchés, dans un rapport déposé le 29 mai dernier, sur la question du détachement de travailleurs.
J’observe avec satisfaction que leur proposition de résolution est très proche de celle dont nous débattons aujourd’hui. Ils suggèrent en outre des idées intéressantes, comme la création d’une liste noire au niveau européen de toutes les entreprises ne respectant pas les règles en matière de détachement.
Les abus et dérives observés en matière de détachement des travailleurs révèlent le défaut d’origine de la construction européenne, qui repose quasi exclusivement sur un seul pilier, celui du dogme de la libre concurrence et de l’argent roi, au détriment du progrès social. Voulons-nous conserver cette Europe déséquilibrée, bancale, inégalitaire ou lui ajouter un second pilier social digne de ce nom ? Tel est le sens de notre débat aujourd’hui.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en conclusion, je voudrais saluer de nouveau les travaux de la commission des affaires européennes du Sénat et de son rapporteur, et réitérer l’engagement de la commission des affaires sociales de poursuivre la réflexion qu’ils ont suscitée.