Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de pouvoir échanger avec vous aujourd’hui sur cette proposition de résolution européenne portant sur le détachement des travailleurs.
En effet, comme certains d’entre vous le savent, il s’agit d’un sujet qui me tient à cœur, pas seulement depuis que j’ai pris mes fonctions au ministère des affaires européennes, d'ailleurs, mais depuis l’époque où j’étais en charge de la formation professionnelle et de l’apprentissage auprès de Michel Sapin.
Ainsi, avant même que la Lituanie ne prenne la présidence de l’Union européenne, je m’étais rendu à Vilnius en juin dernier pour dire les yeux dans les yeux au ministre des affaires européennes lituanien quels étaient les textes essentiels à faire sortir lors du semestre de présidence de ce pays. Or, en priorité absolue, j’avais placé l’évolution de la directive sur les détachements des travailleurs.
À mon sens, c’est l’exemple type des sujets traités par l’Union européenne qui concernent directement le quotidien de nos entreprises et de leurs salariés, de nos territoires et de nos concitoyens, qui touchent précisément aux valeurs que je considère comme fondamentales de l’Europe et qui, à ce titre, méritent d’être renforcées et confirmées dans nos décisions : la protection des travailleurs européens.
Bien entendu, la croissance et l’emploi constituent la priorité du Gouvernement sur la scène nationale comme européenne depuis maintenant dix-huit mois. D’ailleurs, cette action commence à porter ses fruits, ainsi qu’en témoignent l’inversion de la courbe du chômage des jeunes depuis trois mois et les dernières prévisions de croissance du FMI, revues à la hausse depuis quelques semaines.
Toutefois, la croissance n’a de sens que si elle est au profit de tous, ce qui suppose de lutter contre le dumping social et le travail low cost. L’avenir de nos concitoyens, comme celui de l’espace économique européen, en dépend. Et s’il est un domaine où l’Europe peut et doit faire plus, c’est bien celui de l’Europe solidaire. C’est précisément là que les Européens l’attendent, nous attendent. En nous attelant à cette tâche, nous répondrons à leurs aspirations, et ce alors même qu’ils doutent de la construction européenne.
Je suis convaincu que seule une croissance solidaire, permettant à chacun de trouver sa juste place dans la société européenne et d’être justement traité au sein du marché du travail européen, est susceptible de contribuer à la réalisation du rêve européen. À défaut de solidarité, nous risquerions de voir des salariés, jaloux des conditions de travail réservées aux uns et aux autres, s’affronter entre eux. Une telle perspective n’est pas tolérable.
C’est pour cela que nous nous battons depuis dix-huit mois ; ce combat s’est déjà traduit par plusieurs avancées et connaîtra, j’en suis sûr, d’autres succès dans les mois qui viennent.
Dans ce cadre, la protection des salariés est l’une des priorités du Gouvernement. Elle est un réel symbole du projet que nous dessinons pour la France comme pour l’Europe. C’est dans cette perspective que je souhaite vous présenter la position du Gouvernement à l’égard de cette proposition de résolution.
Cette Europe solidaire, à laquelle je viens de faire référence, reste en grande partie à construire. Elle doit se réaliser au travers de chaque décision que nous serons amenés à prendre au sujet de l’emploi, de la lutte contre la pauvreté ou encore des garanties sociales. Ainsi, nous avons fait le choix d’engager le combat contre le chômage des jeunes, fléau de cette décennie, qui concerne plus de la moitié des jeunes dans certains États membres – 53 % en Espagne et 55 % en Grèce !
Il n’était pas question pour nous de continuer à fabriquer une génération sacrifiée, supportant le poids d’une dette dont elle n’est nullement responsable.
C’est pourquoi, comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons obtenu au Conseil européen de juin dernier que cette cause devienne la priorité de l’Union, ce qui s’est traduit, notamment, par la mise en œuvre du fonds de 6 milliards d’euros dénommé « Initiative pour la jeunesse », pour lequel nous avons obtenu une concentration des moyens sur 2014-2015, soit 600 millions d’euros pour la France, tandis que 2 milliards d’euros supplémentaires pourraient être mobilisés après 2015.
Parmi les nombreuses avancées que nous venons d’obtenir pour notre jeunesse figurent également l’extension du programme Erasmus aux apprentis et aux jeunes en alternance ou encore la mise en place de l’alliance européenne pour l’apprentissage, qui permettra de mieux faire circuler les offres d’apprentissage au sein de l’Union et d’en améliorer la qualité.
Nous continuons de suivre ce dossier avec la plus grande attention. D’ailleurs, la prochaine réunion des chefs d’État et de gouvernement européens sur le sujet se tiendra à Paris, le 12 novembre prochain. Ce rendez-vous doit être le plus opérationnel possible et nous permettre de nous assurer que les objectifs que nous nous sommes assignés en juillet dernier à Berlin ont été traduits en actes dans tous les États membres.
C’est également pour construire une Europe solidaire que la France a milité pour l’inclusion des critères sociaux dans la construction de l’Union économique et monétaire, alors que, jusqu’à présent, seuls les critères financiers étaient censés guider nos choix politiques.
Le premier débat sur le sujet aura lieu les 24 et 25 octobre prochain. Dans cette perspective, la Commission européenne a adopté le 2 octobre une communication proposant un tableau de bord d’indicateurs sociaux à mettre en place au sein de l’Union économique et monétaire pour que le travail fasse enfin partie des critères entrant en ligne de compte.
Si je tiens à saluer cette communication, qui servira de base au prochain Conseil européen qui se tiendra à la fin du mois, c’est également parce qu’elle avance l’idée d’une meilleure prise en compte du dialogue social au sein des instances européennes, ce que nous souhaitons précisément.
Je le dis avec d’autant plus de conviction que j’ai eu l’honneur de présider la première table ronde, « Relancer l’Europe sociale », qui s’est tenue lors de la grande conférence sociale pour l’emploi, en juin dernier, au Conseil économique, social et environnemental. À cette occasion, tous les participants ont plébiscité la méthode, souhaitant que cette initiative se reproduise.
La prise en compte du dialogue social fait partie intégrante de ce que nous pouvons et devons faire pour une Europe qui fait le choix de conforter son modèle social. Mais il est clair, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous avons encore du chemin à parcourir, notamment dans la lutte contre le dumping social.
Madame la présidente de la commission, nous avons déjà avancé dans le cadre de la prochaine directive « marchés publics », laquelle sera soumise au vote du Parlement européen en décembre 2013, en y incluant le principe de la responsabilité solidaire du donneur d’ordre.
Si l’issue est positive, vous pourrez, en tant que donneurs d’ordre publics, refuser des offres anormalement basses quand il n’y a pas de respect de la législation sociale ou environnementale. Je souhaitais le rappeler en écho à vos propos précédents, car il s’agit d’une avancée tout à fait complémentaire de votre proposition de résolution.
Le détachement des travailleurs, dans ce cadre, fait bien entendu partie de ces sujets sur lesquels nous sommes pleinement mobilisés. C’est un enjeu crucial pour les salariés concernés, mais c’est aussi un symbole de la lutte que nous menons.
Nous savons tous ici à quel point la pratique du détachement est en train de devenir un problème majeur : nombre de travailleurs détachés sont victimes d’abus et de détournements de cette disposition permettant à des entreprises françaises d’employer des salariés étrangers travaillant en France, en les rémunérant aux conditions – salaires et charges – du pays d’origine, ce qui permet un nivellement des salaires par le bas.
Cette situation, comme vous le soulignez dans votre proposition de résolution, est d’autant plus préoccupante qu’elle concerne de plus en plus de personnes. Depuis 2006, le nombre de travailleurs détachés a été multiplié par quatre, rien qu’en France : nous sommes ainsi passés, officiellement, de près de 38 000 à 145 000 salariés détachés travaillant pour des entreprises françaises. Et encore, nous estimons que les chiffres réels s’établissent bien au-delà, car notre connaissance de la réalité de la situation n’est pas totale.
La directive d’exécution de la directive de 1996 relève donc d’une nécessité économique, sociale et politique, afin de permettre une lutte efficace contre les abus et le contournement de la directive que nous connaissons actuellement. La France souhaite donc l’adoption d’un texte ambitieux à l’échelon européen, afin d’améliorer la mise en œuvre et le suivi des conditions de travail minimales des travailleurs détachés et de lutter contre l’utilisation abusive par les entreprises du statut de travailleur détaché pour se soustraire à la législation ou la contourner.
Nous demandons donc la mise en place d’une liste ouverte de mesures de contrôle à l’échelon européen. Celle-ci permettrait de garantir la création, au niveau de l’Union européenne, d’un socle harmonisé de documents exigibles, tout en préservant une certaine marge de manœuvre pour les États membres.
Par ailleurs, notre objectif est de parvenir à l’instauration d’un mécanisme de responsabilité conjointe et solidaire obligatoire, applicable aux secteurs économiques les plus concernés, le bâtiment en particulier, mais nous pourrions également citer les travaux publics, l’agriculture, l’agroalimentaire et certains services.