Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n’est pas un scoop, un grand nombre d’entreprises dans notre pays rencontrent d’importantes difficultés. L’actualité du secteur agroalimentaire breton vient, d’ailleurs, de nous le rappeler très cruellement.
C’est dans ce cadre que je souhaite, en préambule, relever l’intérêt de la proposition de résolution européenne sur l’initiative du Sénat que nous examinons aujourd’hui. Elle a, en effet, pour toile de fond les graves problèmes de concurrence déloyale que connaissent à l’heure actuelle de nombreuses entreprises du seul fait du détachement des travailleurs dans l’Union européenne.
Ces difficultés concernent, certes, tout notre pays. Permettez, toutefois, à un sénateur alsacien de le dire, elles sont d’autant plus ressenties dans les zones frontalières.
Ainsi, depuis de nombreuses années, les entreprises de ce que l’on appelle « la bande rhénane alsacienne » sont régulièrement confrontées à une concurrence exacerbée d’entreprises allemandes qui utilisent des travailleurs détachés, la plupart du temps en provenance des pays de l’Est, à des conditions tarifaires totalement dérisoires.
En effet, du seul fait de l’affiliation au système de sécurité sociale du pays d’origine, je le répète, le gain réalisé par le recours à ces travailleurs représente une économie en termes de coûts salariaux, qui peut aller, dans certains cas, jusqu’à 30 %. Et cela en toute légalité !
Encore faut-il y ajouter des salaires versés à un niveau souvent beaucoup plus bas que chez nous, puisque, comme vous le savez, en Allemagne, il n’existe pas de salaire minimum interprofessionnel de croissance, ou SMIC, et puisque la Cour de justice de l’Union européenne a, pour sa part, estimé impossible d’exiger des entreprises de détachement une adhésion à des conventions collectives qui ne sont pas d’application générale.
De nombreux secteurs sont concernés, qui sont d’ailleurs énumérés dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution. Je mettrai l’accent sur trois d’entre eux, car ils sont les plus concernés par le problème : le bâtiment, l’agriculture et le transport.
Le bâtiment – le gros œuvre, certes, mais surtout le second œuvre – est fortement touché par cette concurrence. Les entreprises allemandes y règnent, si je puis m’exprimer ainsi, en maîtresses absolues.
Je citerai, à titre d’exemple, une entreprise allemande qui intervient dans les communes de « la bande rhénane » dont je viens de parler à l’instant. Spécialisée dans certains métiers du second œuvre, tel le crépissage, elle emploie un tel nombre de travailleurs détachés qu’elle peut pratiquer des tarifs attractifs et travailler dans toutes les communes, voire sur tous les immeubles d’une même rue !
Cette « entreprise », si on peut la qualifier ainsi, profite des chantiers en cours pour démarcher ouvertement les constructions voisines en leur proposant des tarifs sans commune mesure avec ceux qui sont pratiqués par les entreprises locales. Même si un particulier ne voulait pas engager ces travaux, les prix proposés l’incitent à franchir le pas pour rafraîchir un crépi un peu vieillissant. Je vous laisse imaginer les conséquences pour les artisans locaux ! Ils tirent avec insistance la sonnette d’alarme depuis tant d’années que nous ne savons plus quoi leur répondre.
L’agriculture est, elle aussi, un secteur particulièrement confronté à ce type de concurrence. Les producteurs de légumes français sont, de longue date, exposés à des distorsions sur le coût de la main-d’œuvre, qui ne leur permettent plus d’être compétitifs.
En l’espace de quinze ans, la production française de légumes a reculé de plus de 30 %, alors que, sur la même durée, elle augmentait de 30 % en Allemagne et aux Pays-Bas. On va récolter les mêmes asperges de part et d’autre du Rhin à des tarifs qui n’ont rien à voir du seul fait du détachement de la main-d’œuvre étrangère.
Ce recul des surfaces cultivées est principalement dû aux écarts de rémunération et de charges entre la France et les autres pays européens. Ces exploitations emploient, en effet, une main-d’œuvre saisonnière importante, et celle-ci intervient, selon les cultures, dans des proportions allant de 30 % à 70 % dans les coûts de production. Mes chers collègues, vous voyez les dégâts que cela peut occasionner en termes de distorsions de concurrence.
Avec des cotisations sociales moindres et une absence de salaire minimum, le recours aux travailleurs détachés permet des salaires bas, donc des fruits et légumes à des prix eux-mêmes particulièrement peu élevés. Les différences entre les prix pratiqués de part et d’autre du Rhin sont telles que l’on se demande, d’ailleurs, si ce sont les mêmes fruits et légumes !
Ce constat n’est naturellement pas acceptable. Il est urgent de faire cesser ces pratiques de dumping social, qui causent des pertes d’emplois importantes et irréversibles dans ce secteur d’activité.
Enfin, le secteur des transports routiers n’est pas moindrement concerné. Les transporteurs des pays de l’Est peuvent in fine payer leurs salariés jusqu’à 50 % de moins de ce que les transporteurs français paient les leurs. Ils exercent donc une concurrence déloyale vis-à-vis de nos petites et moyennes entreprises du secteur et – il faut le dire –, au bénéfice de grands groupes qui utilisent ces transporteurs à bas prix.
En effet, qu’ils soient établis en France ou dans un autre État membre à haut niveau de protection sociale, des grands groupes de transport routier ont massivement créé des filiales dans des pays de la péninsule ibérique, d’abord, et d’Europe centrale, ensuite, non pas tant pour organiser des flux de transport international à partir de ces pays que pour recruter des conducteurs routiers aux conditions du droit social local et les acheminer plus tard en France, où ils travaillent par cycles de plusieurs semaines continues, leur travail étant alors organisé depuis notre pays.
Ces conducteurs n’ont comme lieu de vie, pendant leur cycle d’activité hors de leur pays de résidence, que la cabine de leur camion. Ce mode de vie, cela va de soi, n’est pas compatible avec les niveaux de qualification et de sécurité qui doivent être ceux des conducteurs routiers.
De tels montages, plus ou moins complexes, officiellement légaux pour partie mais, bien entendu, toujours contraires à l’esprit des textes, qui permettent de disposer de conducteurs exclus des systèmes de droit social les plus coûteux, n’ont cessé de croître depuis l’entrée de l’Espagne et du Portugal dans la Communauté économique européenne et au fur à mesure de l’entrée de nouveaux États membres dans l’Union européenne.
Ces fraudes se traduisent par la perte d’emplois de nombreux conducteurs français, par une évasion massive de cotisations sociales au détriment des organismes français de protection sociale et par l’éviction du marché du transport des entreprises respectueuses du droit social, qui ne peuvent proposer à leurs clients des prix aussi bas.
Ces distorsions de concurrence ne permettent plus à la grande majorité des transporteurs français d’être compétitifs. En ma qualité de sénateur, je reçois des courriers d’entreprises de transport qui me demandent ce que nous faisons pour elles.