Intervention de André Reichardt

Réunion du 16 octobre 2013 à 14h30
Normes européennes en matière de détachement des travailleurs — Adoption d'une proposition de résolution européenne

Photo de André ReichardtAndré Reichardt :

Une telle situation n’est évidemment pas tolérable. Là aussi, tout doit être entrepris pour soutenir nos PME.

Dès lors, face à ces constats, il est évident que la proposition de résolution européenne qui nous est soumise aujourd’hui est particulièrement pertinente. Comme l’a expliqué notre collègue rapporteur pour avis Éric Bocquet, la directive européenne 96/71/CE, censée réglementer le détachement de travailleurs salariés, est aujourd’hui trop largement contournée, donc inefficace.

Cette directive avait pour objectif à l’origine de « répondre aux besoins de travailleurs spécialisés en vue d’effectuer une tâche de nature complexe dans un autre État membre confronté à un manque de main-d’œuvre dans ce domaine précis. » Il y a là beaucoup de critères et de conditions. Le travailleur communautaire pouvait ainsi venir travailler en France, mais à un salaire français.

Toutefois, dès l’origine, le ver était dans le fruit : si les salaires devaient bien être ceux du pays d’accueil, les charges sociales sont acquittées dans le pays d’origine du travailleur. Et à partir de là, l’absence de transparence est devenue la règle, ouvrant la porte à tous les abus, qu’il s’agisse des effectifs des travailleurs détachés ou des conditions de détachement.

Je ne reviendrai pas sur les effectifs. Aux termes du rapport, le nombre de travailleurs détachés était estimé par Bruxelles à un million en 2009 et à un million et demi aujourd’hui. Pour la seule France, le nombre de détachés réguliers serait de l’ordre de 150 000 à 200 000. Quant au nombre de salariés low cost détachés en France au mépris du droit communautaire, il est estimé par notre ministère du travail à environ 300 000.

L’explosion – quel autre terme utiliser ? – du nombre des détachements de travailleurs est ainsi devenue une véritable menace pour l’emploi, pour ne pas dire une plaie ! En effet, aux abus du recours au travail détaché, s’est ajouté un phénomène normal : la fraude. Lorsqu’elle est possible, naturellement, celle-ci est mise en œuvre.

L’auteur du rapport dénonce ainsi, à juste titre, certaines pratiques, allant de la cascade de sous-traitants et des boîtes aux lettres fictives jusqu’aux fausses déclarations d’agences intérimaires. Tout cela a pu être vérifié. Ces procédés aboutissent tous à une atteinte aux conditions de travail des salariés détachés, qui, d’ailleurs, ignorent souvent leurs droits.

Le scandale du détachement a bien deux aspects : l’atteinte à l’emploi des salariés du pays d’accueil – dans des circonstances économiques difficiles, c’est particulièrement grave – et l’atteinte aux droits des salariés détachés eux-mêmes.

Aussi, en réaction aux abus constatés, et afin de combler les lacunes dénoncées, la Commission européenne a recherché des pistes d’amélioration de la directive de 1996. Elle a présenté le 21 mars 2012 une proposition de directive d’exécution visant à améliorer la directive 96/71.

Cette directive d’exécution présente, à n’en pas douter, certaines avancées.

Tout d’abord – il s’agit là d’une mesure importante –, elle définit un faisceau d’indices permettant aux États de vérifier la réalité du détachement, c’est-à-dire de s’assurer que l’entreprise qui détache ses salariés exerce réellement une activité substantielle dans le pays où elle est affiliée.

Ensuite, cette directive renforce la coopération administrative, en obligeant les États à répondre aux demandes d’information dans un délai de deux semaines, même si celui-ci peut paraître trop court, et énumère de manière limitative les mesures que l’État d’accueil peut imposer à l’entreprise étrangère détachant des travailleurs sur son territoire – notamment, par exemple, la réalisation de déclarations, la production des contrats de travail et des bulletins de paie, le refus de faire une simple déclaration sur l’honneur de travailleurs détachés répétant ce qu’ils déclarent à la sécurité sociale de leur pays d’origine. Il s'agit d’une simple déclaration… Puis, vogue la galère, il n'y a aucune vérification ! Ces mesures doivent naturellement être mises en application.

Cette proposition de directive organise également un système de recours et de sanctions permettant au travailleur détaché d’agir contre son employeur, le cas échéant par l’intermédiaire d’organisations représentatives, le salarié ignorant lui-même bien souvent ses propres droits, et institue un mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d’ordre, qui devient automatique dans le secteur de la construction.

Toutes ces dispositions vont dans le bon sens et, comme le propose l’auteur du document dont nous sommes saisis, il convient de soutenir au sein du Conseil européen la position française, qui se montre favorable à leur égard.

Cependant, le sujet est à ce point important pour la pérennité de nos entreprises qu’il paraît évident qu’il faut aller plus loin. Aussi le groupe UMP s’associe-t-il aux mesures de la proposition de résolution européenne qui nous est présentée, au nom de la commission des affaires européennes, par notre collègue Éric Bocquet. Parmi celles-ci figurent avec bonheur « l’harmonisation des formulaires de détachement au sein des États membres afin de faciliter les échanges d’informations », « l’inclusion de clauses de responsabilité sociale de l’entreprise dans les contrats de prestation de service internationale » et « l’extension plus large du mécanisme de responsabilité du donneur d’ordre aux sous-traitants, en même temps qu’une limitation à trois échelons de la chaîne de la sous-traitance ».

À cet égard, il faudrait cependant que la notion de donneur d’ordre soit précisée : s’agit-il du client, de l’entreprise principale, pour ce qui concerne le bâtiment, ou des deux ?

Toutefois, il apparaît également indispensable de mettre en place de véritables contrôles, en dotant les services concernés de moyens accrus.

Une amplification des contrôles sur notre territoire – notamment, pour ce qui concerne le bâtiment, monsieur le ministre, sur demande des organisations professionnelles concernées, des contrôles opérés en dehors des heures légales et le week-end – et un renforcement de la coopération entre les autorités politiques des pays membres de l’Union européenne sont nécessaires.

Il faudrait d’ailleurs absolument prévoir, comme le demandent les auteurs de la proposition de résolution, une liste ouverte, et non pas limitative, des mesures de contrôle que peut prendre l’État d’accueil, afin d’optimiser les moyens dont disposeraient les États pour lutter contre la fraude.

Enfin, si notre groupe rejoint également les propositions formulées sur la révision du règlement 883/2004 sur le système de coordination des régimes de sécurité sociale, qui sont fondamentales, permettez-moi, à titre personnel, de regretter que ne puisse pas être imposée à l’avenir l’affiliation au régime de sécurité sociale du pays d’accueil pour tous les travailleurs détachés, sauf, bien sûr, si le droit du pays d’origine est plus favorable, puisque, comme je l’ai dit précédemment, c’est de cette question de l’affiliation au régime de sécurité sociale qu’est née l’absence de transparence d’abord, la montée de la fraude ensuite.

En conclusion, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe UMP votera en faveur de cette proposition de résolution, en souhaitant que les mesures qu’elle contient puissent réunir le consensus du plus grand nombre d’États membres, alors même que, comme on le sait, dans ce dossier d’une brulante actualité, certains États européens, et non des moindres, la Grande-Bretagne en tête, souhaitent pour leur part le statu quo. D'ailleurs, hier encore, les ministres européens du travail n’ont pas pu se mettre d’accord.

Cette directive est éminemment importante pour l’Europe et pour notre pays. Nous ne pouvons pas nous en passer. §

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