Le développement du numérique ne saurait ignorer autant de laissés-pour-compte. Après tant d’années d’une crise qui n’est pas encore surmontée et dont les racines n’ont pas été traitées, le numérique peut et doit constituer un espoir pour nos concitoyens.
Dans le prolongement de son rapport d’information, Catherine Morin-Desailly propose quatre thèmes de réflexion que je vous soumets, monsieur le ministre, pour que la France et l’Europe deviennent les acteurs d’avant-garde d’une véritable transition numérique.
La transition numérique doit s’appuyer sur une action européenne concertée pour financer et promouvoir les outils du développement numérique. Ce dernier englobe aussi bien le raccordement des foyers que la problématique de l’aménagement numérique du territoire. Je tiens à souligner le travail remarquable de nos collègues Hervé Maurey, sénateur à la pointe de ce sujet, et Jean-Léonce Dupont, qui a initié un mécanisme novateur de financement de la mise en œuvre d’un tissu numérique sur l’ensemble de son département, le Calvados.
La transition numérique, vitale, ne sera possible que par le financement des politiques de recherche et d’enseignement supérieur en faveur du développement des outils du numérique.
Nous perdons chaque année en France un trop grand nombre de talents, qui partent notamment aux États-Unis, où ils peuvent épanouir leur créativité. C’est cette hémorragie des savoirs qu’il nous faut endiguer à l’échelle continentale pour pouvoir faire de l’Europe un foyer mondial des technologies numériques. C’est aux pouvoirs publics, c’est à l’Union européenne de mettre en place des outils juridiques et financiers pour implanter dans les États de l’Union les clusters qui font tant défaut aujourd’hui à notre politique industrielle.
La transition numérique, c’est aussi une volonté d’accompagnement, de soutien ou de transformation des secteurs qui seront mis en difficulté par l’essor des services numérisés. C’est avant toute chose un effort en faveur du secteur marchand.
Voici un exemple touchant à l’aménagement du territoire : l’explosion du secteur des jeux en ligne ne pourra que faire du tort à l’activité des buralistes, qui sont bien souvent les seuls commerces à faire face à la désertification de certains de nos territoires et à l’isolement de nos concitoyens en zone rurale.
La transition numérique des services conduira de manière plus générale à une recherche accrue d’informaticiens et de spécialistes des systèmes d’information. Il nous faudra donc accompagner, soutenir et former les femmes et les hommes qui verront leur emploi remis en cause, afin qu’ils puissent saisir les nouvelles possibilités offertes par l’économie numérique.
Bien évidemment, tout cela n’est envisageable que si la transition numérique prend également la forme d’une transition juridique et institutionnelle. Au plan institutionnel, l’Europe doit faire de l’économie numérique un sujet à part entière, à l’instar des problématiques commerciales ou énergétiques, par l’institution d’un Conseil numérique spécialisé.
Cette transition numérique, c’est aussi le renforcement des moyens de cyberdéfense et de prévention des risques d’attaques. C’est la protection juridique des données personnelles. C’est également la généralisation des actions de groupe à l’échelle européenne pour contrer les modifications des conditions générales d’utilisation des programmes, applications et supports de cette nouvelle économie. C’est enfin une transition dans l’équité et la justice, notamment fiscale. Le président de la commission des finances, M. Philippe Marini, nous a présenté, en janvier et en avril derniers, sa proposition de loi pour une fiscalité neutre et équitable des activités numériques. Cette initiative, si elle n’a, hélas ! pas abouti au plan national, doit absolument être relayée au niveau européen.
En effet, l’évasion fiscale offerte aux groupes du GAFA, c’est-à-dire Google, Apple, Facebook et Amazon, par la technologie du numérique ampute les recettes de nos budgets et freine en réalité l’essor de nouvelles industries dans le secteur. Le développement du numérique nous conduit à élaborer une fiscalité continentale intégrée qui pourrait financer le développement futur du secteur et le soutien à la reconversion.
Monsieur le ministre, le Sénat ne manque pas d’idées pour l’avenir. Le fruit de notre travail et de nos réflexions est à votre disposition. Nous attendons de vous écoute et mise en œuvre de nos propositions pour que ce Conseil européen constitue l’aube d’une politique nouvelle du numérique.